recherche

Accueil > Les Cousins > Brésil > Coup mortel au Brésil mais pas pour Lula

22 février 2017

Coup mortel au Brésil mais pas pour Lula

par Eric Nepomuceno *

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Les résultats des nouveaux sondages relatifs au gouvernement de Michel Temer et aux élections présidentielles de 2018 ne nous surprennent pas. La véritable surprise réside dans les pourcentages.

Nous savions déjà que le gouvernement né du putsch constitutionnel de l’an dernier avait été mal évalué par les Brésiliens. Ce qui est surprenant c’est qu’en octobre 2016, 36,7 % des sondés avaient une opinion franchement négative du gouvernement, tandis que 38,9 % estimaient qu’il était acceptable ; désormais ces pourcentages sont respectivement de 44,1 et de 38,9 %. Seuls 10 % des Brésiliens ont une opinion positive de leur administration.

En ce qui concerne les mesures de Michel Temer, en octobre, 51,4 % des personnes interrogées étaient contre, 31,7 % pour. Aujourd’hui, 24,4 % le soutiennent, tandis que 62,4 % désapprouvent ses actions.

Pour en venir aux élections présidentielles de 2018, nul doute ne faisait que Lula da Silva serait à la tête des sondages pour le premier tour et qu’il serait inévitablement présent au deuxième. Désormais, cette prévision change de manière radicale. Quel que soit le cas de figure avec une liste variable de candidats, Lula possède un avantage immense tant au premier qu’au deuxième tour.

Une curiosité : un face à face au deuxième tour entre Lula da Silva et Michel Temer donnerait un résultat olympique : respectivement de 43 à 19 %. De nombreux aspects attirent l’attention des analystes des différentes tendances politiques. Tout d’abord, malgré la campagne perverse et sans répit de tous les médias, du juge provincial Sergio Moro, du parquet et de la police fédérale contre Lula, son image s’est consolidée et au cours des derniers mois le nombre de personnes le soutenant a augmenté. Ensuite, on remarque chaque jour de plus en plus que le putsch de l’an dernier avait pour seul objectif d’éloigner le PT, de démanteler toutes les actions réalisées lors de ses années au gouvernement, d’installer une sorte de marionnette au Palais Présidentiel, d’imposer un programme économique néolibéral de type fondamentaliste et d’arriver en 2018 avec un candidat, Aécio Neves, en position de favori.

Lula emprisonné ou déclaré inapte, la dureté et l’impopularité de la récession économique, ainsi que l’aggravation des conditions sociales seraient évidemment endossées par le PMDB, complice à jeter aux oubliettes, un point c’est tout.

Pour être franc, la partie la plus importante du plan a fonctionné. Certes avec quelques heurts, comme le choix par Temer d’une véritable bande de mafieux pour la composition de son cabinet, mais ce sont les risques du métier dans un environnement politique hautement corrompu et nauséabond comme l’est celui du Brésil.

Il est plus qu’évident que la manœuvre a fonctionné, mais le plan, quant à lui, a échoué de manière assourdissante. Le panorama économique, fortement rongé dès le premier jour du deuxième mandat frustré de Dilma Rousseff grâce à la complicité des architectes du putsch –l’immanquable Aécio Neves et l’ex-président Fernando Henrique Cardoso– par la législature la plus rétrograde, et la moins éthique et morale depuis le retour de la démocratie en 1985 présente la pire récession de l’histoire de la République instaurée en 1889.

Tous les indicatifs pointent cette régression brutale. Un exemple : au début de l’année 2016, un million et demi de Brésiliens ont abandonné leurs mutuelles privées de santé pour s’en remettre aux mains d’un service public pathétiquement inefficace. Rien qu’en janvier dernier, ils étaient 150 000 dans ce cas. Le chômage, qui avait atteint des niveaux historiquement bas au temps où le PT était au pouvoir, est de nouveau au sommet.

