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8 décembre 2010

Le Brésil face au nouveau concept stratégique de l’OTAN

par Raúl Zibechi *

 

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Le récent sommet de Lisbonne de l’OTAN, célébré le 19 et 20 novembre suppose la reconnaissance de la transformation de l’alliance militaire née en 1949 pour la défense de l’espace euratlantique en une force à vocation d’intervention mondiale. «  Les citoyens de nos pays font confiance à l’OTAN pour défendre les nations alliées, mobiliser de solides forces militaires où et quand on les requiert pour notre sécurité, et pour la promotion de la sécurité commune à nos alliés autour du monde », peut-on lire dans le document de 11 pages signé par les chefs d’état.

Dans les faits, nous sommes face à une OTAN qui se mondialise, comme le signale Pepe Escobar dans une série d’articles dédiés au sujet (Asia Times, 18 et 20 novembre). Il ne s’agit pas seulement de maintenir à jamais l’arsenal nucléaire mais de devenir le policier du monde, en se raccordant au concept militaire du Pentagone de guerre infinie et de guerre de spectre total. L’OTAN « est déjà présente en Asie centrale et du sud, tout comme au nord-est de l’Afrique, interconnecté avec l’Africom du Pentagone  », note Escobar. Un plan à long terme (quatre décennies selon le général David Richards, chef de la Défense britannique), destiné selon le journaliste à encercler le cœur de l’Eurasie, d’isoler la Russie, l’Iran et la Chine. En synthèse, une nouvelle guerre froide contre les pays qui peuvent faire de l’ombre à la superpuissance décadente.

En Amérique Latine, le Pentagone a bougé ses pions au cours des dernières années : réactivation de la IVème Flotte, déploiement de nouvelles bases militaires, occupation militaire d’Haïti sous prétexte du tremblement de terre, coup d’état au Honduras, parmi les plus évidents. L’hypothèse principale que nous avons émise au cours des dernières années est que dans la région il s’agit d’encercler et d’isoler le Brésil, le seul pays en état de faire face à la nouvelle stratégie impériale. Mais ce pays est très conscient des défis qu’il a à relever, comme le démontrent la Stratégie de Défense Nationale et, plus récemment, les positions qu’il a adoptées face au « nouveau concept stratégique » de l’OTAN.

Le 10 septembre le ministre de la Défense, Nelson Jobim, qui restera en poste au sein de l’administration de Dilma Rousseff, a participé à la conférence internationale Le Futur de la Communauté Transatlantique (El Futuro de la Comunidad Trasatlantica), qui s’est tenue à Lisbonne. A l’Institut de Défense Nationale, Jobim s’est montré préoccupé par le risque que l’OTAN puisse réaliser des incursions armées dans l’Atlantique sud, qu’il a définit « d’espace géostratégique d’intérêt vital pour le Brésil ». Le ministre a été clair lorsqu’il a signalé qu’il était nécessaire de séparer les questions de l’Atlantique nord de celles du sud, qui méritent « des réponses différenciées, d’autant plus efficientes et légitimes qu’elles impliqueront moins des organisations ou des états étrangers à la région  ».

Il a assuré que les raisons pour lesquelles l’OTAN fut créée « ont cessé d’exister » étant donné que la menace que représentait l’Union Soviétique a disparu. Il a dénoncé la transformation de l’OTAN en un « instrument pour l’avancement de son membre principal, les Etats-Unis », et il a franchement critiqué « l’extrême dépendance de l’Europe envers la puissance militaire des Etats-Unis au sein de l’OTAN », ce qui l’empêche d’être « un acteur géopolitique à la hauteur de son poids économique  ».

Le 3 novembre, lors de l’ouverture de la 7ème Conférence de Sécurité Internationale de Fort Copacabana, à Rio de Janeiro, Jobim est revenu sur la question. Il a insisté sur le fait que le Brésil et l’Amérique du Sud ne pouvaient accepter que les Etats-Unis et l’OTAN « s’octroient » le droit d’intervenir dans n’importe quelle partie du globe et tout particulièrement de « franchir la ligne » qui sépare l’Atlantique nord du sud. Il a refusé l’idée de « souverainetés partagées » dans cette région régie par le Pentagone : « Quelle est la souveraineté que les Etats-Unis souhaitent partager, la leur ou la notre ? ». Il a ajouté : « Nous ne serons pas les alliés des Etats-Unis afin qu’ils maintiennent leur rôle dans le monde. » Et il a refusé de discuter de l’Atlantique sud avec un pays qui ne reconnait même pas la souveraineté brésilienne sur une aire maritime de 350 milles, reconnue par les Nations Unies. Là-bas se trouvent les gisements d’hydrocarbures que la Stratégie Nationale de Défense définit comme « L’Amazonie Bleue ».

Sans la moindre ironie le site web stratégique brésilien Defesanet a souligné qu’avec ces arguments Jobim avait lancé l’idée de la « Mare Brasilis », en référence à l’Atlantique sud, une zone du monde qui pour les militaires de ce pays est vitale au moins depuis les années 1950 et 1960, lorsque le colonel Golbery do Couto e Silva et l’Ecole Supérieure de Guerre ont défini les priorités stratégiques du pays. Ce n’est pas un hasard si Jobim a été choisi parmi les hauts dirigeants militaires pour rester à un poste depuis lequel il a doté les forces armées d’objectifs stratégiques qui sont en train de se réaliser.

Pour compléter le tableau il faudrait ajouter deux informations. Dans le cadre de l’alliance stratégique entre la Chine et le Brésil, du 3 au 7 Novembre une délégation présidée par le commandant de la marine chinoise a visité la flotte de Rio de Janeiro, l’intérêt principal étant de connaître le programme militaire et le porte-avions Sao Paulo. De plus, les deux marines ont discuté ensemble d’affaires stratégiques secrètes et ont élaboré une stratégie de travail en collaboration. (Defesanet, 12 novembre). La seconde est l’information publiée par O Estado de Sao Paulo le 21 novembre dernier, jour suivant la conférence à Lisbonne, qui assure que la marine brésilienne a un plan qui s’ étale jusqu’en 2047 ( des dates similaires à celles qui régissent le « concept stratégique » de l’OTAN) visant à se doter d’une flotte de six sous marins nucléaires (jusqu’à présent on parlait d’un seul) et de vingt sous marins conventionnels.

A tout cela il faut ajouter que le Brésil domine déjà tout le cycle de la production nucléaire. Pour résumer, un pays d’Amérique du Sud est en train de se doter d’un « appareil dissuasif face à des menaces extrarégionales », comme l’a dit Jobim, capable d’affronter tout type de défis, diplomatiques comme militaires, conventionnels ou non.

Traduction de l’espagnol pour El Correo de : Nicola Simoncini.

La Jornada , Mexico, 3 décembre 2010.

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