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8 avril 2015

Yémen : La trahison du cartographe égyptien

par Guadi Calvo *

 

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Dans l’article de janvier 2014 « Abdel Fattah al-Sissi : le cartographe égyptien », nous espérions que l’apparition de l’actuel président égyptien représenterait une voix aux réminiscences nasséristes dans l’entrelacs complexe de la réalité de son pays.

Al Sisi semblait mettre fin à une si longue trahison de la politique égyptienne envers le peuple arabe et semblait disposé à tracer avec une main de cartographe soigneux une nouvelle carte reflétant non seulement la réalité de l’Egypte mais aussi de la région.

Le général est apparu en réponse à la demande de millions et millions d’Egyptiens, en ayant assez des dictatures sanguinaires et corrompues de Anuar Al-Sadat (1970-1981) et de Hosni Moubarak (1981-2001) qui ont non seulement trahi les principes nationalistes du Général Gamal Abdel Nasser, mais également qui par leurs alliances avec les Etats-Unis ont annihilé toute possibilité d’un état palestinien et de l’unité arabe qui aurait pu contrer la croissance déchainée d’Israël.

Les conséquences d’une telle trahison sont aujourd’hui visibles. Il n’y a qu’à revoir les attaques successives de Tel Aviv contre la Palestine et le Liban, durant lesquelles ont été assassinés en masse des milliers et milliers de citoyens arabes, dans une guerre ouverte dont le but principal est le nettoyage ethnique, afin qu’Israël puisse établir ses tristement célèbres « colonies ». Sans le consentement de Sadat et Moubarak, cet état actuel des choses aurait été impossible.

En 2011, avec l’apparition du Printemps Arabe, le peuple égyptien a vu l’opportunité de se débarrasser de la dictature monolithe de Moubarak et de trouver d’autres voies de représentation, après des mois de résistance dans la rue et des milliers de morts qui ont mené à la chute du régime ; après une brève période de gouvernement de junte militaire, on est arrivé à la possible, pour la première fois dans la grande histoire du peuple égyptien, élection d’un président, avec une sortie démocratique à « l’occidentale ».

Avec une grande déception, les égyptiens n’ont pas tardé à découvrir que l’homme élu, Mohamed Morsi, incarnait le pire de la culture occidentale : le néolibéralisme et le pire de l’Islam : le wahhabisme. Economiquement, l’Egypte se dirigeait vers une politique encore plus, s’il eut été possible, soumise que celles opérées par Sadat et Moubarak, et au niveau social, on commençait à envisager que la société allait être corsetée par des pratiques absurdes et atrabilaires comme celles où se noient des peuples saoudiens ou ceux des Emirats Arabes Unis, qui possèdent la charia comme code de conduite.

De nouveau, les Egyptiens sont descendus dans les rues pour arrêter la « cession » du pays et l’assujettissement du peu de leurs droits et alors, a émergé le portrait du général Al-Sisi, qui semblait incarner le meilleur de l’esprit Nasser.

Rapidement, la figure d’Al Sisi s’est popularisée, au point de se voir obliger de renoncer à sa carrière militaire et d’endosser celle de politicien. Toutes les rues du Caire, toutes les rues d’Egypte ont été tapissées de son image, jusqu’aux boulangeries qui ont proposé des tartes et desserts à l’effigie du nouveau leader qui était parvenu à mettre fin à autant d’années de décadence.

Personne, ni les analystes internationaux, ni le Département d’Etat, ni les ministères des affaires étrangères du monde, n’ont semblé pouvoir concevoir quel serait le chemin du nouveau président, après sa victoire électorale écrasante, qui a atteint 96.6% des voix en mai 2014.

Pour ceux qui ont cru que al-Sissi représenterait un changement, les signaux de détresse se sont allumés quand il s’est agit de comprendre quelle serait sa politique dans la région. Il va sans dire que l’Egypte est la clé de voute de la politique américaine au Moyen-Orient, et cela est démontré par les montants exorbitants de crédits et de facilités de paiements que Washington prête quand il s’agit d’équiper son armée. Le monde démocratique a attendu avec impatience la voix de al-Sissi pour condamner les attaques aberrantes d’Israël contre Gaza en juillet et août de l’année dernière qui ont fait plus deux milles morts, dont près de 850 avaient moins de treize ans.

Al Sisi a non seulement continué sur son syndrome de sphinx, mais a également ordonné la fermeture du passage de Rafah, au sud de Gaza, l’unique passage en territoire « ami » sur lequel les Palestiniens peuvent compter.

L’expression de la politique étrangère de al-Sissi, au cours des mois suivants fut quelques visites d’État, notamment en Russie mais rien d’autre. Concernant la politique intérieure, il s’est employé à reprendre les procès et exécutions contre des membres de la sombre organisation des Frères musulmans, structure mère d’Ayman al-Zawahiri, l’actuel chef de Al-Qaida mondial. Les Frères Musulmans avaient été le soutien politique du gouvernement de Morsi.

Cependant, le général Abdul Fattah al-Sissi vient de confirmer qu’il n’y a plus rien à espérer de lui et qu’il va seulement poursuivre les politiques anti-arabes exercées autant par Sadat que par Moubarak.

Opération Paradoxe

La question interne au Yémen ne se circonscrit pas seulement à un affrontement entre sunnites et chiites, mais contient sans nul doute un aspect plus politique que religieux. Il y a plusieurs zones sunnites qui accompagnent et soutiennent la lutte des Houthis, du patronyme de son leader Abdul Malik Badreddin al-Houthi, cheikh chiite de courant zaïdi qui à la tête de Ansar Allah (Partisans de Dieu) a réussi à acculer le gouvernement de l’ancien Abd Rabo Mansour Hadi.

