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16 janvier 2006

Canada : Une politique extérieure sous influence

Questions pour Paul Martin

 

Par Pierre Beaudet
Alternatives
. Canada, lundi le 9 janvier 2006.

Depuis le début de la campagne électorale, les débats sont rarissimes sur les enjeux de la politique extérieure canadienne. C’est inquiétant, compte tenu de l’environnement « mondialisé » dans lequel on vit. Au moins, Paul Marin a défendu la souveraineté canadienne contre les déclarations plutôt agressives de l’ambassadeur américain au Canada et rappelé que les intérêts du Canada passaient au-dessus les volontés états-uniennes. C’est quand même mieux que Stephen Harper qui prétend que le Canada devrait au contraire se rapprocher de Washington. Il faut se souvenir que, depuis la fameuse invasion américaine de l’Irak, le contentieux canado-américain s’est aggravée. L’administration Bush n’a pas « digéré » l’opposition de l’ex-premier Ministre Jean Chrétien à ses plans de « réingénierie » du Moyen-Orient. Néanmoins en constatant le comportement du gouvernement canadien sur quelques questions importantes, on peut se demander si le Parti Libéral reste déterminé à tenir tête aux ambitions hégémoniques des Etats-Unis.

Face à Washington : se tenir debout ou s’aplatir ?

Comme la plupart des pays dans le monde, le Canada a dit non à la guerre en 2003. Cette position a été récemment réaffirmée par le Paul Martin. « C’était une bonne position de ne pas y aller », a-t-il dit. Par contre, il est vrai de dire que cette opposition ne fait pas l’unanimité dans le caucus et même dans le cabinet. Au moment où le gouvernement de l’époque en discutait, le député et Ministre de la défense dans le gouvernement sortant David Pratt avait déclaré qu’il trouvait malheureux de voir que « pour la première fois, le Canada ne se joint pas à une action entreprise par la Grande-Bretagne, l’Australie et les États-Unis. » Dans un discours à la Chambre des communes le 29 janvier 2003 quelques semaines avant la guerre, Pratt avait repris les arguments de Bush à l’effet du « danger » que représentant Saddam et ses « armes de destruction massive ».

Or depuis, Pratt ne s’est pas dédit, au contraire. Par ailleurs, face à l’enlisement américain en Irak, le gouvernement canadien reste silencieux. Plusieurs secteurs influents au sein du Parti Libéral affirment que la priorité est de « réparer les pots cassés » avec Washington quitte à avaler les autres couleuvres qui s’en viennent, comme de possibles aventures américaines contre l’Iran ou la Syrie. Ne devrait-on pas faire pression (avec d’autres pays concernés) pour exiger un retrait de la force d’occupation américaine dans des délais rapprochés et s’opposer carrément au délire de Bush au moment même où celui-ci apparaît très contesté aux Etats-Unis mêmes ?

Militarisation et guerre de l’espace

L’an passé, le gouvernement canadien a eu une autre « patate chaude » dans les mains. Bush dans la lignée de sa politique agressive a entrepris de militariser l’espace via le projet de « bouclier anti-missile ». Après bien des hésitations, Paul Martin a fini par dire non à une participation canadienne directe à ce projet. En pratique toutefois, le gouvernement canadien a succombé aux pressions américaines en signant avec Washington un accord concernant le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) le 5 août 2004. Comme l’ont souligné à l’époque plusieurs observateurs, le résultat de cet accord en apparence technique est que le commandement américain (NORTHCOM) peut utiliser la fonction d’alerte aérospatiale du NORAD. De facto, NORTHCOM (basé au Colorado) commande un système « intégré » impliquant le Canada et les Etats-Unis dans cette militarisation de l’espace.

Depuis, le débat continue. Certains affirment que le bouclier antimissile ne va pas « vraiment » militariser l’espace. Mais la plupart des experts estime au contraire que ce projet inclut une nouvelle génération d’avions, de nouvelles technologies au laser, des intercepteurs placés en orbite, etc. Il faut rappeler que militarisation de l’espace sous le couvert de la défense antimissile fait partie d’une stratégie plus vaste de l’administration américaine. Mais pour David Pratt, tout cela est « normal ». Quelque temps avant la décision du Cabinet de ne pas participer au projet de bouclier, il écrivait une lettre au secrétaire américain de la défense, Donald Rumsfeld que « le Canada désire négocier un protocole d’entente-cadre avec les États-Unis en vue d’inclure le Canada à titre de participant à l’actuel programme américain de défense antimissile ».

