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19 janvier 2009

Argentine, Brésil, Mexique,
face à la crise internationale.

par Pierre Salama

 

Lorsque la crise des crédits hypothécaires a éclaté et que la récession a commencé à se profiler dans les économies développées, nombre d’économistes considéraient que les économies émergentes ne seraient pas ou peu affectées. L’amélioration de la plupart des indicateurs de vulnérabilité ainsi que le bon niveau des fondamentaux (excédents de la balance commerciale, reprise de la croissance et maintien d’un taux d’inflation à un niveau peu élevé, diminution plus ou moins prononcée de la pauvreté) devaient préserver les économies latinoaméricaines des effets nocifs d’une contagion possible. Certains économistes considéraient que les économies émergentes d’une manière générale, la Chine et l’Inde plus particulièrement, pourraient constituer une « chance » pour les économies développées et les « aider » à sortir de leur crise. Telle était par exemple la position défendue par des économistes de Goldman Sachs : la Chine, l’Inde, « moteurs » de la croissance mondiale, offriraient des débouchés suffisants pour compenser les effets négatifs de la crise financière sur la rentabilité des entreprises des pays développés.

Ainsi, les économies émergentes soit, plus « solides » qu’hier et donc moins vulnérables, soit « moteurs » de la croissance, non seulement ne devaient pas ou peu souffrir de la crise financière, mais pouvaient « aider » les pays développés à surmonter les effets négatifs de leur crise financière sur leur taux de croissance. D’autres économistes, assez rares il est vrai, nuançaient ces propos : tous les pays n’étaient pas exactement dans la même situation, et pour s’en tenir à l’Amérique latine, certains étaient plus vulnérables que d’autres, et pour les plus prudents, l’ampleur de la crise financière à venir constituait une variable importante à prendre en compte, une crise financière « rampante » comme celle qui affectait les bourses occidentales jusque la faillite de Lehman Brothers (septembre 2008) pouvait ne pas provoquer d’effets de contagion alors qu’une crise ouverte, envisagée par peu d’économistes, pouvait avoir un « effet tsunamis » et, se transformant en crise systémique, affecter des économies apparemment « saines ».

Depuis, révélant l’arrogance de la Finance et de ses théoriciens [1] qui pensaient qu’on pouvait indéfiniment « produire de l’argent à partir de l’argent » à des taux extrêmement élevés, l’Histoire a tranché. Larvée, la crise financière a éclaté et généré une crise économique, les deux crises se chevauchant l’une l’autre, s’insérant dans un cercle devenu « vicieux ». Recherche de liquidités, « crédit crunch » précipitent la crise ; à l’inverse les interventions massives des banques centrales, puis celles des Etats cherchent à briser le cercle vicieux d’un endettement devenu intenable avec la baisse drastique des capitalisations des entreprises.

Le ralentissement de l’activité économique est maintenant admis, y compris par les autorités gouvernementales. La croissance devrait être au mieux de l’ordre de la moitié de celle de 2008 dans les trois économies analysées. Elle devrait être plus faible si d’un côté, la crise économique dans les pays développés devait s’accentuer et le besoin de liquidités croître, et si d’un autre côté, les mesures gouvernementales prises pour faciliter l’accès au crédit devaient s’avérer insuffisantes.

Nous présenterons successivement « pourquoi la crise ne devait pas arriver » puis « pourquoi elle est arrivée ». Elle ne devait pas arriver : l’ensemble des indicateurs de vulnérabilités s’étant améliorés dans la plupart des économies latino-américaines. Elle est arrivée et les jours passants, s’annonce de plus en plus sévère. C’est la preuve que ces indicateurs ne sont pas suffisants pour établir des pronostics fiables. Il est nécessaire de leur joindre des indicateurs de fragilité. Pour un niveau d’intensité de crise dans les pays développés donné, la fragilité des principales économies latino-américaines dépend de leur politique de taux de change passée (plus ils ont laissé celui-ci s’apprécier, plus ils deviennent fragiles face à l’adversité), de leur insertion dans l’économie mondiale (moins elle porte sur des produits de haute et moyennes technologie plus leur capacités de résistance sont faibles), enfin des inégalités de revenu (plus elles sont bipolarisées, moins il est aisé de substituer des débouchés externes en crise par un dynamisme du marché interne). Meilleurs sont ces indicateurs plus facile sera de résister à la crise et inversement. Comme la crise dans les pays développés a acquis un caractère systémique et que les indicateurs de fragilité ne sont pas très bons, ses répercussions seront importantes dans ces économies émergentes, malgré des indicateurs de vulnérabilité améliorés. Les mesures contra-cycliques prises par les gouvernements, pour nécessaires qu’elles soient, ne pourront alors qu’atténuer les effets de contagion et limiter leurs coûts sociaux sur les catégories les plus vulnérables aux crises, à savoir les pauvres.

I. POURQUOI LA CRISE NE DEVAIT PAS ARRIVER…

A. Un nouveau contexte : la globalisation

Lorsqu’on évoque la globalisation, on commet en général deux erreurs. La première consiste à confondre la globalisation commerciale avec la globalisation financière. Les deux sont distinctes. La première est dans la plupart des cas beaucoup moins avancée que la seconde. La seconde erreur est d’oublier qu’il s’agit de processus.

Ce que l’on nomme globalisation résulte d’un long processus d’ouverture qui a touché l’ensemble des économies de la planète [2]. L’internationalisation croissante des activités s’est traduite par une expansion généralisée des échanges, plus ou moins vive et régulière selon les pays. Cette tendance s’est renforcée depuis les années 1980. Ainsi par exemple, le pourcentage des exportations et importations globales par rapport au PIB mondial qui était de 27% en 1986, est passé à 36% en 1996 puis à 50% en 2006 (source : BIS et FMI). La globalisation commerciale n’est donc pas le libre échange cher aux économistes libéraux. Elle se situe entre l’ouverture totale aux échanges commerciaux et l’autarcie. Elle ne désigne pas la fin du processus que serait cette ouverture totale [3], elle est un moment d’un processus, Cela étant, ce qui caractérise la globalisation depuis quelques décennies est son avancée rapide puisque le rythme des échanges est à peu près de l’ordre du double de celui du PIB ces vingt cinq dernières années.

Malgré une hausse substantielle du degré d’ouverture du Brésil entre 1990 (11,7%) et 2004 (26,9%) son poids dans le commerce international reste à un niveau marginal et relativement stable entre 1975 (1,1%) et 2005 (1,1%) [4]. Il croit ensuite grâce surtout à la hausse importante du cours des matières premières jusque mi 2008. La croissance des exportations de la Chine est beaucoup plus rapide que la moyenne mondiale. Sa part dans le commerce international, à peu près équivalente à celle du Brésil en 1975 (0,9%), s’élève fortement : 1,9% en 1990, 3,9% en 2000 pour atteindre 7,4% en 2005 (source : carta IEDI, 2006). La globalisation commerciale est donc plus rapide qu’au Brésil. Le Brésil s’est ouvert à l’économie mondiale au rythme moyen observé pour l’ensemble des pays, à la différence de la Chine. Tel a été le cas pour la plupart des pays avec toutefois une exception notable : le Mexique où les exportations ont cru plus vite que dans la moyenne des pays latino-américains grâce à l’essor des industries d’assemblage

 [5].

