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Nelida Elena Balaris, ex-sage-femme de l’Hôpital militaire
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Balaris a raconté devant le tribunal comment ils l’ont obligé à assister des femmes emprisonnées alors qu’elle travaillait à l’hôpital dépendant de l’Armée. Elle avait déjà déclaré devant la Conadep de ce qu’elle avait vécu aux côtés d’un groupe de collègues.
Peu après le début de l’audience, on lui a demandé si elle avait vu des femmes enceintes ou si elle était au courant des accouchements de personnes détenues. Nélida Elena Balaris a rapidement dit que oui. « Moi-même j’ai assisté à deux accouchements de ces patientes ; l’un dans le même hôpital, c’est à dire, je vais vraiment raconter ce qu’ a été mon travail, ce qui est déjà écrit dans « Nunca más », parce que je suis allée faire volontairement une déclaration à la Conadep, parce que quand avons appris les choses qui étaient arrivées je me suis sentie responsable d’une situation semblable. »
Plus de trente ans sont passés depuis de la déclaration devant la Conadep. Balaris était une des sages femmes civiles de l’Hôpital militaire de Campo de Mayo, est partie volontairement au retour de la démocratie menacée par le chef militaire de Gynécologie, qui après l’avoir prévenue que si elle parlait, elle allait finir par regarder pousser les marguerites depuis le bas. L’obstétricienne est diplômée, et dirige une école d’infirmières et se croit loin de cet enfer auquel cependant elle revient de temps en temps dans le cadre des procès judiciaires qui continuent à chercher des éléments : « Aïe... Dieu ! », on l’a écoutée haleter un moment, collée au microphone, pendant l’audience sur les vol de bébés. Les plaignants lui passaient les copies du Livre d’Accouchements qu’elle lisait et relisait, en cherchant la moindre piste, une signature, une donnée qui servirait encore aujourd’hui.
Les accouchements
« Le premier accouchement n’a pas été si terrible », a-t-elle démarré. « c’était une femme âgée, j’était avec le docteur Petrillo, avec un militaire à l’intérieur de la salle d’accouchements. On m’appelle, c’était un accouchement expulsif, la femme était avec les yeux bandés, mais la situation la plus étonnante fut qu’elle n’a manifesté ni douleur, ni angoisse, ni rien du tout : comme si sa tête était d‘un côté et son corps de l’autre. »
Ce n’est pas qu’elle n’a pas crié, a essayé d’expliquer l’obstétricienne. Et elle a regardé la présidente du Tribunal : « Vous êtes une femme et vous savez que la femme pousse un cri, mais cette femme, rien, rien de rien ». Comme le bandeau ne me laissait pas voir ses yeux, ce lieu du corps capable de transmettre quelques signes de l’âge, Balaris n’a jamais su combien quel âge elle avait. Elle a imaginé un peu plus de quarante, mais elle fut étonnée par le nombre de ses cheveux blancs.
Quand cela s’est passé ?, lui a demandé le procureur Martín Niklison . Mais elle ne s’est pas souvenue : cela pu être à la fin 76 ou début 77, mais « c’ est très difficile » de se rappeler. Elle ne sait pas non plus si le bébé était un garçon ou une fille ; mais que oui, que tout a été normal, que l’accouchement s’été bien passé dans la Maternité et qu’ils ont ils l’ont emmené la mère tout de suite à Épidémiologie. Ou mieux, le lieu que tout l’Hôpital connaissait quand l’on disait « ils l’ont emportée au Fonds ».
