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23 février 2024

Comment et qui construit l’extrême-droite libertarienne

« Je n’ai jamais entendu un tel discours à Davos »

par Martín Granovsky

 

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L’expert de l’extrême droite ultra-libérale analyse Milei et son réseau international. Qu’est-ce qu’Atlas ? Ce que signifie l’éloge par Elon Musk du discours du président argentin.

Hyper est le préfixe. Hyperactivité. Hyper agressivité. Giancarlo Summa entend le commentaire sur le préfixe et n’est pas surpris. « Ils occupent l’agenda en permanence », dit-il. « Leur conflit politique pour l’hégémonie est constant. La question, pour eux, est d’occuper tout l’espace public, les rythmes de la discussion. Et en cela, ils sont plus efficaces que la gauche progressiste, ou quel que soit le nom qu’on lui donne dans tous les pays du monde ».

Italo-brésilien et ancien fonctionnaire des Nations unies, Summa est âgé de 58 ans. Il est journaliste et politologue. Chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris, il a cofondé Mudral (Multilatéralisme et droite radicale en Amérique latine). Il a été conseiller en communication pour les campagnes électorales de Lula en 2002 et 2006, responsable de la communication de la Banque interaméricaine de développement en Europe et directeur de la communication de l’ONU au Brésil, au Mexique et en Afrique de l’Ouest. Il a passé des années à étudier les leaders (le "ils" dans ses phrases) des altrights, les extrêmes droites ultra-libérales ou, comme il le dirait, comme dans s’appellent chaque pays du monde.

En Argentine, son sommet est Javier Milei, mais lors de son dialogue téléphonique avec ¿Y ahora qué ? Summa, il insiste sur le fait qu’il faut toujours regarder le monde entier.

À Davos, Milei a prononcé le discours le plus idéologique jamais entendu.Normalement, les grandes questions et les mégatendances de la société et du capitalisme mondial sont discutées à Davos.Il ne s’agit pas d’une réunion de révolutionnaires, bien sûr, mais il y a souvent des discours sur le changement climatique, la retour autoritaire, les migrations, l’instabilité mondiale... Parfois, les chefs d’État des pays en développement s’y rendent pour essayer de convaincre les autres qu’ils ont des solutions pour leurs pays et qu’ils méritent donc la confiance. Ou bien ils demandent des investissements.

Le discours de Milei était donc étrange, même pour Davos ?

Je n’ai jamais entendu un tel discours. Où est le socialisme dans le monde, maintenant que la guerre froide est terminée ? La Corée du Nord seule ? En fait, Milei a continué à critiquer la justice sociale et à présenter la fiscalité comme une force coercitive, des choses qui mettraient en danger l’Occident comme le fruit d’un complot mondial.Un discours qui, au Brésil, aurait pu être tenu par Olavo de Carvalho, une sorte de philosophe fou d’extrême droite, théoricien de Bolsonaro. Il est intéressant de noter que la personne qui a fait l’éloge du discours de Milei est ElonMusk, de Tesla et de X. Musk est l’un des personnages les plus marquants de l’extrémisme de droite dans la sphère économique.Les autres hommes d’affaires ne sont pas exactement des socialistes, mais ils ne proposent pas, comme Milei, l’exctinction de l’Etat. Milei se situe ouvertement à un niveau international à l’extrême droite.

Le « ils » que vous avez mentionné tout à l’heure fait-il partie d’une conspiration ?

Il ne s’agit pas de conspirations mais de réseaux d’extrême droite et d’ultra-néolibéraux. L’un de ces réseaux est l’Atlas Network [« Atlas Network en Fr »]. Dans ces réseaux, ils échangent leurs expériences sur chaque pays. Sur ce qui s’est passé, par exemple, au Brésil avec Jair Bolsonaro et aux États-Unis avec Donald Trump.

Que les ultras des autres pays ont-ils appris du Brésil et des États-Unis ?

L’époque. Trump et Bolsonaro ont respecté les règles démocratiques au début. Ils n’ont pas changé autant de choses qu’ils le voulaient, et dans un sens, cela les a empêchés de faire la révolution ultra-libérale qu’ils avaient annoncée .Ensuite, il était trop tard, parce que l’opposition s’est renforcé et a travaillé. Nous parlons de deux pays, avec leurs différences évidentes, avec des institutions complexes et des contre-pouvoirs. Bolsonaro et Trump sont tous deux arrivés jusqu’à la tentative de coup d’État après avoir échoué à remporter les élections. Mais, j’insiste, il était trop tard.

Et Milei ?