La globalisation n’est pas seulement commerciale, elle est aussi financière. La croissance de la globalisation financière est plus élevée. Si on se limite aux échanges financiers et qu’on les rapporte aux échanges commerciaux, on observe que les flux de capitaux deviennent en moyenne chaque fois plus importants que les flux commerciaux. En 1986 le stock des titres émis ne représentait encore que 23% de la valeur des flux commerciaux, mais dès 2002 ce stock a atteint puis dépassé 2/3 de la valeur des échanges commerciaux pour atteindre 71% en fin de période. Dans le cas du Brésil, si on le compare à l’évolution mondiale, ce processus a été encore plus rapide. Parallèlement à l’ouverture aux échanges commerciaux internationaux, on assiste à une montée des valeurs des titres à caractère exclusivement financier, à partir notamment de 1994, année où le gouvernement a lancé le Plan Real et a établi un accord avec le Fonds Monétaire International pour la renégociation de la dette extérieure du pays. Ainsi, ce même ratio est passé d’une moyenne de 8% avant 1994 à une moyenne annuelle de 60% pour la période suivante, en partie du à l’augmentation du prix de ces actifs. Autrement dit, une globalisation commerciale plus prononcée s’est accompagnée d’une globalisation financière encore plus vive (source BIS et FMI).

La globalisation financière est plus volatile que la globalisation commerciale surtout en ce qui concerne les investissements en portefeuille, et en leur sein plus particulièrement les bons et titres à court terme qu’ils soient privés ou publics. Certains pays cherchent à freiner cette volatilité, et ce faisant ses effets destabilisateurs, en imposant les sorties de capitaux à court terme, d’autres ne le font pas. D’autres pays rendent plus difficiles les sorties de capitaux domestiques [6] tout en permettant celles des capitaux étrangers afin de les attirer, d’autres non.

C’est dans ce contexte qu’il faut situer les indicateurs de vulnérabilité et les fondamentaux. Nous centrerons ici notre analyse sur le Brésil. Le Brésil semble en effet moins vulnérable que le Mexique ou l’Argentine. Le premier concentre l’essentiel de son commerce avec les autres pays d’Amérique du nord et de ce fait est particulièrement sensible à leurs conjonctures respectives, et ce d’autant plus qu’une part importante de ses exportations est composée de produits d’assemblage. Par ailleurs ses recettes budgétaires sont fortement dépendantes du cours atteint par le pétrole qu’il exporte. La chute des cours lors du quatrième trimestre 2008 la rend donc particulièrement vulnérable en limitant ses capacités budgétaires pour relancer l’activité économique. Enfin, le Mexique n’est pas parvenu à rétablir un solde positif de sa balance commerciale, malgré la hausse du cours du pétrole et s’il parvient à limiter le déficit de sa balance des comptes courants c’est pour partie en raison du solde positif de sa balance touristique et pour l’essentiel grâce aux remises des travailleurs mexicains résidant aux Etats-Unis. Or la récession dans ce pays diminue les revenus des ménages et affecte les dépenses de tourisme et les transferts des mexicains. L’Argentine a un commerce plus diversifié, un rythme de croissance très important depuis quelques années et un service de la dette externe contraignant : remboursement massif de bons créés lors de gestion de sa dette externe en remplacement des anciennes créances avec quasi impossibilité de les financer par des emprunts externes. Ce service de la dette, rendu plus difficile par d’importantes échéances en 2009, ne peut s’effectuer dès lors qu’à partir des réserves accumulées depuis 2003, et du solde positif de sa balance commerciale. Or ce dernier est en voie de réduction rapide avec la baisse du cours des matières premières et la récession mondiale qui rend difficile d’accroître ses exportations de produits industriels [7]. A l’inverse, on pourrait ajouter que la faible insertion financière de l’Argentine devrait la prémunir de la spéculation internationale. En réalité, la situation est plus complexe. Héritière d’un libéralisme outrancier sous les gouvernements Menem et de la Rua, l’internationalisation de son économie est importante surtout en ce qui concerne les investissements étrangers directs. Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, elle s’est accrue [8], malgré les conflits avec les transnationales lors de la sortie du Plan de convertibilité qui en ont résulté.

B. Une amélioration des indicateurs de vulnérabilité.

Nous allons dans ce point centrer notre analyser sur le Brésil. Les indicateurs de vulnérabilité externe prennent en compte différentes lignes de la balance des paiements. Trois indicateurs sont en général privilégiés : le premier est un indicateur de flux cherchant à mesurer les nécessités de financement externe, le second met en rapport les réserves avec des flux et le troisième établit une relation entre le passif externe, et ses composants, et le Pib [9].

Le premier indicateur considère les nécessités de financement externe rapportées au Pib. Sont pris en compte le solde de la balance des comptes courants et l’amortissement de la dette externe au numérateur et le Pib au dénominateur. Dans le cas du Brésil par exemple, il était sur la période 1998-2002 en moyenne de 9% du Pib. Il passe à 3,7% du Pib en moyenne sur la période 2006-2007 [10]. Il y a donc une nette amélioration selon cet indicateur. Celle-ci s’explique fondamentalement par l’apparition d’un solde positif de la balance commerciale après des années de déficit, une diminution du paiement net des intérêts de la dette externe, une augmentation des dividendes versés [11]. De 2004 à 2007, le solde de la balance des comptes courant est positif et les nécessités de financement externe s’expliquent par l’amortissement de la dette en voie de diminution. Ce n’est qu’en 2008 que ce solde redevient négatif et s’ajoute aux amortissements en nette diminution.

Le second indicateur met en relation les réserves sur le Pib, puis sur les importations, ensuite sur la dette externe brute, enfin sur le service de cette dette. La valeur des réserves par rapport au Pib est de 5,28% en 1998 et atteint 13,73% en 2007. La valeur des réserves sur les importations passe de 0,70 à 1,50 entre les mêmes dates. Les réserves sur la dette brute (les emprunts inter compagnies étant exclues) passe de 0,20 à 0,93 entre les mêmes dates. Enfin, la valeur des réserves par rapport au service de la dette connaît une évolution semblable passant de 0,99 à 3,50 entre les mêmes dates. Elle atteint 5 en juin 2008. Et si on considère le ratio réserves sur dette à court terme connaît une détérioration entre 1995 où il se situe à 123,4 et 2000 où il atteint 60,4 se stabilise ensuite jusque 2002 (64,6) et une forte amélioration ensuite puisqu’il s’élève à 289 en 2007 et grâce à la forte hausse du cours des matières premières il atteint 326 en juin 2008. Tous les composants de cet indicateur montrent une nette amélioration de la vulnérabilité externe.

Le troisième indicateur met en rapport le passif externe par rapport au Pib. Le passif externe est composé des investissements directs, des investissements en portefeuille, de la dette externe brute - sans les emprunts inter compagnies - et autres passifs. Mesuré en brut et rapporté au Pib il passe de 67,2% à 71,5% entre 2001 et 2007, soit apparemment une légère détérioration. Celle-ci n’est pas confirmée lorsque cet indicateur prend en considération le passif externe net et inclut dès lors les investissements réalisés par des résidents brésiliens à l’étranger. La valeur de cet indicateur est de 47,9% en 2001, baisse ensuite sensiblement (35,8% en 2006) mais s’élève de nouveau 2007 : 43,7%. L’amélioration de cet indicateur de vulnérabilité est moins prononcée que celle observée avec les autres indicateurs.

Ainsi que nous le verrons cet indicateur (brut et net), bien qu’insuffisamment pertinent, l’est probablement plus que les précédents pour mesurer la vulnérabilité externe. La décomposition de l’indicateur brut supplée en partie à l’insuffisance de l’indicateur pris dans sa totalité. La part des investissements directs est 32,8% du passif externe brut et celle de la dette externe brut est de 56,4%. Celle des investissements en portefeuille, plus volatils que les investissements étrangers directs, est de 9,9% en 2001 et celle des autres passifs est négligeable. En 2007, la composition est différente : les investissements en portefeuille s’élèvent à 38,8% au lieu de 9,9% du total des passifs, à l’inverse la dette externe brute baisse en terme relatif en passant à 20,6% au lieu de 56,4% et les autres passifs s’élèvent à 5,6%. La structure du passif externe brut révèle une vulnérabilité plus élevée : traduction de l’essor des bourses dites émergentes, les composants plus volatils sont plus importants.