Résultat : le coup d’État de l’an dernier s’est avéré mortel, pas pour Lula da Silva mais pour les putschistes, à commencer par Aécio Neves et son PSDB. Même si le parti présentait un autre candidat, le panorama ne serait guère mieux : ils seraient tout au-dessous des 10 % des intentions de vote déclarées. Nouvelle la plus amère de toutes ? La surprenante force avec laquelle le député Jair Bolsonaro apparaît dans les dits sondages. Il disposait de 6,5 % des intentions de vote en octobre, désormais il atteint des niveaux alarmants situés entre 11,3 et 12,1 % de sympathisants. Pourquoi autant de préoccupation ? Parce que cette version tropicale de « l’antépoliticien » est un ancien militaire qui défend corps et âme la dictature, dément l’existence de la torture, est partisan de la peine de mort, porte-parole de la célèbre phrase de la campagne « un bon bandit est un bandit mort » et toute une interminable liste de diverses énormités.

Bien que l’on sache que les sondages dépeignent uniquement le portrait d’un moment déterminé et que ce qui nous intéresse est ce que l’on appelle la courbe dynamique, nous ne pouvons nier l’évidence que depuis la consolidation du putsch en juin dernier, seuls deux candidats ont vu leurs possibilités d’être élus : Lula da Silva et Jair Bolsonaro. Il y a peu, imaginer un face à face entre ces deux candidats au deuxième tour aurait été un motif pour envoyer quiconque à l’hôpital psychiatrique le plus proche. Ce n’est désormais plus le cas. Aujourd’hui cette pensée est certes lointaine et peu probable, mais elle n’est plus impossible.

Et l’on doit pour cela remercier Aécio Neves, Fernando Henrique Cardoso et toute la formidable bande de flibustiers soutenus par les banques, les médias, les entrepreneurs et une opinion publique abrutie.
Merci aussi aux partis pourris, à un système politique boueux et à une sorte de gangrène morale qui ronge le pouvoir judiciaire de mon pays.

Eric Nepomuceno* depuis Río de Janeiro.

Página12. Buenos Aires, 17 février 2017.

*Éric Nepomuceno est un homme de Lettres. Il a quitté son Brésil natal pour se rendre à Buenos Aires en 1973, où il a débuté dans le monde du journalisme dans une langue qui n’était pas la sienne. Il a alors travaillé en tant que correspondant du journal Diario de São Paulo, il a collaboré avec La opinión et avec le magazine Crisis, dirigé par Eduardo Galeano. En 1976 il déménage à Madrid, pour devenir la plume du magazine brésilien Veja en Espagne. Il démarre alors une collaboration avec Cambio 16 et avec le tout nouveau journal El País ; mais trois ans plus tard il retraverse l’océan pour s’installer cette fois au Mexique. Nepomuceno est revenu au Brésil en 1983 pour travailler de nouveau avec El País, relation qui a duré jusqu’en 1989. Il est actuellement le correspondant à Rio de Janeiro du magazine argentin Página 12. En plus de cette facette journalistique, Éric Nepomuceno est écrivain et traducteur. Il a traduit en portugais les œuvres de certains de ces amis, tels que Gabriel García Márquez, Julio Cortázar, Eduardo Galeano, Juan Rulfo et d’autres écrivains de renommée comme Miguel de Unamuno. Parmi ses traductions, on retrouve un étrange trésor : Fuego en las entrañas, un roman porno écrit par Pedro Almodóvar en 1979 lorsqu’il était fonctionnaire chez Telefónica

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Floriane Verrecchia-Ceruti

El correo de la Diaspora. Paris, le 22 février 2017.

Contrat Creative Commons
Cette création par http://www.elcorreo.eu.org est mise à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 Unported. Basée sur une œuvre de www.elcorreo.eu.org.

Retour en haut de la page

El Correo

|

Patte blanche

|

Plan du site