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19 février 2014

Coup d’État doux au Venezuela, et ce qui suit

par Luciano Wexell Severo *

 

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Encore une fois l’élite vénézuélienne, appuyée, entraînée et financée par Washington, se jette contre un gouvernement démocratiquement élu. Les meneurs de la trame au Venezuela sont Henrique Capriles, Leopoldo López, Maria Corina et Antonio Ledezma. Trois playboys et un représentant d’ « Action Démocratique ». Leur calcul facile vise le fait que Nicolás Maduro n’aurait pas la même capacité de résistance que Chavez face à un coup d’Etat. Il faut faire attention à la possibilité que les yankees assassinent un de ces « leaders », accroissant ainsi la tension interne et la pression internationale.

La crise profonde des dernières années du XXe siècle a ouvert une brèche pour de nouvelles tentatives de projets autonomes pour la solution des problèmes nationaux en Amérique Latine. Dans un scénario de rejet des programmes du FMI et de la Banque Mondiale, en décembre 1998 les Vénézuéliens ont appuyé la candidature d’Hugo Chávez.

L’élection présidentielle n’a rien représenté de plus que le résultat d’un processus historique, qui depuis le forage des premiers gisements pétroliers avait bénéficié aux compagnies pétrolières et à une très réduite élite locale, au détriment de l’immense majorité de la population. Un mouvement continental a resurgi, encore une fois au Venezuela, en défense de l’indépendance économique, de la souveraineté, de l’autodétermination et de l’intégration latinoaméricaine-caribéenne.

On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs

Les principales mesures du nouveau gouvernement, tant dans le domaine économique et que social, ont été prises afin de corriger les distorsions historiques structurelles et de refonder le pays. En continuant sur cette voie il y aura, comme il y a effectivement eu dès 1999, des affrontements frontaux et irrémédiables avec les secteurs et les intérêts les plus privilégiés. Tout changement pour le meilleur, passe obligatoirement, par la rupture avec l’état injuste de choses. Pour cette raison, depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement bolivarien a fait face à des situations politiques et économiques très défavorables, générées par l’alliance entre des intérêts internationaux – surtout US – et l’oligarchie créole.

Face aux scénarios actuels, nous nous rappelons les événements d’il y a 12 ans. A cette époque, les interventions du gouvernement ont provoqué une rude bataille qui a duré presque deux ans. Entre décembre 2001 et février 2003, le Venezuela a vécu sa crise politique et économique la plus complexe. A la tête de la campagne d’opposition se trouvaient l’Ambassade des États-Unis d’Amérique à Caracas, le management de PDVSA, la Fedecámaras, la Centrale de Travailleurs de la Venezuela (CTV), l’Église Catholique Apostolique Romaine et d’autres secteurs oligarchiques et conservateurs compromis avec les intérêts étrangers.

Les préparations pour le coup d’État ont été appuyées par les grands médias privés de communication. Le 11 avril, des francs - tireurs d’un commando de l’opposition ont tiré depuis divers points du centre de la ville sur les manifestants qui marchaient autant en soutien au gouvernement que de l’opposition. Les chaines privés de télévision, en jouant leur rôle dans un show mis au point plusieurs semaines auparavant, ont déformé les faits et ont accusé le gouvernement des assassinats. Préalablement au dénouement des lamentables événements, les militaires putschistes avaient déjà enregistré une vidéo dans laquelle ils condamnaient les morts et déclaraient leur désobéissance.

Le retour au passé

Dans une obscure cérémonie au Palais de Miraflores, l’autoproclamé président Pierre Carmona a pris cinq minutes pour dissoudre l’Assemblée Nationale élue par le peuple ; annuler les Lois sur les Hydrocarbures, celles sur les Terres et encore 47 autres normes juridiques ; révoquer la Constitution de 1999, la seule approuvée par un référendum populaire ; suspendre les exportations de pétrole vers Cuba ; ordonner la persécution des ministres, des députés et des autorités des différents pouvoirs ; le complément de « Bolivarienne » du nom officiel du Venezuela ; dessiner la sortie du pays de l’OPEP [dont Chaves était le président. NDLT], entre d’autres mesures. Comme on le sait, le peuple s’est rebellé et les Forces armées fidèles au processus de changements ont garanti le retour de Chavez le jour suivant.