Milei a fait quelque chose de plus dangereux et de plus intelligent de son point de vue. Il a utilisé le soutien de la légitimité et de la crédibilité, son capital politique, qui est très important au début d’une présidence, pour essayer d’imposer dès le premier instant l’agenda qu’il avait promis sur le terrain ultra-libéral. Dans le gradualisme politique, l’opposition peut s’organiser et les contre-pouvoirs peuvent commencer à fonctionner. Milei joue à ne pas donner de temps, à ne pas perdre de temps. Je le dis avec regret, mais il a fait le bon choix dans son propre intérêt.

Quels seraient ces intérêts ?

Un programme de changement profond dans la façon dont le pays fonctionne.Il ne s’agit pas seulement de gagner une élection, mais de changer les conditions matérielles et institutionnelles.Les gouvernements progressistes n’ont jamais utilisé leur capital politique pour promouvoir un changement radical.La droite, en revanche, n’a aucun complexe. Ni Bolsonaro ni Trump n’étaient des imbéciles, mais ils manquaient toutefois d’instinct politique. Et en même temps, ils ont fait preuve d’un grand raffinement dans les systèmes de communication. Y a- t il aussi des conseillers et de l’aide de l’extérieur ?

Il y en a ? Atlas, c’est la même chose ?

Atlas est une continuation intellectuelle, mais plus active sur le terrain, de la Société du Mont-Pèlerin créée dans les années 1940. Ces personnes ont travaillé à la construction d’une idéologie hypernéolibérale pendant 40 ou 50 ans et ont réussi à la faire passer dans le courant dominant, dans le sens commun. Atlas a été créé en 1981.

Ronald Reagan commençait et Margaret Thatcher était déjà au pouvoir

Oui, ils ont formé des cadres dans le monde entier et en Amérique latine. Ils ont plus de 500 centres associés. Plus de 100 en Amérique Latine.Ils organisent des cours de formation, des réunions, ils décernent des prix aux jeunes qui se sont le mieux organisés et qui ont le mieux argumenté à propos de la disparition de l’État et la privatisation de tout. Ils font quelque chose que les progressistes ont cessé de faire, à savoir former des cadres. Dans le cas du Brésil, un article universitaire a révélé que plus de 100 personnes issues de centres affiliés ont rejoint le gouvernement de Bolsonaro.Ils n’ont pas de partis comme base pour former des cadres mais les forment ainsi. Et ils créent des mythes. Ils ont des valeurs hyper liberales qui rendent posible l’élections de gens comme Milei ou Bolsonaron. En même temps ils éduquent et forment les cadres qui vont travailler au sein de leurs gouvernements. C’est une opération extrêmement efficace.

Les Européens ont tendance à considérer que tout le monde est populiste

C’est une erreur.Ce ne sont pas des populistes.Ce sont des variantes de la droite radicale.Et attention, ils sont tous très forts pour utiliser les réseaux sociaux, qui est la forme de communication de l’époque contemporaine, avec une baisse de niveau dans la concentration des gens pour lire des choses complexes.

Ils sont un réseau international mais leur thématique pour attirer des sympathisants ne semble pas être les relations internationales

Les réseaux parlent de ce qui se passe dans chaque pays. La politique est toujours d’abord locale. Mais les problèmes sont reproduits à partir des mêmes images et des mêmes idées. Je ne pense pas qu’il y ait un centre universel de l’extrême droite. Il y a des réseaux, et donc certains reproduisent les idées et les formes des autres. C’est ainsi qu’elles circulent.

Milei parle, comme au Forum de Davos, de collectivisme et de « marxisme culturel »

Ils font le lien avec les Objectifs de développement durable, les ODD de l’ONU pour 2030. Le marxisme culturel, c’est le nom de l’éducation publique, de la réduction de la famine, du développement propre, de l’eau propre et de la réduction des inégalités. L’idée de criminaliser la protestation et la dissidence circule également.

En Argentine, il existe déjà un nouveau protocole contre la protestation

Je le sais.Atlas a travaillé d’arrache-pied sur le plébiscite australien sur les droits des indigènes. Contre, bien sûr .Avec les mêmes arguments qu’en Amérique Latine. Il y a une convergence non fortuite de questions dans des parties très différentes du monde. Il y a une unification du discours parce qu’il existe des réseaux d’échange d’idées et même de connaissances personnelles entre les dirigeants de droite. Les jours mêmes de l’assaut du Capitole, Eduardo Bolsonaro, le fils le plus actif de Jair Bolsonaro, a rencontré Trump. Une photo de 2022 montre Milei, Kast et Bolsonaro au Brésil. Avec les Européens, ils participent aux réunions de la Conservative Political Action Conference, où l’Italienne Giorgia Meloni et le Hongrois Victor Orbán sont très actifs.

