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Par Ignacio Ramonet
Mémoire de luttes</U>. Paris, janvier 2010
L’entrée en fonctions, le 2 février 1999, au Venezuela, du président
Hugo Chávez a pratiquement coïncidé avec un événement militaire très
traumatisant pour les Etats-Unis : l’évacuation de leur principale
installation militaire dans la région, la base Howard, située au
Panama, fermée en vertu des traités Torrijos-Carter signés en 1977.
Les troupes de Howard furent d’abord déplacées à Porto Rico. Mais, là
encore, un massif mouvement populaire de refus contraignit très vite
le Pentagone à les retirer, à fermer la gigantesque base de Roosevelt
Roads et à les transférer au Texas et en Floride. Tandis que le
quartier général du Commando Sud (SouthCom [1]) était lui-même déplacé à Miami [2].
Pour remplacer ces installations et accroître son emprise sur Amérique
Latine, le Pentagone choisit quatre localités stratégiquement situées
et y installa (ou renforça) des bases militaires : à Manta en
Equateur, à Comalapa au Salvador et dans les îles d’Aruba et Curaçao
(Royaume des Pays-Bas). En plus de leurs "traditionnelles" missions
d’espionnage, ces installations se virent confier de nouvelles
fonctions officielles : surveiller les trafics de drogue et combattre
l’immigration clandestine vers les Etats-Unis. Ainsi que d’autres
tâches occultes : contrôler les flux de pétrole et de minerais, avoir
l’œil sur les immenses ressources en eau douce et inventorier la
biodiversité. Mais dès le début, leurs objectifs principaux étaient
clairs : il s’agissait surtout de surveiller le Venezuela et d’aider à
déstabiliser la révolution bolivarienne.
Après les attentats du 11 septembre 2001, le Secrétaire d’Etat
américain à la défense, M. Donald Rumsfeld, définit une nouvelle
doctrine militaire pour affronter le "terrorisme international". Il
décide de modifier la stratégie de déploiement militaire à l’étranger
fondée jusqu’alors sur l’existence d’un nombre réduit de très grandes
bases dotées d’équipements lourds et de personnels fort nombreux. Il
remplace ces mégabases par un nombre beaucoup plus élevé de Foreign
Operating Locations (FOL, Site opérationnel prépositionné) et de
Cooperative Security Locations (CSL, Site de sécurité en coopération)
avec très peu d’effectifs militaires mais équipés de technologies les
plus avancées en matière de détection (radars de dernière génération,
antennes paraboliques sophistiquées, avions espions Orion et Awacs,
drones de surveillance, etc.).
Résultat : très rapidement, la quantité d’installations militaires
américaines à l’étranger atteint le nombre insolite de 865 bases de
type FOL ou CSL déployées dans quelque 46 pays [3]. Jamais dans
l’histoire, une puissance a multiplié de telle sorte ses positions
militaires de contrôle pour s’implanter à travers le monde.
En Amérique Latine, ce redéploiement va permettre à la base de Manta
(Equateur) de participer au coup d’Etat raté du 11 avril 2002 contre
le président Chávez. La pression sur le Venezuela s’accentue.
Washington orchestre notamment une campagne médiatique et lance de
fausses informations sur une présumée présence dans ce pays de
cellules appartenant à des organisations comme Hamas, Hezbollah et
même Al-Qaeda qui disposeraient de "camps d’entraînement sur l’île
Margarita [4]".
Sous le prétexte de surveiller ces "cellules terroristes" et en
représailles contre le gouvernement de Caracas qui a mis fin, en mai
2004, à un demi siècle de présence militaire américaine au Venezuela,
le Pentagone renouvelle, en 2005, l’accord avec le gouvernement des
Pays Bas pour développer ses bases militaires dans les îles d’Aruba et
de Curaçao, situées à quelques encablures des côtes vénézuéliennes.
L’activité militaire au sein de ces bases redouble et s’intensifie
[5], ce qui a été récemment dénoncé par le président Chávez : "Il est
bon que l’Europe sache que l’empire américain est en train d’armer
jusqu’aux dents et de remplir d’avions et de vaisseaux de guerre les
îles d’Aruba et de Curaçao (...) J’accuse le Royaume des Pays Bas,
membre de l’Union européenne - et j’aimerais à cet égard savoir ce
qu’en dit l’Union européenne -, de préparer, avec les Etats-Unis, une
agression contre le Venezuela [6]."