Epidémiologie a fonctionné comme une zone fermée après le coup d’État. On suppose que là sont restées les femmes enceintes de celui-là ou d’autres centres d’extermination jusqu’au moment d’accoucher. L’obstétricienne est entré six ou sept fois entre 1976, 1977 et quelques mois de 1978, toujours accompagnée d’un agent. Là étaient ceux que la rumeur hospitalière identifiait comme « subversifs », « séditieux » ou « NN ». Elle n’a jamais pu parler à aucune des femmes. Elle les a toujours vues avec des yeux bandés et gardées à l’entrée par un militaire. « Ce que nous faisions était d’aller contrôler les battements », a-t-elle expliqué : « N’aviez-vous aucun dialogue avec celles-ci ? », a demandé la présidente du Tribunal, Marie del Carmen Roqueta. « J’allais, j’auscultais, je prenais la tension artérielle et les battement du fœtus, mais c’était une question de minutes, nous ne restions pas là, ni en les auscultant, ni rien du tout. »
Balaris est certaine que malgré que l’ordre était d’entrer sans sa plaque d’identification pour que les parturientes ne puissent pas, par hasard, savoir où elles étaient, elle est toujours entrée avec sa plaque. Que derrière elle était toujours Jules César Caserotto, le chef militaire de Gynécologie, l’homme qui l’a menacée des années plus tard, et la même personne qui en hiver 1977 ou 1978 l’a obligé à aller s’occuper d’un deuxième accouchement. « Un matin il vient et me dit d’aller à la Prison de Encausados et je refuse d’y aller. Alors Caserotto me menace, me dit que celui qui a donné l’ordre était le directeur de l’hôpital et je n’ai pas eu d’alternative : j’y ai été ; m’ont accompagné une infirmière et un médecin militaire qui, je crois, il était du service traumatologie ».
La prison était à l’intérieur de Campo de Mayo, à environ quinze minutes de l’Hôpital. Balaris est montéee à l’ arrière d’une ambulance, d’où elle a vu le parcours. « Ils ont rentré l’ambulance – a-t-elle dit– ; il y avait beaucoup de militaires, ils m’ont amené à l’infirmerie de la prison, du moins cela y ressemblait, il y avait une armoire à pharmacie, c’était une pièce avec un lit, avec une dame couchée avec les yeux bandés. »
La femme avait commencé le travail d’accouchement. « Alors, imaginez-vous – a-t-elle expliqué – : je, avec beaucoup d’années en moins, l’examine et je me rends compte que l’accouchement était imminent, que l’on ne peut pas la déplacer. Je leur dis cela : que c’est au quatrième stade, que l’enfant va à naître. »
La sage-femme dit que c’était le moment le plus traumatisant de son séjour. Elle a commencé avec le travail d’accouchement entourée par quatre, cinq ou six militaires. C’était en hiver. A l’époque ils savaient que, pour faire un accouchement sur un lit, il fallait placer la femme sur le matelas. Elle devait chercher la manière de faire levier avec une partie de son corps. « Il faisait très froid », a-t-elle dit. Il l’a mise de travers. « J’ai prévenu les militaires que j’allais mettre le bébé sur le ventre de la mère pour qu’elle le protège ; je l’ai mis et j’ai coupé le cordon ombilical et je crois qu’elle me regardait, parce qu’elle avait le bandeau déplacé, ce sont des choses qui restent dans l’esprit. »
La fille était blonde. Ce n’était pas son premier enfant. L’infirmière a enveloppé tout de suite l’enfant avec une couverture et elle l’a emporté. Balaris a fini de sortir le placenta, et l’a suturé. « J’ai été dans un tel état de stress et quand je suis revenue j’ai eu un très sévère affrontement avec Caserotto, qui m’a coûté que l’on m’ a déplacé à la garde du dimanche. » A l’hôpital l’affrontement fut plus que cela. Elle ne l’a pas dit à l’audience. Mais dans son désespoir, la sage-femme a saisi par les bras son chef et elle l’a égratigné.
« L’incompréhensible de tout cela – a-t-elle expliqué – est : pourquoi nous ? Pourquoi nous mettaient-ils dans ces situations, il y avait obstétriciennes militaires ? »
La Conadep
Balaris était à l’Hôpital militaire depuis 1974, et a toujours su qu’elle allait s’occuper des militaires et civils autorisés. Avec l’ouverture démocratique, une partie du personnel de l’Hôpital a reçu des citations pour se présenter à la Conadep. Elle y est allée avec trois collègues : Lorena Tasca, Margarita Allende et Silvia Cecilia Bonsignore de Petrillo. Avant d’aller, elle ont prévenu Caserotto : « Ils nous ont dit que non, que nous ne devrions pas aller et ils nous ont cité devant le Commando Militaire, dans un Tribunal pareil à celui-là, et là ils nous avons dit les motifs pour lesquels nous voulions faire une déclaration ». Devant le Tribunal, elle a demandé s’il n’était pas vrai que Raúl Alfonsín était en ce moment le chef des Forces Armées. Ils lui ont dit que oui. Et dans cette logique elles ont trouvé la raison pour convaincre le Tribunal Militaire qu’elles devaient aller donner les informations.
Página 12. Buenos Aires, le 29 juin 2011.