Sur les vingt cinq dernières années le Pib par tête a faiblement cru et nombre d’économistes se sont interrogés sur les raisons de cette tendance à la stagnation économique [12]. Depuis le début des années 2000 on observe une accélération de la croissance, importante en Argentine, modeste au Mexique et au Brésil comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous. Il n’entre pas dans notre propos ici d’analyser s’il s’agit simplement d’une phase de croissance plus soutenue dans un trend de faible croissance, ou s’il s’agit du début d’un nouveau trend, rompant avec le précédent. Bien qu’intéressante cette discussion est probablement devenue obsolète : la crise étant de nature à provoquer des mutations importantes à l’avenir.

Taux de croissance de l’Argentine, du Brésil et du Mexique

2003 2004 2005 2006 2007 2008° 2009°
ARGENTINE 8.8 9 9.2 8.5 8.7 7 4,5
BRESIL 1.1 5.7 2.9 3.7 5.4 4,8 2,29
MEXIQUE 1.4 4 3.2 4.9 3.8 2 2,3

Source : Estudio economico de America Latina y el Caraibe, Politica macroeconomica y volatilidad, Cepal (2008), pour 2008, estimations FMI, Perspectivas de la économia mundial et 2009, estimations Bradesco (19.12.2008) pour le Brésil, FMI (WEO, Avril) pour le Mexique et l’Argentine.

Des perspectives de croissance de plus en plus sombres
La date des prévisions faites par les institutions est importante car à mesure que le temps passe elles deviennent plus pessimistes et sont corrigées à la baisse : pour le Brésil par exemple, la Bradesco prévoyait le 20/06/2008, 4,11% de croissance pour 2009, ce pourcentage passe à 3,83 le 01/08, à 3,70 le 12/09, à 3,41 le 17/10, à 3,3 le 21/11 et à 2,5 le 12/12, 2,29 le 19/12…Début décembre (18/12), la Cepal modifie également ses prévisions de croissance : L’Argentine devrait connaître une croissance limitée à 2.6 en 2009, le Brésil 2.1 et le Mexique 0.5 (c’est-à-dire une croissance par tête négative). Selon d’autres instituts l’Argentine devrait connaître une croissance voisine de 0 (de 1.5 à 3 selon les données officielles, mais de 0 à 1% selon la fondation méditerranée), le Brésil devrait connaître ne croissance de 0% selon la Morgan Stanley…

Mise à part l’Argentine [13], cette croissance s’est effectuée avec une faible hausse des prix, d’une plus grande maîtrise du déficit budgétaire, et à l’exception du Mexique elle s’est accompagnée d’un solde de la balance commerciale excédentaire, d’une réduction de la dette externe. Ces données sont connues et disponibles dans toutes les banques de données.

L’ensemble de ces données, ainsi que l’amélioration des indicateurs de vulnérabilité, semblaient indiquer une capacité de résistance plus grande que par le passé aux crises internationales. Ces prévisions se sont révélées erronées.

II. POURQUOI LA CRISE ARRIVE :

Il a été beaucoup écrit sur les origines et les causes de la crise financière dans les pays développés. Ce n’est pas l’objet de cet article [14]. Soulignons cependant trois points qui ont facilité le développement des bulles spéculatives et leurs éclatements : l’adoption de règles comptables valorisant les actifs à partir de leurs prix de marché (« mark to market »), la possibilité pour les banques de vendre de manière très lucrative les risques pris grâce à la conception et à l’émission de produits financiers titrisés de plus en plus sophistiqués et de les ôter ainsi de leurs bilans et enfin des manières pour le moins « roublardes », pour reprendre une expression de Bourguinat et Bryis, d’évaluer ces risques. Ainsi conçue, l’ingénierie financière acquiert une logique propre d’emballement : « le crédit n’est plus fondé sur les perspectives de revenus des emprunteurs mais sur l’anticipation de la valeur de leur richesse » note Aglietta [15]. Le ratio de la dette sur le revenu enfle quand bien même il baisserait par rapport à la valeur de marché. Pour reprendre une expression de Mynski, on arrive très rapidement à un financement de type Ponzi et l’instabilité se profile, s’impose brutalement. Le système implose : l’explosion de la bulle conduit à une dévalorisation brutale des actifs et ce qui hier favorisait la bulle (l’ « equity value », c’est-à-dire la différence positive entre la valeur de marché et le crédit accordé) se transforme en son contraire (la valeur de marché plonge et se situe dorénavant en deçà de la valeur des crédits à rembourser). Le retournement du cycle provoque un assèchement brutal des liquidités : les entreprises financières sont à la recherche de liquidités pour financer un risque qui hier, transféré et disséminé, devient fortement réévalué, les entreprises non financières avec la dévalorisation de leur capitalisation, voient toute une série de ratios « virer au rouge » et sont confrontés à un manque croissant de liquidité. Les banques cessent de se prêter entre elles et à fortiori freinent brutalement leurs prêts aux entreprises. Le « crédit crunch » transforme la crise financière en une crise économique. La crise devient systémique, elle affecte y compris des entreprises ayant eu une gestion prudente, loin de la manipulation hier lucrative, des produits financiers titrisés. Elle se propage avec force au-delà des frontières par les canaux forgés par la globalisation financière.

Il n’entre pas dans notre propos ici de reprendre et de discuter cette théorisation de la crise financière [16] mais de déduire de celle-ci une approche différente de la fragilité des économies latino-américaines.
Toutes les économies sont affectées par la crise, y compris la Chine et l’Inde. Les bourses latino-américaines ont connu des chutes importantes et brutales et leur volatilité a fortement augmenté et ce avant même que les bourses des pays développées ne plongent, certains analystes financiers considérant que ces renversements importants de tendance constituent un signe avant coureur des difficultés à venir pour les bourses des pays développées. Dès juin 2008 l’indice Bovespa chute passant de 74000 à moins de 30000 courant octobre, le Mexbol au Mexique passe de l’indice 32000 à moins de 17000 entre les mêmes dates, enfin le Merval en Argentine après avoir connu un pic en novembre 2007 à 2355, plonge et passe à un creux situé à 810 en octobre 2008 et depuis, comme les autres bourses latino-américaines connaît un léger rebond et une volatilité élevée. Peu de temps après les taux de change connaissent des évolutions semblables [17]. Après des années d’appréciation de leurs monnaies, le réal brésilien connaît une dépréciation face au dollar dès le mois d’août (avec un creux à 1,55 réais pour un dollar), s’accélérant en octobre (avec un pic à plus de 2,5 réais pour un dollar) avec depuis une très forte volatilité produite en partie par des interventions conséquentes de la Banque centrale. Au Mexique, la dépréciation du peso face au dollar a lieu début août (creux à moins de 9,85 pour un dollar), s’accélère en octobre (pic à 14,30) avec depuis une très forte volatilité (pour l’ensemble de ces données, source : BBSP). Les réserves de la Banque centrale diminuent, celles-ci étant utilisées pour financer la détérioration de la situation externe (balance commerciale négative au Mexique, balance des comptes courants redevenant légèrement négative au Brésil, sortie de capitaux aux titres investissements directs de ces pays à l’étranger), mais aussi pour éviter la poursuite de la dépréciation des monnaies nationales face au dollar.

La séquence est donc la suivante : chute prononcée des bourses, précédant celle des bourses des pays développés, puis, décalée, dépréciation forte des monnaies face au dollar, surtout lorsque la crise financière éclate. L’originalité de la crise financière vient à la fois de son caractère annonciateur pour les pays développés et de son accélération lorsque celle-ci éclate. On est donc loin des schémas prévus par la plupart des économistes.