À la fin de 2002, il y a eu une nouvelle offensive putchiste. Avec l’appui affirmé des grands médias, quelques organismes ont appelé à la paralysie nationale et se sont déclarés en « désobéissance civile ». Le mouvement qui a avancé vers une « grève générale » a été essentiellement poussé par la classe patronale. Son objectif était que Chavez démissionnerait. Cela n’a pas beaucoup tardé pour que la direction de PDVSA, idéologiquement soumise aux intérêts étrangers, assume son rôle. Pendant le moment le plus tendu du conflit – qui a duré jusqu’à en janvier 2003 – ont été détruits des équipements, de la machines, des ordinateurs et des installations physiques d’usines et de raffineries ; des navires pétroliers ont été retenus et les exportations suspendues ; des oléoducs ont explosé laissant le pétrole s’échapper. Le Venezuela a connu pour la première fois un rationnement des combustibles. Les citoyens ont fait la queue sur des kilomètres pour acheter de l’eau, des aliments, du gaz ou de l’essence.

Le PIB a chuté de 8,9 % en 2002. Le secteur industriel est resté pratiquement paralysé : il était tombé de 13,1 % en 2002 et est descendu à 6,8 % en 2003. L’activité manufacturière avait reculé depuis les années 90 mais durant les années 2002-2003 a touché le fond du puits. La conspiration orchestrée depuis Washington a fait chuter la production pétrolière de trois millions de barils par jour à moins de 200 mille, freinant l’appareil productif et entrainant la fermeture de centaines d’entreprises. Au bord d’un collapsus économique, en janvier 2003 le pays a été obligé d’importer du pétrole. Les produits de base ont disparu et les prix ont flambé à des niveaux inimaginables. La situation d’extrême insuffisance a clairement démontré la dépendance vénézuélienne sur différents biens, stimulant le gouvernement à pousser des projets relatifs à la « souveraineté alimentaire ». L’inflation qui avait présenté une tendance décroissante a explosé encore une fois. Le scénario pour un nouveau coup d’État prenait forme.

Les chiffres de la banque Centrale du Venezuela soulignent que pendant le premier et le second trimestre 2003, le PIB est tombé de 15,8 % et 26,7 %, respectivement. Dans la même période, le PIB pétrolier a chuté de 25,9 % et 39,5 %. Au total, ce fut sept trimestres consécutifs de chute de l’économie, presque deux ans de graves tensions. Ont brusquement chuté le PIB par tête, les réserves internationales et le taux d’investissement en pourcentage du PIB. Le chômage a explosé à 20,7 %, l’inflation à 32,4 % et les taux d’intérêt aussi. La chute de l’économie 2003 a été de 7,7 %. En termes réels, on a touché un niveau inférieur à celui de 1991. Cette guerre économique a fait partie de la stratégie pour renverser Chavez.

Que celui qui a des yeux regarde

L’une des déformations héritées de la période néolibérale est le mépris pour le processus historique. La vision à court terme, la raison du système financier : virtuel, intemporel, décollé de la réalité, fictif. Cela pourrait être l’une des explications pour que des « analystes » orthodoxes considèrent le gouvernement comme responsable de la fermeture des entreprises, de la croissance du chômage, de la chute de la rente, de l’augmentation de l’inflation c’est-à-dire, de tous les résultats négatifs de l’économie entre 1999 et 2003. À cette période ils ont même essayé de le nommer comme le « quinquennat perdu ».

Face à cela, il est opportun de rappeler qu’Hugo Chavez a gagné les élections présidentielles de décembre 1998 parce que le Venezuela faisait face à sa crise économique, politique, sociale, institutionnelle et morale la plus catastrophique, après quarante ans du « Pacte de Punto Fijo ». Le pays littéralement agonisait comme un reflet l’entière soumission de la vie nationale aux multinationales. L’assaut étranger était protégé de l’intérieur par la crème de la société vénézuélienne submergée dans un pervers festin oligarchique-pétrolier.