L’Alliance Bolivarienne pour les Amériques (ALBA) est créée en 2005,
Hugo Chávez est réélu l’année suivante et on commence à parler, à
Caracas, de "socialisme du XXIe siècle". Washington réagit en imposant
un embargo sur la vente d’armes et de matériels militaires au
Venezuela, sous le fallacieux prétexte que Caracas "ne collabore pas
suffisamment dans la guerre contre le terrorisme". Les avions F-16 des
forces aériennes vénézuéliennes se retrouvent sans pièces de rechange.
Devant une telle situation, le gouvernement bolivarien se tourne vers
la Russie et signe un accord pour équiper son aviation de chasseurs
Sukhoï. Washington dénonce un soi-disant "réarmement massif" du
Venezuela, oubliant de rappeler que les principaux budgets militaires
d’Amérique Latine sont ceux du Brésil, de la Colombie et du Chili. Et
que, chaque année, la Colombie reçoit une aide militaire américaine de
quelque 630 millions de dollars (environ 420 millions d’euros).
A partir de là, les choses s’accélèrent. Le 1° mars 2008, grâce à
l’aide logistique fournie par la base de Manta, des troupes
colombiennes attaquent un camp des Forces armées révolutionnaires de
Colombie (FARC) situé à l’intérieur du territoire équatorien. Quito
riposte en décidant de ne pas renouveler l’accord de location de la
base de Manta qui arrive à terme en novembre 2009. Washington répond,
le mois suivant, en réactivant la IVe Flotte (démantelée il y a
soixante ans, en 1948...) dont la mission sera de surveiller et de
contrôler la côte atlantique de l’Amérique du Sud. Un mois plus tard,
les Etats sudaméricains, réunis à Brasilia, décident de créer l’Union
des nations sud-américaines (UNASUR) puis, en mars 2009, le Conseil de
défense sudaméricain.
Quelques semaines plus tard, l’ambassadeur des Etats-Unis à Bogota
annonce que la base de Manta sera remplacée par celle de Palanquero en
Colombie. En juin, avec le soutien technique de la base américaine de
Soto Cano (Palmerola), un coup d’Etat au Honduras renverse le
président Manuel Zelaya, coupable d’avoir fait adhérer son pays à
l’ALBA. En août, le Pentagone révèle qu’il disposera, en Colombie, de
sept nouvelles bases militaires... Et, en octobre, le président
conservateur du Panama, Ricardo Martinelli, admet que son gouvernement
a cédé aux Etats-Unis l’usage de quatre autres bases.
Le Venezuela et la révolution bolivarienne se retrouvent donc
encerclées par pas moins de treize bases américaines situées en
Colombie, Panama, Aruba et Curaçao, ainsi que par les porte-avions et
les vaisseaux de la IVe Flotte. Le président Barack Obama semble avoir
donné carte blanche au Pentagone. Tout paraît annoncer une agression
militaire. Les peuples du monde accepteront-ils que soit commis un
nouveau crime contre la démocratie en Amérique latine ?
Notes :
[1] Le United States Southern Command (SouthCom) dirige toutes les activités militaires des Etats-Unis en Amérique Centrale, Amérique du Sud y la Caraïbe.
[2] John Lindsay-Poland, "US Military Bases in Latin America and the Caribbean", Foreign Policy in Focus, New York, août 2004.
[3] Chalmers Johnson, "Tenmeasures to liquidate theU.S. military bases", Asia Times, 4 août 2009.
[4] Martin Arostegui, "From Venezuela, A Counterplot", Insight
Magazine, 3 avril 2003.
[5] Eva Golinger, "Más de 100 buques de guerra de EEUU han "visitado"
Curazao en un año", Rebelión, 20 décembre 2009.
[6] Discours prononcé à l’occasion de la rencontre de l’ ALBA avec les
Mouvements Sociaux du Danemark, Copenhague, 17 décembre 2009.