Les indicateurs de vulnérabilité que nous avons exposés sont peu pertinents pour mesurer la fragilité de ces économies lorsque éclate une crise systémique. Ils ont leur utilité, surtout en période de non crise internationale. Aussi faut il développer de manière complémentaire de nouveaux indicateurs de fragilité C’est que nous allons exposer. Ces indicateurs traduisent la fragilité des nouveaux régimes de croissance adoptés avec la mise en œuvre - avec plus ou moins d’intensité selon les pays - des « recommandations » du Washington Consensus dans les années quatre vingt dix visant à libéraliser les marchés. Les nouvelles fragilités concernent d’un côté les effets combinés d’une appréciation des taux de change et d’un retrait relatif de l’Etat en matière de politique industrielle et, d’un autre côté, les contraintes dues aux mouvements de libéralisation des échanges commerciaux et financiers, enfin les très fortes inégalités de revenu. Pour un niveau de crise internationale donné et de relativement bons indicateurs de vulnérabilité, moins bons sont les indicateurs de fragilité plus fortes seront les répercussions de la crise des pays développés sur les principales économies latino-américaines et plus sera difficile de mettre en œuvre des politiques contra cycliques efficaces.

Les indicateurs de fragilité portent sur le taux de change, la structure des exportations (contenu technologique, valeur ajoutée) et l’importance des inégalités dans la distribution des revenus.

A. Les effets pernicieux d’une valorisation du taux de change :
La tendance à l’appréciation du taux de change hors périodes de crise rend plus difficile une insertion performante des économies dans l’économie mondiale.

1. Avec l’application des principales recommandations du Washington Consensus, l’économie s’est fortement et soudainement libéralisée dans les années quatre vingt dix. Les économies, fortement fragilisées par des années d’hyper inflation et de réduction parfois massive de leurs taux d’investissement dans les années quatre vingt, vont dès lors subir à la fois une destruction de pans entiers de leur appareil productif, une importation massive de segments autrefois produits localement, un déficit considérable de leur balance commerciale, une modernisation enfin dans une seconde étape de certaines franges de leur tissu industriel. Le service de la dette ne pouvant être effectué à partir d’un excédent de la balance commerciale, va dépendre d’entrées de capitaux. Dans les années quatre vingt dix, le taux d’intérêt va devenir ainsi la véritable « variable de bouclage » et le régime de croissance institué avec la libéralisation va tendre à fonctionner comme une économie casino (pour reprendre une expression de Keynes) à l’origine d’une très grande volatilité du Pib et d’une incapacité à réduire la pauvreté. Le taux de change connaît une grande volatilité. Fixe nominalement, il tend à se valoriser en terme réel et connaît de profondes dévaluations lors des crises financières.

Dans les années deux mille, la situation tend à s’inverser, la croissance est plus élevée et la volatilité plus faible (à l’exception de l’Argentine au tout début du millénaire). Les effets positifs de la libéralisation apparaissent avec la modernisation du tissu industriel et la balance commerciale devient positive (à l’exception du Mexique). Le taux de change, devenu flexible, tant nominal que réel se valorise de nouveau dans l’ensemble des pays. Cette valorisation est plus ou moins contenue en Argentine, elle l’est beaucoup moins au Mexique et au Brésil. Elle n’est pas compensée par une hausse des taxes aux importations et des subventions aux exportations comme cela a pu être le cas dans le passé lorsque, grâce à la substitution des importations, la croissance était particulièrement élevée et durable [18].

2. De nombreuses études montrent les effets négatifs d’une appréciation du taux de change [19]sur la rentabilité du capital et la croissance. La thèse centrale est la suivante : l’appréciation du taux de change rend plus difficile les exportations, hors celles des matières premières, et seule une plus grande compétitivité peut compenser cet handicap. Hors matières premières, les exportations augmentent mais leur rythme est modéré si on le compare à celui des économies asiatiques. Les importations, facilitées par cette l’appréciation de la monnaie nationale et la réduction massive des droits de douane augmentent également.

Il ressort de ce double processus deux constats : le premier concerne la valeur ajoutée des exportations. Sans aller jusqu’au cas extrême du Mexique et de ses industries d’assemblage au Mexique, la valeur ajoutée diminue en raison de l’augmentation des intrants et des biens d’équipement importés davantage qu’ils ne l’étaient auparavant. Plus grave est l’incapacité de développer des produits de haute technologie. Or, comme le notait Lall [20] l’essor des exportations de produits de haute et moyenne technologie est bien plus rapide que celui de la moyenne des exportations de produits industriels : 7,3% dans les pays industriels contre 16,5% dans les pays en développement entre 1980 et 2000. Tous les pays en développement ne connaissent pas ces évolutions, loin s’en faut. Elles sont concentrées dans quelques pays, presque exclusivement asiatiques [21]. Ce sont des exportations de ce type qui permettent une insertion solide dans l’économie mondiale et diminue la vulnérabilité externe des pays qui peuvent les développer. En effet, des exportations à contenu technologique élevé se caractérisent par une élasticité de la demande par rapport au revenu élevée au niveau mondial et sont susceptibles d’avoir des effets d’entraînement importants sur les branches industrielles. Comme l’expérience des économies asiatique le montre, leur essor ne vient pas du libre jeu du marché mais de l’intervention indirecte de l’Etat tant au niveau de la politique industrielle (politique dite de veille de niches accompagnée de taux d’intérêt préférentiels, subventions temporaires et sélectives etc.) que de son accompagnement au niveau des infrastructures physiques (transport, énergie etc.) que humaines (éducation, santé). Dans un tel cas, la croissance est dite en « vol d’oies sauvages ». A l’inverse, la difficulté à favoriser l’essor des exportations à contenu technologique élevé caractérise des modes de croissance de type « canards boiteux ». Les effets sur la croissance de l’essor de ces exportations sont alors faibles, la relation entre degré d’ouverture plus élevé et forte croissance n’est pas vérifiée [22] .

3. Si on prend le cas du Brésil, pays dont l’économie est la plus performante en terme de technologie, la plupart des exportations restent encore centrées sur des produits à faible, voire moyen, degré technologique. Le grand essor des exportations brésiliennes depuis l’année 2000 est dû principalement à des biens manufacturés incorporant un niveau technologique bas ou « moyen-bas » et à des biens non industriels (« l’agrobusiness ») à faible valeur ajoutée et à niveau technologique souvent faible [23].

Pays essentiellement urbain, l’Argentine possède un tissu industriel relativement complexe. Contrairement à ce qui a été souvent affirmé, l’économie argentine n’est pas « primarisée [24] » et ses exportations industrielles sont conséquentes. Le solde positif de sa balance commerciale ne s’explique pas seulement par la vigueur de ses exportations de produits primaires et de produits manufacturés d’origine agricole, même si ceux-ci y contribuent fortement. La structure et l’évolution de ses exportations en témoignent. En 1997, à la veille du début de la grande crise (1998-2002) qui devait conduire à l’abandon du plan de convertibilité (fin 2001) et donc à la fin de la parité dollar-peso, les exportations de produits manufacturés d’origine industrielle correspondaient à 31% du total de ses exportations, celles de produits primaires hors combustibles à 24% et celles des produits manufacturés d’origine agricole entre 34 et 35%, le reste étant composé de combustibles. Dix ans plus tard, les exportations totales ont légèrement plus que doublées en valeur passant de 26,4 milliards de pesos en 1997 à 55,7 en 2007. Leur composition reste relativement stable : 31% pour les produits manufacturés d’origine industrielle, 22% pour les produits primaires hors combustibles, et 34 à 35% pour les produits manufacturés d’origine agricole et ce malgré la forte hausse du prix des matières premières d’origine agricole [25].