Hadi avait démissionné en février, mais a été contraint par l’Arabie Saoudite à reprendre ses fonctions il y a quelques semaines. Cela a encore plus approfondi la crise yéménite, qui en plus de compter sur son territoire la présence de Al-Qaïda pour la Péninsule Arabique (AQPA) recense aussi l’Etat Islamique. Groupuscule dont les membres ont été les acteurs d’une innombrable quantité d’attentats, dont les plus récents, ceux du 20 mars, où des bombes humaines de l’Etat Islamique ont explosé dans des mosquées chiites de Badr et d’Al-Hashahush dans le quartier de al-Yarraf, au nord de Sanaa. 160 personnes ont trouvé la mort et 350 furent blessées.

L’ancien président Mansour Hadi, avant de fuir la ville de Aden, son dernier refuge dans le pays, a demandé l’aide du Conseil de Coopération du Golfe (CCG, Arabie Saoudite, Koweit, Bahrein, Emirats Arabes Unis, Oman et le Qatar). Ce conseil n’a pas tardé à accorder une force militaire à laquelle se sont ajoutés d’autres pays musulmans comme le Maroc, le Soudan, la Jordanie, le Pakistan et l’Egypte, qui ont rapidement lancé l’opération « Tourmente de la fermeté ». Ils ont commencé à bombarder des positions Houthis, détruisant plusieurs batteries anti aériennes. Pour l’heure, une trentaine de morts ont été dénombrés. Il serait inconcevable de penser que semblable opération puisse se réaliser sans le consentement de Washington et de son allié à Tel Aviv. Les Etats-Unis ont reconnu qu’ils fournissaient des données satellitaires au moment des bombardements.

Dans cette situation, le plus interpellant est la rapidité avec laquelle cette alliance a été formée, au moment de combattre une force qui revendique son droit à l’autogestion de son pays opposé à un gouvernement corrompu. Rappelons-nous que Mansour Hadi, a été non seulement le dernier président mais aussi le vice-président du dictateur Ali Abdallah Saleh, qui a gouverné le pays pendant près de trente ans
Réinstaller au gouvernement Mansour Hadi est prioritaire pour les monarques du Golfe Persique, et fondamental pour l’Arabie Saoudite qui compte mille cinq cents kilomètres de frontière et pour qui justement les provinces dont est originaire le mouvement houthi, Sadaa, Al Jawf et Hajjah, sont frontalières avec le royaume des Saoud. Un Yémen démocratique, avec une influence chiite et soutien de l’Iran pourrait devenir le « pire » exemple pour la majorité de ces peuples. Pour cette raison, ce n’est pas un hasard que l’alliance anti Yémen soit composée absolument de monarchies absolutistes, ou de gouvernements en manque de tout aspect démocratique.

Il faut prêter attention qu’en plus d’être délimité par l’Arabie Saoudite, le Yémen a une frontière de près de 300 kilomètres avec Oman. Sa perméabilité transforme le petit sultanat en une place critique au moment où se propage la révolution Houthi, alors même que tant les sunnites que les chiites sont minoritaires puisque la majorité religieuse d’Oman est celle des Ibadites ; la première dissidence de l’Islam qui représente 75% de la population omanaise.

Aussi, le plus frappant dans la présence égyptienne dans cette alliance, est qu’en plus de déployer quatre navires de guerre au large de la côte yéménite, elle incite à l’invasion terrestre des troupes sur ce même territoire. On a appris au Caire que le plan d’invasion est déjà en cours. Une des autres contradictions de Al-Sissi est que le gouvernement du Soudan, désormais allié de l’Egypte, est contrôlé par secteurs d’une dissidence des Frères musulmans. Les mêmes qui, en terre égyptienne, n’ont de cesse d’être exécutés.

Les paradoxes de Al-Sisi, ne s’arrêtent pas là. Il n’était pas aussi catégorique au moment punir l’Etat Islamique lorsqu’il s’agissait de la décapitation de pas moins vingt travailleurs égyptiens en Libye le mois dernier. Le président s’est limité à une seule et simple opération punitive, un bombardement, quasi pour la forme, des positions du calife Ibrahim sans chercher à aller plus loin dans la sanction jusqu’à aujourd’hui.

Il est certain qu’il n’y a pas seulement cette ligue de pays musulmans, les Etats-Unis et Israël qui ont intérêt à empêcher les Houthis à prendre le pouvoir au Yémen. Il y a aussi L’’Union Européenne. Rappelons que celui qui contrôle le Yémen, contrôle le détroit stratégique de Bab-el-Mandeb entre l’océan Indien et la Mer Rouge, qui connecte via le canal de Suez l’Asie et le Golfe persique à l’Europe.

Certains observateurs estiment qu’une éventuelle guerre au Yémen ne serait pas une guerre entre l’Iran et l’Arabie saoudite, mais entre Téhéran et Washington, mettant un terme à cette relation naissante que le président US avait commencé à établir avec les ayatollahs, ce qui rétablirait la tranquillité à la fois à Tel-Aviv et à Riyad.
Le Yémen est le pays avec le plus grand nombre d’armes à feu par habitant dans la région, et avec une longue tradition guerrière, ce qui peut signifier un long conflit, dont comme toujours, personne ne sortira gagnant. Pendant ce temps le mirage de Al-Sissi se dilue pour le mal des peuples arabes.

Guadi Calvo pour El Correo

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Imen Toutaoui

El Correo, Paris, le 30 mars 2015

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