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24 octobre 2004

Amérique Latine : Pourquoi tant d’insécurité ?

 

Si la criminalité est aussi forte dans la plupart des pays d’Amérique latine, c’est surtout parce que la police est corrompue et la justice inexistante. La lutte contre l’insécurité passe donc par des réformes de fond. Certes mais qui a des intérêts dans tout cela, certainement pas le premier monde, comme para hasard ?

The Ecologist

Dans plusieurs pays d’Amérique latine, 2004 restera l’année où le peuple s’est soulevé contre la criminalité. Des centaines de milliers de personnes ont envahi les rues de Buenos Aires (d’abord en mars, et deux fois depuis lors) et de Mexico (en juin) pour protester contre l’insécurité. Au Brésil, des mobilisations plus anciennes avaient encouragé l’adoption d’une nouvelle loi (entrée en vigueur le mois dernier) qui réglemente encore davantage la possession d’armes. Dans toute la région, les sondages montrent que la criminalité vient seulement après les inquiétudes économiques dans les préoccupations des gens.

Ce qui amène tant de Latino-Américains à descendre dans la rue est un sentiment d’impuissance face à un système pénal en plein délitement. Certaines des causes de la criminalité tiennent aux conditions socio-économiques : pauvreté et inégalités ; urbanisation galopante et chaotique ; chômage, notamment parmi les hommes jeunes, dont le nombre a considérablement augmenté en raison de l’explosion démographique. Le trafic de drogue a engendré de puissantes mafias dans toute l’Amérique latine. Mais, surtout, si la criminalité sévit à ce point, c’est parce que les criminels sont rarement arrêtés et condamnés. Au Mexique, selon une récente étude du CIDAC, un groupe d’experts, 96 % des crimes sont restés impunis entre 1996 et 2003. Seulement 8 % des quelque 50 000 meurtres commis chaque année au Brésil donnent lieu à des poursuites. Résultat : de nombreux Latino-Américains ne prennent pas la peine de signaler les crimes à la police. Ils considèrent que la police, loin de résoudre le problème de la criminalité, ne fait que l’aggraver. A juste titre : les policiers sont trop souvent brutaux, corrompus et incompétents, voire criminels.

L’incurie des forces de police en Amérique latine s’explique pour une large part par l’Histoire. Sous les dictatures, la police était souvent militarisée. Aussi, les policiers considèrent traditionnellement que leur mission est de maintenir l’ordre public, et non de prévenir ou de résoudre la criminalité. A cette fin, ils font souvent appel à des moyens quasi militaires. Témoin les opérations de police menées contre les bandes de trafiquants de drogue dans les favelas de Rio de Janeiro : invasion, bataille... et dommages collatéraux. De plus, le métier de policier n’a pas bonne réputation. Les salaires sont faibles et les abus des supérieurs envers les subalternes sont fréquents. Sans compter que la formation est très insuffisante. En outre, l’organisation des forces de police laisse souvent à désirer : les différents services ou unités, trop nombreux, ont tendance à se concurrencer. Pour lutter contre la corruption, les gouvernements ont souvent opté pour la création d’unités d’élite au lieu de réformer la police dans son ensemble. Au Brésil, par exemple, aucune force - à l’exception peut-être de la police fédérale, bien rémunérée, qui s’occupe de la contrebande, du blanchiment d’argent et de la fraude - ne dispose de moyens suffisants en formation, en matériel et en équipements pour faire son travail correctement.

La "guerre" contre le trafic de drogue, soutenue par Washington, vient encore compliquer les choses. La police nationale colombienne possède un matériel de surveillance de très haut niveau et une immense flotte d’hélicoptères pour lutter contre les narcotrafiquants, mais elle est bien moins efficace dès qu’il s’agit de lutter contre la criminalité ordinaire. Dans la région, des réformes plus ou moins approfondies sont en cours. Après les mobilisations de juin, le président du Mexique, Vicente Fox, fort de la manne pétrolière, a promis de doubler le budget de la sécurité. Mais cela ne devrait guère régler les problèmes. De nombreux réformateurs mettent en revanche l’accent sur une meilleure gestion. Ils intensifient la lutte contre la corruption et, dans les pays fédéraux, s’efforcent de fusionner ou de faire communiquer différents services. Ils prônent aussi la mise en place d’une "police de proximité", ainsi qu’une amélioration de la formation et des conditions de travail des policiers.

Dans ce domaine, le Salvador et la Colombie font figure de pionniers. Dans le cadre de l’accord de paix de 1993 qui a mis fin à la guerre civile au Salvador, l’ONU a mis sur pied une toute nouvelle force de police civile. Cette nouvelle force doit régulièrement répondre de ses actes devant la population, à travers des forums citoyens et des réunions municipales prévus par la loi.
En Colombie, les gouvernements national et locaux tentent d’enrayer la criminalité par tous les moyens. Le président Uribe a installé des postes de police dans 158 villes qui en étaient dépourvues. Après avoir étudié les caractéristiques de la violence, Antanas Mockus, deux fois maire de Bogotá (1994-1996 et 2000-2003), l’a réduite par des campagnes d’éducation et une réglementation plus stricte sur les armes et sur l’alcool. Depuis 1994, le nombre de meurtres est passé en Colombie de 28 000 à 23 000 par an. Au Pérou, une équipe de réformateurs civils a pris en charge le ministère de l’Intérieur, lequel était corrompu jusqu’à la moelle à l’époque où Alberto Fujimori était à la tête du gouvernement (1990-2000). Parmi les mesures de grande envergure qu’ils ont prises, citons la purge parmi les cadres de la police (qui comptait 750 colonels, mais seulement 1 495 lieutenants en 2001), la mise en place d’un service anticorruption et la création d’un poste de médiateur de la police, destiné à recevoir les plaintes de la base.

Outre les résistances internes, les réformateurs sont confrontés à deux obstacles. Premièrement, le fonctionnement de la police est inséparable de celui de la justice. Tant que cette dernière ne sera pas réformée, l’amélioration des services de police ne suffira pas à faire condamner les criminels. Deuxième danger, la colère de la population aboutit à une demande de simple répression qui est contraire au but recherché. Pour venir à bout de la criminalité, il faut des mesures préventives, tels une meilleure éducation, un renforcement de la réglementation sur les armes mais aussi davantage d’emplois.

Courrier International, 21/10

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