S’il est donc quelque peu réducteur de caractériser l’Argentine d’aujourd’hui comme une économie primarisée, il reste que les exportations manufacturières de ce pays ne sont pas composées de produits de haute technologie. L’Argentine paie le prix d’une politique de sur appréciation du taux de change réel pendant le plan de convertibilité tout au long des années quatre vingt dix qui a affaibli un secteur industriel déjà atteint par les années d’hyperinflation et la politique ultra libérale de la dictature. Après la très forte dévaluation au début des années 2000 et la fin du plan de convertibilité, le maintien d’un taux de change relativement déprécié n’a pas été suffisant pour modifier qualitativement la structure des exportations industrielles et cela d’autant plus qu’il ne s’est pas accompagné d’une politique industrielle conséquente.

Le Mexique a bouleversé la structure de ses exportations en peu de décennies, mais si le poids des produits énergétiques (pétrole) est faible, la structure de ses exportations de produits industriels se caractérise par une part très importante de produits assemblés à faible valeur ajoutée. Ibarra (op.cit.) montre, à partir d’une approche en terme de multiplicateur de la demande, que la contribution de la croissance du Pib s’explique essentiellement par les exportations multipliées par le multiplicateur et très peu par l’investissement multiplié par ce multiplicateur. Ce qui en d’autres termes signifie que l’essor des exportations, n’a pas généré une augmentation du taux d’investissement, faute de politique industrielle, et donc une augmentation du taux de croissance.

Un taux de change déprécié stimule la croissance et, s’il est accompagné d’une politique industrielle, permet une meilleure insertion dans l’économie mondiale à l’inverse d’un taux de change apprécié et d’un retrait de l’Etat de l’économique. La relation semble bijective et on pourrait considérer que les fortes dépréciations provoquées par la crise actuelle, ainsi que le retour annoncé de l’Etat dans l’économique, pourraient stimuler la croissance. Tel n’est pas le cas. Les deux premiers indicateurs, l’un sur le taux de change, l’autre sur la structure des exportations et leur degré d’intégration, ne sont pas assez bons pour permettre une meilleure résistance à la crise internationale.

Pour ces trois pays, la dépréciation du taux de change a peu de chance de stimuler l’essor des exportations manufacturières, de changer leur contenu tout en augmentant leur valeur ajoutée, et ce faisant la croissance, en raison de la crise économique qui atteint les pays qui commercent avec elle [26]. Le retour de d’Etat, la dépréciation du taux de change, limiteront les effets négatifs de la crise. Ces pays sont soumis à une « double peine [27] » : ils subissent la crise internationale parce que l’économie est de plus en plus globalisée ; ils la subissent d’autant plus fortement qu’ils ont accepté, à l’exception de l’Argentine dans les années 2000, que leur taux de change s’apprécient et qu’ils ont, à de degrés divers, le Brésil moins que les autres, accordé de moins en moins d’intérêt à une politique industrielle.

B. De nouvelles « règles du jeu » et leurs effets sur la distribution des revenus :

Est il possible de suppléer à l’atonie de la demande internationale par un dynamisme accru du marché intérieur ? Les très fortes inégalités de revenu, parmi les plus élevées du monde, la redistribution faible si on la compare à celle des pays développés, et les effets de la mondialisation, telle qu’elle a été pratiquée, sur le rapport salaire /profit rendent difficiles cette possibilité à moins que soient engagées une véritable politique redistributive notamment en faveur des catégories les plus vulnérables aux crises, à savoir les plus démunis.

1. Les nouvelles « règles du jeu » qui régissent l’économie mondiale sont relativement connues. Avec la libéralisation commerciale, la contrainte de prix joue plus fortement que par le passé lorsqu’il était possible de compenser une insuffisante compétitivité par un protectionnisme accru et/ou par des subventions conséquentes, ou encore par des manipulations de taux de change. Ces politiques sont plus difficiles à mettre en œuvre. Le prix international sur tel ou tel produit est l’objectif à atteindre, voire à dépasser. C’est ce qui explique fondamentalement le ralentissement de la hausse des prix, la recherche de poches de productivité par une diminution des temps morts et une réorganisation du travail vers davantage de flexibilité, l’utilisation de biens d’équipement plus performants, le plus souvent importés. C’est ce qui explique en partie le décrochage des salaires par rapport à l’essor de la productivité, la concurrence avec des pays à bas salaire [28] utilisant des technologies plus sophistiquées que par le passé pousse à réduire la hausse du coût unitaire du travail en jouant sur la progression des salaires.

Avec la libéralisation financière, ces contraintes sur les coûts du travail jouent plus fortement. La « voracité » de la finance favorise la recherche de taux de rentabilité extrêmement élevés. Lorsqu’on analyse le partage de la valeur ajoutée des entreprises non financières on observe, à des degrés plus ou moins prononcés, dans les pays développés et dans les économies latino-américaines, une baisse de la part des salaires et un augmentation de celle des profits depuis un quart de siècle. Au sein de la part occupée par les profits, les dividendes et les intérêts versés occupent une place croissante. Le résultat est que très souvent, bien que la part des profits augmente, celle réservée aux profits qui seront réinvestis reste stable ou bien augmente faiblement, insuffisamment pour produire un taux de croissance élevé durablement.

2. L’essor du crédit destiné aux ménges peut il suppléer à l’insuffisance des salaires ? On sait que dans les pays développés, et plus particulièrement aux Etats-Unis, la tendance a la stagnation économique qui aurait du résulter de l’insuffisance de la demande de biens de consommation, faute d’augmentation des salaires au rythme de la productivité et d’incapacité à augmenter les débouchés extérieurs, a été contrecarrée par la hausse très forte du crédit et la disparition de l’épargne des ménages. La hausse du crédit (« à tout prix » et grâce au montage de produits financiers de plus en plus sophistiqués consistant à transférer le risque de défaut, eux même devenant très lucratifs) a permis que la rentabilité du capital puisse s’élever et financer ainsi la hausse des profits financiers et accroître le taux d’investissement favorisant ainsi la croissance, pour un temps, jusqu’à ce que la crise des subprimes se traduise par une méfiance généralisée vis-à-vis de l’ensemble des produits sophistiqués et à un crédit crunch, responsable de la mutation de la crise financière en une crise dans le secteur réel de l’économie.

Tel n’est pas le cas en Amérique latine : le crédit aux ménages est très faible, surtout si on le compare à celui prévalant dans les pays développés et dans les économies asiatiques, celui accordé aux entreprises également [29], il en est de même de leur financement à partir de bons émis sur le marché financier [30]. A partir d’un niveau peu élevé, le crédit a cru fortement au Brésil ces dernières années et, compte tenu de la décélération récente, il atteint 40% du Pib en novembre 2008 (source : Bradesco), ce qui reste faible. Le coût du crédit est en général élevé, principalement au Brésil. Il sert surtout à financer à court terme la demande des ménages et le capital circulant des entreprises. Le financement de l’investissement, hors autofinancement, passe par des banques d’Etat (BNDES au Brésil) à un taux plus ou moins réduit par rapport à celui offert par les banques. Cette voie ouvre la possibilité de mettre en oeuvre une politique industrielle lorsque la banque d’Etat est importante comme c’est le cas au Brésil. Pour les grandes entreprises, il peut passer par l’accès aux financements sur les marchés financiers étrangers. La profondeur du système financier latino-américain (Argentine, Brésil, Bolivie, Chili, Colombie, Costa Rica, Equateur, El Salvador, Guatemala, Honduras, Mexico, Panama, Pérou, Uruguay, Venezuela) est en pourcentage du PIB de 133%, elle est aux Etats-Unis de 405%, dans les économies émergentes asiatiques (Corée du sud, Philippines, Indonésie, Malaisie,Thaïlande), de 208%. Ce qui particularise les marchés financiers latino américains est leur composition : les titres de la dette publique représentent 42% du Pib, soit le tiers de l’ensemble des produits financiers, les actions 46%, les titres de la dette privée 13%, le reste représentant les dépôts bancaires (source : Mc Kinsey op.cit.).