Devant tout cela, que nous réserve l’avenir ? Le budget militaire de Washington dépassera en 2006 500 milliards de dollars, soit plus que l’ensemble des budgets militaires de tous les pays dans le monde. De toute évidence, la militarisation va continuer. Quelle sera la position d’un éventuel gouvernement libéral face à ces développements ? En quoi Paul Martin se démarque-t-il des promesses de Stephen Harper de gonfler le budget militaire canadien pour faire plaisir à Washington ?

Quelle politique face au conflit israélo-palestinien ?

Depuis le début des années 1990, le Canada avec d’autres pays a rééquilibré sa politique au Moyen-Orient en étant plus explicite sur le droit des Palestiniens de constituer un État indépendant, sur la nécessité pour les Palestiniens et les pays arabes de reconnaître Israël et sur l’obligation de la part d’Israël de respecter les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. Ces avancées ont cependant causé des remous. Sous l’inspiration du ministre de la justice Irwin Cotler, un groupe de parlementaires libéraux a entrepris de changer la politique canadienne qu’ils considèrent trop « pro-palestinienne ». Le Congrès juif canadien qui influence ces manœuvres estime que toute critique à l’endroit Israël revient à de l’« anti-sémitisme » et que le blocage du processus de paix découle uniquement de l’« extrémisme palestinien ».

À la suite des efforts de Cotler, le Canada s’est abstenu lors d’un vote de l’Assemblée générale de l’ONU dénonçant le « mur de l’apartheid » érigé par Israël pour isoler les territoires palestiniens. À d’autres reprises, le Canada s’est retrouvé dans la position inconfortable de voter avec les Etats-Unis et Israël contre le reste des pays-membres de l’ONU sur diverses résolutions demandant au gouvernement israélien de respecter la légalité internationale. Selon l’analyse israélien Aluf Ben, « le Canada a adopté une politique carrément pro-israélienne à l’ONU et s’est rapproché des positions Israël et des Etats-Unis ». (Haaretz, 5 décembre 2005).

Une politique extérieure sous influence

L’ancienne députée libérale Carolyn Parrish estime qu’Irwin Cotler dispose d’une influence indue sur les affaires extérieures au sujet de tout ce qui regarde le Moyen-Orient, bien que, à titre de ministre de la justice, « ce n’est pas son affaire ». Parrish a également dénoncé l’influence exercée par Gerry Schwartz, PDG de la corporation Onyx qui est aussi un des principaux collecteurs de fonds pour le Parti Libéral. Mais Schwartz est également l’un des principaux animateurs du Conseil canadien pour Israël (Canadian Council for Israel and Jewish Advocacy). Le Conseil a pour objectif de faire en sorte que le Canada appuie fermement le gouvernement israélien, y compris dans ses politiques agressives envers les Palestiniens et les pays de la région.

Le but est également de faire endosser par le Canada le plan dit de « désengagement » de Gaza (qui est plutôt un redéploiement). Encore là ce qui est présenté comme une volonté de paix du gouvernement israélien est en fait une stratégie pour enfermer les territoires palestiniens dans des enclaves déconnectées les unes des autres et annexer la majeure partie de la Cisjordanie y compris Jérusalem-Est où résident plus de 250 000 Palestiniens. Ce ne sont pas des Palestiniens qui le disent mais de nombreux partisans de la paix israéliens comme Uri Avnery. Pour contrer ce plan qui à coup sûr relancera le conflit, seul un effort concerté de la communauté international pourrait faire pression sur Israël et faire en sorte que ses dirigeants acceptent l’idée légitime et endossée par l’ONU de la mise en place d’un véritable État palestinien sur l’ensemble des territoires occupés depuis 1967.

Quelle sera la politique d’un éventuel gouvernement libéral face l’occupation des territoires palestiniens qui se perpétue ? Est-ce que le Canada à l’ONU va revenir à ses positions antérieures et se démarquer des politiques américaines et israéliennes ? Ces questions et bien d’autres interpellent les citoyens et les citoyennes qui s’apprêtent à voter le 23 janvier.

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