Orbán et les Bolsonaros étaient en Argentine lors de l’investiture de Milei

Et ils prétendent tous être contre l’État. Certains parlent même de casser l’État. D’autres abordent d’autres thèmes. Marine Le Pen parle plutôt de droits pour les seuls Français en tant qu’ethnie, c’est-à-dire qu’elle exclut les étrangers, même s’ils sont des Français enfants d’étrangers. Le phénomène de la droite radicale est déjà présent partout dans le monde. En Europe, en Amérique. Peut-être pas en Afrique. Et, avec ses différences, on peut distinguer cette droite par cinq caractéristiques.

Quelles sont-elles ?

La première caractéristique est le rejet des droits de l’homme de manière globale : les droits politiques, sociaux et de genres. Le seul droit qu’ils défendent c’est le droit à la propriété.

Seconde caractéristique

Exaltation du patriotisme, du nativisme, de la recherche d’une communauté homogène. Et de là découle une exigence d’adhésion à l’État comme représentant légitime de cette communauté. C’est pourquoi Milei parle de « bons Argentins ». En d’autres termes, la patrie est importante mais les autres sont des gauchistes de merde qu’il faut éliminer. La troisième caractéristique est l’utilisation permanente de l’antinomie ami-ennemi. Même s’ils ne se réclament pas de Carl Schmitt, ils disent qu’il faut éliminer les ennemis.

Politiquement ?

Politiquement, en principe. Mais physiquement, pourquoi pas ?

Quatrième caractéristique ?

L’obsession du traditionalisme. L’exaltation d’un passé prétendument glorieux, où tout allait bien, avant l’arrivée des droits, des indigènes, des femmes, de la diversité. Milei parle de l’époque où l’Argentine était le pays le plus riche du monde, ce qui n’est jamais arrivé. C’est l’idée d’un passé mythique, qui par définition n’a jamais existé.

La cinquième, Giancarlo ?

Le renversement et l’utilisation de la violence. Parfois physique, comme aux Philippines, où 25 000 personnes ont été tuées pour trafic de drogue. Et parfois symbolique. La tronçonneuse de Milei. L’exaltation permanente des armes à feu par Bolsonaro ou Trump. Tronçonneuse, exaltation des armes à feu par Bolsonaro ou Trump. On ne parle pas forcément des chemises noires du nazisme mais en même temps il y a toujours une violence menaçante très forte dans le discours politique. En Inde, le parti au pouvoir de Modi structure le sentiment anti-musulman. D’un point de vue plus technique, ils utilisent tous beaucoup de communication directe avec le peuple, de la part du leader. Le pouvoir charismatique, dirait Schmitt. C’est par le plébiscite que Milei menace. Chávez l’a également fait au Venezuela, pour dire la vérité. Et un autre fait que je vois très marqué en Argentine : ignorer le Congrès. Pourquoi le prendre en compte, s’il est un simple intermédiaire ?

Tous utilisent beaucoup les médias sociaux, n’est-ce pas ?

Presque tout le monde. En Amérique, ce sont les dirigeants eux-mêmes qui les utilisent. Ni Modi ni Erdogan en Turquie ne font de même. Leur travail est plus institutionnel, comme s’ils voulaient renforcer leur stature d’homme d’État. Bien sûr, là-bas, les idées circulent dans un monde souterrain qui ne leur est pas étranger. Autrefois, la radio était le média privilégié. Aujourd’hui, ce sont les réseaux. Rien de nouveau.

Quel est le point commun des discours violents ?

Un point commun : l’exploitation de la peur.L’espoir, qui est l’appel des progressistes, est un sentiment faible.La peur est un sentiment fort car elle renvoie à la nécessité de survivre. La peur de la criminalité. La fermeté comme réponse. Peur des migrants. La culpabilisation est l’outil. Pour ce schéma, les réseaux sociaux sont fantastiques, car ils encouragent les discours avec peu d’idées. Avec des idées très basiques, très simples. Ils sont l’instrument parfait pour la droite dans un monde où les écoles sont de plus en plus mauvaises, où les jeunes ne savent pas lire ou comprendre un texte. Ce n’est pas que les réseaux soient de droite. Ce serait stupide. C’est qu’ils sont plus adaptés à la droite. Les progressistes sont souvent maladroits, mais ils ont aussi un problème objectif : leur discours est complexe.

Et ils ne veulent pas le simplifier

Non, et dans les réseaux, on ne peut pas problématiser. Les progressistes offrent de l’espoir et présentent de la complexité. Il est difficile de transformer cette combinaison en un discours politique gagnant. Pour ne rien arranger, les progressistes ont gouverné durant des années mais les résultats n’ont pas crée vraiment de transformations. Que dire alors aux gens ? Que lors du prochain gouvernement nous ferons ce que nous n’avons pas été capable de faire lors des trois derniers ? Difficile ? Non ?

Martin Granovsky * par Y ahora qué ?

Y ahora qué ?. Buenos Aires, le 20 janvier 2024.

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la Diaspora. Paris, le 22 de enero de 2024.

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