La hausse récente du ratio crédit sur Pib a compensé en partie le décrochage de la hausse des salaires par rapport à la productivité. Mais le ratio crédit sur Pib étant faible ses effets ont été limités. La demande domestique pour de nombreux produits est relativement insuffisante, en raison d’inégalités particulièrement élevées [31] et d’une incapacité à développer des exportations de produits industriels à un rythme suffisamment élevé. C’est ce qui explique en partie le taux d’investissement faible [32] et la difficulté à obtenir une hausse durable de la croissance à un niveau comparable à celui des pays asiatiques. La croissance, plus importante bute alors sur des capacités de production oisives de plus en plus faibles, une insuffisance des infrastructures énergétique et de transport, résultats des faibles taux d’investissement effectués dans le passé.

2. On pourrait penser que l’aspect positif de la faiblesse relative des crédits et des titres émis, seraitune moins grande perméabilité à la crise financière internationale. En fait, c’est oublier deux points importants. Le premier est l’accès des grandes entreprises aux marchés financiers internationaux et aux produits sophistiqués qui y sont développés. Afin de se couvrir celles-ci font par exemple des opérations de swap quand ce n’est pas des achats vente de produits dérivés. A la veille de l’éclatement de la crise dechange au Brésilet dans la lignée de l’appréciation du réal face au dollar, les entreprises telles que Sadia, Aracruz, Votorantim avaient misé pour un dollar à 1,70 réal, or celui-ci est a dépassé 2,30 voire 2,50. Elles ont perdu des sommes considérables, soit respectivement : 750 millions de réais, 1,95 milliard de réais et 2,02 milliards de réais. Le second point, plus important concerne la relation stock - flux. Le stock des créances étrangères ne se limite pas aux crédits, mais aux investissements passés tant directs que de portefeuille (actions, bons publics et privés). Dans le contexte d’assèchement des liquidités provoqué par la crise, les entreprises multinationales vont privilégier la vente de certains actifs dans les marchés financiers dit émergents, le rapatriement de leurs profits, plutôt que le réinvestissement et/ou l’achat d’actions et bons afin de fournir à leurs sociétés mères des liquidités qui font défaut. Le stock d’actifs se transforme pour partie en flux de capitaux. Entre janvier et octobre 2008, les sorties de capitaux du secteur privé non financier en Argentine aurait été de 7,786 milliards de dollars (source : Indec) et selon La Nacion du 19/12/2008 si on tient compte des effets de la faillite de Lehman Brothers et des réactions provoquées par la nationalisation du système de capitalisation des retraites, non encore comptabilisées par l’Indec, il faudrait ajouter à ce chiffre 5 milliards de dollars en octobre. Pour l’ensemble de l’année, l’évaluation prévue par les analystes financiers argentins des sorties de capitaux s’élèverait à 20 milliards de dollars, ce qui bien que probablement exagéré, donne une idée de l’ampleur des fuites de capitaux et des conséquences à venir sur la croissance en 2009 en Argentine. Selon la Banque centrale du Brésil, les investisseurs ont retiré 6,05 milliards de dollars de la bourse en octobre 2007, auxquels il convient d’ajouter le retrait de 1,7 milliard de dollars de titres à revenu fixe. L’ampleur de ces retraits a fléchi en novembre mais on ne pas en déduire un retour vers une situation assainie [33]. Ce sont des sommes considérables, elles expliquent à la fois la chute de la capitalisation boursière, la forte dépréciation des monnaies face au dollar que nous avons indiquées pour les trois pays analysés, le développement du « crédit crunch ».

Les inégalités de revenu sont importantes. Le relais par le crédit pour dynamiser une demande atone, hier limité, n’est guère possible avec l’assèchement des liquidités aujourd’hui. L’efficacité de la politique redistributive, telle qu’elle est appliquée en Amérique latine est relative. Dans un rapport récent l’Ocde constate que les coefficients de Gini avant et après transferts sociaux et impôts restent très proches l’un de l’autre, à la différence de ce qu’on observe dans les pays européens [34] : la différence entre les coefficients (avant et après transferts et impôts) de Gini est de 2 points en Amérique latine contre 10 points pour l’Europe. L’ensemble de ces facteurs explique que sans politique redistributive conséquente qui diminuerait sensiblement les inégalités, il est difficile d’imaginer que la perte de dynamisme des marchés extérieurs puisse être compensée par un accroissement du dynamisme de leurs marchés intérieurs.

Conclusion : S’il est exact que toutes les économies, qu’elles soient développée ou émergentes ont connu de fortes chutes du cours des actions sur leurs marchés financiers respectifs et une dépréciation plus ou moins élevée de leur monnaie face au dollar, il serait erroné de conclure que l’ensemble de ces économies ait à faire face à une crise systémique de la même manière. Les économies émergentes, pour nombre d’entre elles, ont connu un essor de leurs bourses respectives plus important ces dernières années que celui qu’on a pu observer dans les économies développées. A l’inverse, la chute de celles-ci a été en général plus importante dans les économies émergentes, Chine comprise, que dans les économies développées. De bons indicateurs de vulnérabilité ne permettent pas de pronostiquer un découplage de la conjoncture d’un pays par rapport aux autres en crise lorsqu’ils sont atteints d’une crise systémique. Les effets de contagion seront d’autant plus forts que la crise systémique sera longue et profonde. Les indicateurs de fragilité fondés sur les spécificités des régimes de croissance et les particularités de leurs insertions dans l’économie mondiale expliquent pour partie la faible résistance de ces économies à la crise mondiale. Celle-ci sera renforcée si l’intervention de l’Etat est ou devient conséquente. Une véritable rupture avec le passé doit donc avoir lieu pour limiter les effets négatifs de la contagion, tant au niveau de la politique monétaire (afin d’augmenter les liquidités et limiter le credit crunch), qu’au niveau d’une politique industrielle et d’une politique redistributive des revenus visant à diminuer les inégalités. En Argentine, au Brésil avec la mise en place de « megaplans » elle semble se dessiner avec plus ou moins de cohérence. Cette nouvelle politique peut réduire plus ou moins l’impact de la crise internationale, elle ne peut cependant l’éviter. Ce serait une erreur de laisser croire le contraire. De cette crise les économies latino-américaines sortiront changées : le régime de croissance sera différent, les rapports aux économies développées également, les inégalités régionales modifiées.

Une politique volontariste peut être l’occasion de changer les règles du jeu et de favoriser la mise en place de régimes de croissance moins excluant renforçant ainsi la cohésion sociale. Elle est difficile à mettre en œuvre pour toute une série de raisons [35] : elle ne peut être la reproduction à l’identique des politiques interventionnistes passées, le tissu industriel ayant profondément changé ; elle doit assurer une redistribution des revenus plus ample et plus efficace, dans un contexte de conflits distributifs aiguisés et de contraintes externes élevées ; elle doit concilier politique monétaire et politique budgétaire mais les expériences passées montrent combien cela est difficile après des années d’hégémonie des politiques libérales ; enfin elle ne doit pas limiter à des politiques réactives peu pensées mais il est difficile d’imaginer et de mettre en place des politiques industrielles cohérentes lorsque l’essentiel des travaux académiques a privilégié les paradigmes du courant libéral en économie. Difficile à mettre en œuvre certes, elle est cependant aujourd’hui plus que jamais nécessaire.


* Pierre Salama est Professeur des universités, Cnrs UMER 7115 ; je tiens à remercier pour leur commentaires Fabio Erber, Emilio Taddéi, Carlos Nelson dos Reis, Fernando Franciss, Marcelo Antinori, Jaime Marques Pereira et Thierry Deffarges.