Une analyse sérieuse – qu’elle soit universitaire ou informative– peut constater que, malgré les problèmes éventuels et toutes les difficultés qui surgissent sur le chemin, le gouvernement actuel n’est pas le créateur des problèmes complexes structuraux. Au contraire, l’actuel gouvernement essaie de corriger exactement ces distorsions générées pendant les dernières décennies. Pour en finir, il semble évident que c’est l’interprétation de la majorité des Vénézuéliens qui votent dans le temps pour la continuité de la Révolution Bolivarienne.

Les pirates reviennent à la charge

Les putschistes jouent à la déstabilisation politique, avec des actes de vandalisme. Mais ce que dénoncent leurs journaux, payés par les grandes entreprises, est une supposée violence répressive de l’État. Les putschistes parient sur l’accaparement des biens de première nécessité, cachent et brûlent des produits pour fomenter l’insatisfaction et l’explosion des prix. Mais ce que leurs journaux dénoncent est l’inflation la plus élevée d’Amérique Latine. Ils adoptent la « formule pour le chaos », en essayant de déstabiliser l’économie et la société par des attentats, accaparements et spéculation.

En ce moment, une fois de plus, l’élite vénézuélienne, appuyée, entraînée et financée par Washington et l’Ambassade US à Caracas, se jette contre un gouvernement démocratiquement élu. Les meneurs de l’affaire au Venezuela sont Henrique Capriles Radonski, Leopoldo López Mendoza, Maria Corina Machado et Antonio Ledezma. Ce sont trois playboys originaires des familles privilégiées et un représentant du détérioré parti Action Démocratique (AD). Pourquoi nourrissent-ils tant de haine ? Parce qu’ils ont été eux et leurs familles les bénéficiaires historiquement du Puntofijismo, que ce soit à travers des emplois dans l’ancienne PDVSA ou via des entreprises sous-traitantes. Aujourd’hui, leur calcul facile vise à ce que Nicolás Maduro n’ait pas la même capacité de résistance que Chávez devant un coup d’Etat doux, d’une durée moyenne. Il faut faire attention à la possibilité que les yankees n’assassinent pas un de ces « leaders », approfondissant ainsi le scénario de tension interne et celui de la pression internationale.

Et plus de Chávez viendront

Cependant, il vaut mieux se rappeler que la situation n’est pas la même que celle de 2002. Bien que physiquement Chavez ne soit pas, les forces bolivariennes semblent s’être beaucoup plus consolidées. Malgré les difficultés et les erreurs, le camp nationaliste et révolutionnaire contrôle la rente pétrolière obtenue par PDVSA. De plus, il contrôle les Forces armées et l’accès aux devises internationales. Il a aussi beaucoup plus de présence dans le domaine productif et dans les médias.

Cependant, le plus important de tout cela, c’est que le peuple vénézuélien a gagné en conscience politique et qu’il ne semble pas disposé à permettre un retour au passé. A un passé d’exclusion sociale, d’inégalité économique et de soumission à l’étranger. En faisant ces réflexions, on se rappelle deux phrases. La première est de Chavez, en 2004. Qui affirme depuis le Balcon du Peuple, en célébrant la victoire au référendum du 15 août que « Venezuela a changé pour toujours ». L’autre phrase est de Maduro. En mars 2013, il a affirmé : « Viendront plus de Chavez ». Tout appui au peuple vénézuélien et à son président Nicolás. De la prison pour l’oligarchie putchiste et pour les déstabilisateurs.

Luciano Wexell Severo * pour El Correo

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

Luciano Wexell Severo . Économiste brésilien formé à l’Université Pontifícia Católica de São Paulo (PUC/SP), Severo est titulaire d’un Master et doctorant d’Économie Politique Internationale (PEPI) de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), chercheur de l’Institut de recherche Économique Appliquée (IPEA) au Brésil et professeur invité de l’Université Fédérale de l’Intégration Latinoaméricaine (UNILA). Entre 2004 et 2005, fut consultant de la Banque du Commerce Extérieur du Venezuela (Bancoex), puis, de 2005 a 2007, conseiller du Ministère des Industries Basiques de Minerai du Venezuela (Mibam). Entre 2008 et 2012, il a exercé les fonctions de Directeur Exécutif de La Chambre de Commerce et d’Industrie Brésil-Venezuela à Rio de Janeiro.

El Correo. Paris, le 18 février 2014.

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