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24 février 2010

La Grèce, devenue un « protectorat »

 

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La Grèce est « officiellement » devenue un protectorat de l’Union Européenne, en particulier de l’Allemagne — elle retrouve donc le statut qu’elle avait depuis de son indépendance en 1830, jusqu’à ce qu’elle intègre l’orbite de l’OTAN étasunienne. Alors que les médias insistaient sur la possibilité d’un programme de sauvetage pour la Grèce, les “associés” de celle-ci lui ont administré un laxatif à fortes doses. En l’espace d’à peine un mois, le gouvernement d’Athènes a été forcé d’augmenter différents impôts, réduire des dépenses budgétaires de capital, baisser les salaires des fonctionnaires et rallonger l’âge de la retraite. Il s’avère qu’au bout de ces quatre semaines certaines dettes de l’État, d’environ 17 millions de dollars, arrivent à échéance. À l’avenir, sous la “supervision” d’un comité de l’U.E., la Grèce devra augmenter la TVA, diminuer les salaires du secteur privé et hypothéquer les revenus douaniers. Au XIXe. siècle c’est au moyen de cette méthode que l’impérialisme britannique régnait sur le monde. La crise grecque a révélé, au cours de cet épisode, le secret de l’U.E. le plus jalousement gardé : le statut en tant que zones d’exploitation demi-coloniales de la plupart des États, exploités par une minorité constituée de pieuvres solides, principalement par l’Allemagne, la Grande Bretagne et la France — et bien entendu, les États-Unis. Ce sont surtout les Allemands qui prétendent reproduire en Grèce la même politique qu’ils ont imposée aux pays baltes, à la Hongrie et l’Ukraine — ce qui n’a pas empêché la faillite financière de ces nations mais au contraire a généré une récession colossale qui dans le cas de la Lettonie, a conduit à une chute de 18% de la production industrielle au dernier trimestre 2009. À présent, cette formule devra passer l’épreuve de la réaction des masses grecques, qui, au-delà des grèves générales de 24 heures décidées par les bureaucraties syndicales, ont déclenché une série de grèves, induites par la pression venant d’en bas, dans divers secteurs de l’État. La récession que provoquera l’ajustement de la Grèce rendra plus grave la crise fiscale et ce à cause de l’effondrement des recettes. La solution allemande n’est qu’une tentative pour tester la capacité de réaction des travailleurs grecs, faire peur à leurs homologues allemands et attiser le chauvinisme des travailleurs des autres pays. Cependant, cela ne pourra pas mettre un frein à la cessation des paiements de la Grèce ou à son extension vers d’autres nations — telles l’Espagne, l’Irlande, le Portugal et même l’Italie — soit sous la forme de crises fiscales et/ou bancaires ou industrielles (comme c’est le cas en Italie). Voilà pourquoi a débuté la spéculation contre l’euro.

De toute manière, ce qui est intéressant c’est que le cas de la Grèce met en évidence l’épuisement de la politique d’intervention de l’État pour contenir la récession et sauver les banques. C’est la crise au niveau du déficit fiscal et de l’émission de monnaie. Précisément, la crise grecque a été déclenchée par la décision de la Banque Centrale Européenne d’exclure la dette publique de basse qualification, comme celle de la Grèce, des garanties requises pour l’octroi de prêts aux banques qui finançaient de tels États. Précédemment, la Chine avait déjà commencé à restreindre la création de crédits pour contenir la spéculation immobilière puis boursière, ainsi que la croissance de la dette de leur Banque Centrale et l’inflation.

La situation fiscale des pays les plus développés (qui veulent donner des leçons à la Grèce) est encore pire que celle de la Grèce, car en plus d’enregistrer un déficit d’environ les mêmes proportions, ils ont une dette publique dont les échéances sont encore plus serrées que celles d’Athènes — en moyenne, les délais de paiement de la dette publique grecque couvrent 7,5 ans, tandis qu’aux États-Unis la période est de quatre ans (The Economist, 13/2). Le FMI vient d’avertir que, pour ce qui est des pays les plus développés, “la politique monétaire, sous toutes ses formes, a atteint ses limites”, cela veut dire que si elle perdure il pourrait en résulter une hyperinflation et des dévaluations en série. Pour ce qui est de la crise fiscale, il indique que si l’on ajoute aux déficits courants des prochaines années les dépenses liées aux retraites, qui n’ont pas de financement prévu, le bilan négatif pourrait atteindre en 2050 250% du PBI en Italie, 300% en Allemagne, 400% en France, 450% aux États-Unis, 500% en Grande Bretagne et 600% au Japon. C’est pour cette raison que toutes les propositions d’ajustement tournent surtout autour de la suppression du système des retraites, qui ne représentent que des salaires perçus au terme de la vie professionnelle. Ces prévisions sont fort intéressantes car elles vont de pair avec les estimations de croissance de la productivité du travail, ce qui est clairement contradictoire. Or, avec le capitalisme, la croissance de la productivité du travail entraîne en même temps une réduction relative de la valeur de la richesse marchande, ce qui créé une tendance à la baisse du taux de profit sur le capital investi et la surproduction, ainsi qu’une tendance vers un chômage massif. Avec le capitalisme la richesse ne se mesure pas à l’aune de son utilité sociale mais à celle de la génération de capital — c’est pourquoi dans toutes les crises la société périclite entourée de ressources humaines plus nombreuses que jamais. Le capitalisme ne peut garantir la retraite promise car il ne peut non plus garantir aux travailleurs de tous les âges un travail productif idoine.

L’éditorialiste du Financial Times vient d’écrire que “la Grèce n’est pas les États-Unis”, mais au cours de son raisonnement, malgré lui, il donne la preuve du contraire. La crise d’un pays ne constitue pas seulement un miroir pour les pays qui se trouvent dans une situation similaire, en fait, elle revêt de l’importance à cause de l’impact qu’elle produit sur l’ensemble des rapports qui constituent l’économie mondiale, en rapprochant les différentes structures et spécificités nationales vers le même abîme. Si, par exemple, la cessation de paiements de la Grèce devait entraîner son exclusion du système monétaire européen (comme c’est déjà le cas de la Grande Bretagne ou des pays scandinaves), aux yeux de beaucoup cela signifierait le début de la fin de l’Union Européenne. Mais il n’est pas nécessaire d’aller si loin : la conversion de la Grèce en un protectorat de l’U.E. est d’ores et déjà le signe de cette désintégration.

Jorge Altamira

Argenpress . Buenos Aires, le 19 février 2010.

Traduit pour El Correo par Marina Almeida et révisé par Estelle Debiasi.

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