Notas :

Notes

[1Voir le livre de H.Bourguinat et E.Briys (2009) : L’arrogance de la finance, aux sources du krach : errements des marchés, myopie de la théorie et carences de la régulation. Editions La découverte, Paris.

[2A l’exception à vrai dire de quelques unes comme la Birmanie.

[3L’ouverture complète ne doit pas être confondu avec le libre échange. L’ouverture, quelle que soit son importance, est en effet compatible avec une intervention de l’Etat alors que le second fait du marché l’unique régulateur. Une économie peut donc être très ouverte ; ainsi que le sont certaines économies asiatiques, et connaître une forte croissance sans que pour autant on puisse dire que celle-ci résulte du libre échange. La forte croissance est dans ce cas le résultat d’une intervention de l’Etat conséquente, notamment dans le secteur d’exportation. Sur cette distinction importante voir Akkerman A. et Teunissen J.J., éditeurs (2004), Diversity in development, Reconsidering the Washington Consensus, Fondad, La Hague et plus particulièrement : Wing Thie Woo : « Serious Inadequacies of the Washington Consensus, Misunderstanding the Poor by the Brightnest » dans ce livre.

[4Nous avons développé ce point avec P.Kliass (2007) : « La globalisation au Brésil : responsable ou bouc émissaire ? » dans Lusotopie n°XIV, publié en portugais dans la Revista de Economia Politica en 2008, n°34.

[5Taux de croissance moyen des exportations :

Pays1975 -19841985-19941995-2005
Mexique 28.5 8.4 12.4
Argentine 9.3 8.1 8.9
Brésil 13.7 5.6 8.8
Chine 14.9 16.8 17.9

Source  : World Development Indicators, 2007

[6Devant les difficultés accrues de transférer des capitaux à l’étranger les spéculateurs ont usé d’une mesure originale : elle a consisté à acheter des titres sur les bourses étrangères, alors même que celles-ci entraient dans une crise profonde et de les revendre immédiatement. De cette manière les pesos argentins étaient convertis en dollars…La réaction du gouvernement a été d’un côté de fournir des dollars afin d’éviter une trop forte dépréciation du peso et d’imposer aux acquéreurs un gel de plusieurs jours des titres achetés avant de pouvoir les revendre en espérant que le coût accru, découlant de la chute des bourses étrangères ajoutée à la dépréciation probable du peso, allaient freiner ces sorties de capitaux…voir Folha de Sao Paulo du 4/11/2008 : BC argentino tenta conter fuga de capitais.

[7Ajoutons que l’abandon par la loi du système de retraite par capitalisation (en crise) et son remplacement par le système de répartition en Argentine, afin de maintenir le niveau des retraites, devrait pouvoir « aider » transitoirement les pouvoirs publics argentins à trouver des sources de financement complémentaires pour assurer le service de la dette externe en « puisant » dans le capital des sociétés de capitalisation.

[8Selon Lozano et alii, sur les deux cents plus grandes entreprises, produisant des biens et des services, 64% étaient étrangères en 2005 contre 52,5% en 1997. Le chiffre d’affaire des entreprises étrangères, en relation à celui des deux cents plus grandes entreprises, s’est accru passant de 64,1% à 75,8% entre les mêmes dates. Voir Cl.Lozano, A.Rameri, T.Raffo (2007) : « La cupula empresaria argentina luego de la crisis : cambios en el recorrido 1997-2005 », document CTA.

[9Pour une analyse approfondie, voir F.J.Ribeiro et R.Markwald (2008) : Balança comercial e deficits em transaçoes correntes : de volta a vulnerabilidade externa ? Dans Forum Nacional : Forum especial : como ser o melhor dos Brics. Estudos e pesquisas n°250, également L.F. de Paula, M.C. de Castro Pires et T.R. Meyer (2008) : Regime cambial, taxa de cambio e estabilidade macroeconomico do Brasil, V° Forum de la fondation Getulio Vargas, mimeo, R.Gonçalves (2008) : Crise economica : radiografia e soluçoes para o Brasil ; mime et (2008) : A crise internacional e a America Latina, com referencia ao caso do Brasil, mimeo. On peut également voir A. Moreira, K.Rocha et R.Siqueira (2008) : « O papel dos fundamentos domesticos na vulnerabilidade economica dos emergentes », IPEA, Texto para discussao, n°1358, pour uen anlyse comparative de quelques économies latino-américaines avec d’autres économies émergentes asiatiques et européennes.

[10Ces données ainsi que celles qui suivent sont tirées de la banque centrale, sauf indications contraires.

[11En 1998 le paiement des intérêts sur la dette externe, le versement à l’étranger des dividendes et enfin les profits rapatriés correspondaient à 2,2% du Pib en 1998. Après avoir augmenté sensiblement, ce pourcentage diminue ensuite pour atteindre en 2007 le même niveau qu’en 1998. Mais rapportés à la valeur des exportations, la baisse est nette puisqu’on passe de 35,6% en 1998 à 18,2% en 2007, elle est encore plus prononcée lorsqu’on rapporte ces paiements aux réserves : 40,8% et 16,2% aux mêmes dates.

[12Nous avons présenté les débats et notre contribution propre sur cette question dans le premier chapitre de notre livre (2006) : Le défi des inégalités, une comparaison économique Amérique latine/Asie, publié par la Découverte, traduit en espagnol par Siglo XXI (2008).

[13L’indice des prix élaboré par l’Indec en Argentine sous estime systématiquement et fortement l’inflation au point de nécessiter la construction d’un nouvel indice. La raison officielle donnée est que l’indicateur a été construit lorsque le peso valait un dollar à l’époque de la convertibilité et qu’il n’a pas été modifié depuis, ce qui signifie que la valeur des biens a été mesurée à un taux de change de 1 peso au lieu de 3 approximativement. …

[14Nous renvoyons aux livre de Bourguinat et Bryis déjà cité, ainsi qu’à celui de Lordon (2008) : Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières ; édition Raison d’agir ; et surtout à celui de Aglietta et Berrebis (2007) : Désordres dans le capitalisme mondial , édition Odile Jacob, écrit avant l’éclatement de la crise.

[15M.Aglietta (2008) : « les crises financières : plus ça change, plus c’est la même chose », Revue d’économie financière.

[16Notons tout de même que cette manière de concevoir la crise financière diffère profondément de l’approche par les marchés efficients et de la (non) transparence à l’origine de la crise telle que la définit le courant néoclassique. Reprenant A.Orléan (2008) : « Au- delà de la transparence de l’information, contrôler la liquidité, revue Esprit : « Pour le paradigme de l’efficience, la crise est avant tout affaire d’opacité…Cette conception est contestable. La transparence ne suffit nullement à assurer la stabilité financière car c’est le mécanisme financier lui-même qui est producteur d’instabilités ».

[17En Argentine, les évolutions sont moins prononcées. Le peso argentin a été maintenu à un niveau relativement déprécié, contrairement aux autres monnaies latino-américaines, et la dépréciation a été plus faible.

[18Comme le souligne Bresser Pereira dans son livre (2009) : Mondialisation et compétition, pourquoi quelques pays émergents réussissent alors que d’autre non, La Découverte. Cela étant la pratique des subventions et des taxes à l’importations a également montré ses limites à certain moments lorsqu’elle donnait naissance à un gaspillage de ressources et suscitait une efficacité faible. Moyen de mettre en œuvre un « pari sur structures nouvelles », cette politique peut alors se transformer en son contraire et favoriser des comportements rentiers.

[19Voir par exemple Ibarra (2008) : La paradoja del crescimiento lento de Mexico, Revista de la Cepal, n°95.

[20Lall S ( 2004), « Reinventing Industrial Strategy : The Role of Government Policy in Building Competitiveness", G-24 Discussion Paper Series, United Nations, New York.

