Accueil > Les Cousins > Colombie > « Uribe refuse de reconnaître qu’il y a guerre »
Entretien avec Mélanie Delloye, la fille d’Ingrid Betancourt. Depuis quarante-quatre mois, elle se bat, aux côtés de sa famille, pour la libération de sa mère et de tous les otages retenus par les Farc.
Par Cathy Ceïbe
L’Humanité Paris, 26 octobre 2005
L’initiative de lundi soir au Théâtre du Rond-Point augure-t-elle d’une nouvelle étape dans la solidarité avec les otages ?
Mélanie Delloye. Cette soirée était très importante. La solidarité de Renaud et de tous les artistes présents, des personnes qui manifestent leur soutien sont essentielles pour nous. La seule possibilité de changer les choses, d’une issue pour tous les otages et pour maman, c’est le soutien international. Une véritable pression pour que le gouvernement colombien et les FARC comprennent qu’ils n’ont pas de choix : ils doivent trouver une solution pour un accord humanitaire. D’autant plus que la Colombie entre dans une période très spéciale avec l’élection présidentielle. Le président colombien [Alvaro Uribe - NDLR] a tout fait pour changer la Constitution pour pouvoir être réélu. Et il a de grandes chances de l’être. L’actuel président n’a aucune volonté politique pour trouver une solution à la problématique des otages.
Plusieurs tentatives pour faire libérer votre mère ont été entreprises depuis Paris. Pourquoi ont-elles échoué ?
Mélanie Delloye. C’est justement l’opposition du président à toute avancée de rapprochement d’un éventuel accord humanitaire ou d’une libération des otages. La France, la Suisse, l’Église colombienne, l’ONU ont essayé de tendre la main aux familles des otages pour les aider à trouver une solution, en allant parler aux FARC, en essayant de faire comprendre au gouvernement colombien qu’ils pouvaient être des médiateurs... À chaque avancée, le gouvernement et le président Alvaro Uribe ont fait en sorte que tout ce qui était entrepris soit annulé. Le gouvernement est non seulement indifférent à la situation des otages, il fait tout pour freiner un éventuel accord humanitaire.
Quelles en sont les raisons ?
Mélanie Delloye. Le président Uribe croit que la guerre est la solution pour sortir du conflit colombien. Il se trompe. D’ailleurs, les résultats de la fin de son mandat sont probants : la situation est encore plus terrible qu’il y a quatre ans, lorsqu’il a été élu. Il y a plus de morts, de violences et de sang. Si, aux yeux du président colombien, c’est ça la solution, je pense que nous avons une idée très différente de ce qu’est un chemin vers la paix. Le président colombien refuse de reconnaître qu’il y a une guerre en Colombie. Il parle de menaces terroristes. Le conflit qui oppose le gouvernement aux FARC et à d’autres mouvements insurrectionnels dure depuis plus de quarante ans. Il a fait plus de 200 000 morts. Trois millions de personnes ont été déplacées. Nous devons ouvrir les yeux du gouvernement pour lui faire accepter la situation réelle : celle d’un état de guerre.
Vous évoquez la prochaine campagne électorale pour la présidentielle. Pensez-vous que cette période sera propice aux pourparlers ?
Mélanie Delloye. Les campagnes électorales sont des périodes très importantes parce que les débats s’ouvrent. Il faut tout faire pour que la problématique des otages soit une priorité de cette campagne. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Les candidats n’en parlent pratiquement jamais. Imaginez un pays où il y a trois mille otages, qui pourrissent dans la jungle, et pour qui on ne fait rien. Ce n’est pas un dossier d’actualité. C’est comme si la meilleure façon de contrer le kidnapping était de l’ignorer. C’est pour cela que la pression internationale est importante car pour le gouvernement et le président colombiens, le fait de ne pas en parler est une situation très commode. Ils peuvent tranquillement ignorer l’affaire et ne pas se soucier des pressions. Il faut tout de même se rendre compte que 80 % des otages au niveau mondial se trouvent en Colombie. Nous avons une grande responsabilité pour que cette question soit un sujet d’actualité mondiale.
Une des voies possibles ne serait-elle pas que le président colombien procède à des échanges humanitaires comme le demandent d’ailleurs les FARC ?
Mélanie Delloye. Bien sûr. La Colombie a signé la convention de Genève qui stipule qu’en cas de conflit interne, de guerre, tout accord humanitaire en vue d’un échange de prisonniers doit être fait. Pour échapper à cette obligation, le président Uribe dit qu’il n’y a pas de guerre en Colombie. Il n’y a donc pas d’échanges humanitaires possibles. Nous devons rappeler à la Colombie et à son président qu’ils ont un devoir à remplir en tant que signataire de cette convention. Le président a un devoir envers tous les otages colombiens.