Accueil > Les Cousins > Venezuela > Venezuela : les collines qui soutiennent Chavez
Par Martín Piqué
Página 12, Argentine, 16 mai 2004
« Les missions sont comme un Etat parallèle, elles obligent les ministères à se coordonner et à exécuter ». La phrase surprend le chroniqueur de
Página 12 parce que celui qui la prononce est un ministre du gouvernement vénézuélien. Le ministre parle dans son bureau muni de grandes fenêtres, situé dans un immeuble moderne et haut, comme la majorité des bâtiments publics de Caracas. Quand parle de « missions », le fonctionnaire se réfère aux programmes sociaux - d’éducation, de santé et
d’alphabétisation- que l’administration de Hugo Chávez développe depuis 2003. Le plus connu est la « Mission Robinson », un plan d’alphabétisation qui porte ce nom en hommage à Simón Rodríguez, professeur de Bolívar, qui utilisait le nom de Robinson quand il voyageait en Europe et aux Etats-Unis. Un autre programme très connu est celui de « Barrio Adentro », grâce auquel des médecins cubains se sont installés dans les quartiers pauvres de toutes les villes du Venezuela. Ils s’occupent de la population qui n’avait pas accès aux hôpitaux et restait exclue du secteur privé de la santé.
La conversation avec le ministre, qui est habitué aux contacts avec la presse étrangère, révèle l’un des secrets du maintien au pouvoir de Chávez en dépit de l’opposition interne et externe. Le fonctionnaire y fait allusion quand il nous montre un sondage sur l’image du président réalisée par « une consultante mexicaine indépendante ». Cette enquête montre que Chávez continue de jouir de pourcentages favorables élevés. « Chávez a un minimum de 30 % et un plafond de 60 %. Pour le moment, il est à 40 % et ça continue à grimper », nous confirme un observateur international qui travaille pour le centre Carter lors d’une entrevue avec Página/12. Un observateur indépendant, influencé par les médias vénézuéliens, se demanderait comment cela se fait. Pour trouver la réponse, il faut grimper sur les collines. C’est sur les hauteurs, sur les collines qui entourent Caracas que les missions de santé, d’éducation et de travail mises en place par le gouvernement sont en train de faire des ravages. Ravages dans un sens positif parce que les gens qui vivent là - les pauvres, les « negritos » ou les « macacos » comme on les appelle avec mépris- ont assumé ces initiatives comme leur étant propres. Página/12 a eu l’occasion de l’observer sur le terrain quand nous avons conversé avec des groupes de femmes des quartiers de Soracaima et de Negro Primero, dans la paroisse de El Valle, dans la périphérie sud de Caracas. Dans ces quartiers, beaucoup de voisines et de femmes au foyer participent au Comité de santé qui aide les médecins cubains dans leur travail. Elles se sont aussi rassemblées dans le Comité de la terre urbaine (CTU), l’organisation qui régit la vie communautaire de chaque quartier.
Avec le soutien des forces armées, cette participation est la principale force de Chávez. Les secteurs les plus intelligents de l’opposition - comme l’ex guérillero Teodoro Petkoff, éditeur du journal Tal Cual- le soulignent chaque fois qu’ils le peuvent. « Pour lutter contre la pauvreté il faut donner le pouvoir aux pauvres » est un slogan souvent répété par Chávez. Les gens qui vivent dans les collines ont la certitude que ce principe est en train de devenir réalité. De quelle manière ? Au travers des « missions », des programmes sociaux de santé, d’éducation et d’emploi productif, mais cependant avec les difficultés d’un processus mis en place par un gouvernement qui ne contrôle pas totalement l’Etat. « Le problème c’est que les regulares (’fonctionnaires’) ne veulent pas travailler pour ce processus » continue à nous expliquer le ministre habitué aux contacts avec la presse étrangère. « C’est cette partie qui refuse de mourir, comme disait Gramsci. »