[21Le Mexique semble exporter des produits classés haute technologie, mais il s’agit plus d’une illusion statistique que d’une réalité : la valeur ajoutée est extrêmement faible, les produits étant surtout assemblés. C’est pour éviter ce genre d’illusion statistique que de nouveaux indicateurs sont construits. Voir par exemple S. Lall, J. Weiss et J.Zhang (2005) : The Sophistication of Exports, a New Measure of Product Charactéreristics, dans QEH, Working paper n°123, Li Cui (2007) : « Is China changing its stripes ? The shifting structure of China’s external trade and is implications", FMI.

[22Sur ces questions voir citer Lall, 2004, op.cit, Palma, 2006 : Palma G. (2004), « Flying - geese and lame-ducks : regional powers and the different capabilities of Latin America and East Asia to demand -adapt and supply-upgrade their export productive capacity », Oxford University, mimeo, Oxford, publié en partie dans la revue Tiers Monde (2006, n°186) : "Stratégies actives et stratégies passives d’exportation en Amérique latine et en Asie orientale" et P.Salama, 2006, op.cit..

[23La structure des exportations est la suivante en 2007 :
Structure des exportations

Croissance 2000 - 2007 Part en %
Base 48.8 37.1%
Semi manufacturés 27 13.7%
Manufacturés 13.2 46.6
Autres 66.3 2.6

Source Sinopse n010 BNDES, sept 2008.

Les produits de basse technologie, hors matières premières et produits utilisant beaucoup les ressources naturelles et la main d’œuvre, correspondaient à 3% de l’ensemble des exportations en 2007, les produits de moyenne technologie 18% (même pourcentage en 1996), ceux de haute technologie : 12% (contre 10% en 1996). Source : UNCTAD et SEMEX (MDIC).

[24Il n’y pas de définition scientifique de la primarisation. On peut considérer cependant qu’une économie est primarisée si la part de ses exportations de produits primaires dans les exportations totales est prédominante, et qu’elle est en cours de primarisation si cette part tend à augmenter de manière significative.

[25De manière générale, sur la période 2002-2007, on observe que 40% de la hausse des exportations est due à un effet prix, 40% environ à un effet quantité et 20% à la combinaison de ces deux effets. L’effet prix est cependant surtout concentré sur les produits primaires (+21%) et sur les produits manufacturés d’origine agricole (+24%), il est moindre sur les produits manufacturés d’origine industrielle (+3% de 2006 à 2007 par exemple) . Sur la base de ces statistiques, on peut donc en conclure que la part en volume des produits manufacturés d’origine industrielle aurait augmenté et celle des autres exportations diminuée. Cette progression relative correspond également à une forte croissance en termes absolus puisque les exportations totales se sont fortement accrues ainsi que nous l’avons indiqué. (L’ensemble de ces données vient d’une étude élaborée par J.Scharzer (2008) et son équipe du CESPA de l’UBA à partir des statistiques de l’INDEC.)

[26Sur ce point voir D .Azpiazu et M.Schorr in Pagina 12 du 10/12/2008 ; « Debate sobre el dolar alto ».

[27Cette expression est utilisée en France pour désigner la seconde sanction (l’expulsion du territoire) que subissent des travailleurs immigrés condamnés à une peine de prison.

[28Des données récentes, élaborées par le Bureau of Labour Statistics (Mai 2004), montrent que les écarts de salaire sont importants y compris avec le Mexique : le coût horaire dans l’industrie manufacturière est de 0,6 dollar Us en Chine contre 21,37 aux Etats-Unis, 19,02 au Japon, 2,61 au Mexique et 0,3 en Inde en 2002. C’est ce qui explique que pour des produits non pondéreux on assiste à des délocalisations d’usines installées au Mexique vers le Chine ou le Vietnam, l’alourdissement des coûts de transport étant plus que compensés par la diminution des coûts unitaires du travail combinant salaire et productivité.

[29Alors que les entreprises des pays développés financent leurs actifs à 70% par autofinancement, 20% par endettement et 10% par l’émission d’action, ces chiffres sont respectivement en Amérique latine de 80% par autofinancement et de 20% pour le reste dans les années quatre vingt dix. Pour une analyse détaillée concernant l’ensemble des crédits (tant pour le capital fixe, c’est-à-dire l’investissement, que pour le capital circulant) fait par les banques aux entreprises privées voir Peltier (2005) où sont soulignées les différences entre les économies asiatiques et latino-américaines : en moyenne des crédits au secteur privé en pourcentage du Pib sont estimés à 72% en 2004 en Asie dont Chine et Inde et à 30% en Amérique latine à la même date. Voir Peltier (2005) :

[30Le ratio titres des entreprises non financières captés sur le marché financier sur Pib est en Malaisie de 42,2%, en Corée de 27,4%, au Chili de 11,4%, au Mexique de 3,3% et au Brésil de 2,6% en 2005 (source Epoca negocios). Cette faiblesse des ratios latino américains s’explique principalement par la préférence des les banques pour le financement de la dette publique, plus lucratif et moins risqué. En Argentine, au Brésil, au Mexique plus de la moitié de l’ensemble des prêts bancaires est destinée au secteur public entre 2001 et 2003 (10% en Chine, Malaisie, Thaïlande, 1,5% au Chili, mais 26% en Colombie), source : The McKinsey Quaterly (Juillet 2007) : « Desarrollo del potencial de los sistemas financieros de America Latina ».

[31Rappelons que les coefficients de Gini sont très élevés en Amérique latine, comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous. Il reste qu’au-delà des inégalités, il faut prendre en compte la dimension absolue des demandes pour analyser la rentabilité des capitaux, un pays comme le Brésil, fortement peuplé, a davantage de possibilité de capter des économies d’échelle qu’un pays comme l’Argentine, moins peuplée, mais moins que la Chine plus peuplée et devenue profondément inégale en quelques années :
Inégalités dans la distribution des revenus

Pays 1990-1995 2000-2005 Variation en %
Mexique 0.527 0.510 -3%
Argentine 0.444 0.501 11%
Brésil 0.604 0.564 -7%
Chine 0.300 0.469 36%

Source  : World Income Inequalities, Data base/UN-Wider

[32Le taux de formation brute de capital fixe reste faible comme on peut le voir ci-dessous :

Taux de formation brute de capital fixe

Pays 1985 -1994 1995-2005
Mexique 21.7 22.5
Argentine 17.3 17
Brésil 21.2 17.1
Chine 38.7 38.8

Source  : World Develoment Indicators, 2007

[33Il est difficile de lire sur les balances de paiement avec précision ce que sont les mouvements de capitaux sur l’année en cours, a fortiori sur les derniers mois notamment pour tout ce qui concerne le non renouvellement de bons arrivés à échéance et les mouvements dus aux produits dérivés qu’on retrouve parfois dans le poste « erreurs et omissions » qui gonfle soudainement. Très souvent les chiffres sont donnés en nets alors qu’il est plus intéressant de les avoir en bruts et l’évolution des réserves de la banque central n’est pas suffisante si par ailleurs la balance des comptes courants est déficitaire. Par ailleurs, la volatilité du taux de change ne traduit pas nécessairement celle des mouvements de capitaux en raison de l’intervention de la banque centrale pour défendre le cours de sa monnaie. Cette intervention peut être forte certains moments, modérés à d’autres sans que cela ait un rapport constant avec la volatilité de la bourse.

[34La différence entre les coefficients (avant et après transferts et impôts) de GINI est de 2 points en Amérique latine contre 15 point pour l’Europe. Elle est par exemple de 1,5 point en Argentine. Les données sont de 2005. Voir Latin American Economic Outlook, OECD, 2007, Paris, p.31 et 53.

[35Voir sur cette question le très intéressant article de F. Erber (2008) : « As convençoes de desenvolvimento no Brasil : um ensaio de economia politica » présenté au sémianire de la Fondation Gétulio Vargas, mimeo.

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