Quand il parle de « regulares », le membre du cabinet fait référence à la majorité des employés de l’Etat « toujours » en poste depuis l’époque du social-démocrate Carlos Andrés Pérez. Beaucoup de ces employés, bureaucrates et fonctionnaires moyens, occupent des postes importants au sein de l’Etat grâce à leur appartenance aux deux partis traditionnels du Venezuela : « Acción Democrática » et « Copei » [1]. Depuis que Chávez gouverne, ils se trouvent dans des secteurs de la Chancellerie (« Chávez disait quelque chose et l’équipe de négociateurs de l’ALCA en faisait une autre »), dans les ministères de la Santé et de l’Education et dans d’autres services publics. Une des principales preuves de cette situation a eu lieu il y a un an, lorsque le gouvernement recevait les premiers résultats du plan d’alphabétisation. A ce moment-là, le programme - basé sur la méthode « Yo si puedo » créée par les Cubains- était mis en oeuvre au travers de la structure du ministère de l’Education, comme cela se ferait dans n’importe quel pays. Les résultats étaient mauvais. Le programme n’avait pas réussi à alphabétiser le quart de ce qu’avait promis Chávez. La réponse du gouvernement a consisté à créer des structures parallèles à l’Etat - les « missions »- et de les doter d’un budget afin d’exécuter les projets. Le problème résidait dans le fait de trouver des personnes qui allaient mener ce projet à bien. Même s’il le voulait, le gouvernement ne pouvait pas compter sur un appareil de parti capable de distribuer les ressources : les forces politiques qui appuient Chávez sont relativement neuves, ne sont pas présentes sur tout le territoire ni dans tous les quartiers. La solution des « chavistes » a été de recourir aux organisations sociales et communautaires déjà existantes sur les collines, en majorité gérées par des femmes, comme les piqueteras qui organisent des cantines en Argentine.
L’influence culturelle des Etats-Unis - Miami est tout proche - et le boom pétrolier des années 70 ont laissé leur marque dans l’architecture de la capitale vénézuélienne. C’est dans un de ces immeubles monumentaux de ciment, gris, hauts et pleins de fenêtres, que le ministre converse avec
Página/12 sur les plans sociaux du chavisme. « Nous avons réussi à alphabétiser 1,2 millions de personnes » nous dit-il fièrement pendant que son interlocuteur se demande s’il n’exagère pas. Mais l’opposition ne remet pas en question ces chiffres, elle se limite à remettre en question la profondeur des connaissances de ces nouveaux lettrés. La méthode de la mission Robinson se base sur l’image, c’est pour cela que les « instructeurs » qui coordonnent les cours se déplacent partout avec des cassettes vidéos.
Il est très courant de rencontrer des jeunes dans la rue qui portent un T-shirt avec l’inscription « Mission Robinson ». On voit aussi des étudiants de l’Université bolivarienne du Venezuela (UBV), portant des bérets bleus comme signe d’identification. La UBV est un nouveau centre d’études, à côté de l’Université centrale du Venezuela, où se donnent les cours d’économie, de gestion et de promotion communautaire, de communication sociale, de gestion de la santé publique et les cours de droit. C’est au travers de la UBV qu’est menée la « mission Sucre », un programme gouvernemental qui cherche à ce que les jeunes pauvres qui terminent leurs études secondaires puissent suivre des études supérieures.
Selon des statistiques officielles, à peine 27 % de la population démunie entrent à l’université.
La mission Robinson se charge d’enseigner les matières de l’école primaire aux analphabètes. Après cela, la deuxième étape de la mission Robinson et la « mission Ribas » se chargent de l’éducation secondaire. Le processus se termine par la mission Sucre grâce à laquelle le gouvernement espère que tous les étudiants de secondaire pourront poursuivre leurs études s’ils le veulent. L’aide étatique prévoit également un subside pour les personnes sans emploi. Cette initiative porte le nom exotique de « Vuelvan Caras » -en hommage à une tactique que Bolívar utilisait pour combattre les Espagnols - et bénéficie à 100.000 personnes. En échange du salaire minimum (224.700 bolivars ou 117 dollars), les bénéficiaires reçoivent des cours de formation dans différentes matières pour former par la suite des coopératives. Chávez semble avoir les idées claires. Sa base électorale reste ceux « qui sont descendus de la colline ». C’est à eux qu’il destine la majorité des revenus qu’il obtient de Pdvsa [2]. Pour confirmer cette idée, le 1er mai, il a encore fait un geste qui a à nouveau divisé la société vénézuélienne : il a augmenté par décret le salaire minimum de 30 %.
Traduction : Anne Vereecken, pour RISAL.
Notas :
[1] COPEI = Comité d’organisation politique des électeurs indépendants (N.d.T.)
[2] Petroleos de Venezuela SA, la compagnie pétrolière d’état du Venezuela (N.d.T.)