Accueil > Les Cousins > Chili > Une autre tromperie du monde néo-libéral : les fonds de pensions du Chili (…)
Les fonds de pension privés chiliens, qui sont du même type que les AFJP de l’Argentine, sont en crise. Il arrive la même chose aux Etats-Unis.
Au Chili, la situation s’est aggravée du fait du soutien d’une armée convertie dans une caste bureaucratique.
Par Belarmino Elgueta
Punto Final, Chile
La dictature de droite menée par Pinochet supprima le système de sécurité sociale conquis par les travailleurs, entre 1924 et 1973 et établit pour ceux-ci le principe d’épargne obligatoire, sans apports ni du fisc, ni des patrons, comme c’était le cas auparavant. Mais en échange, ce système a conservé et amélioré le système de pension des militaires et des carabiniers financé presque entièrement par l’Etat, consolidant ainsi l’inégalité face à la loi. La Concertation pour la Démocratie s’est faite complice de cette injustice pendant trois mandats présidentiels. Durant toutes ces années, les défauts du système appliqué aux travailleurs n’ont pas été corrigés. En revanche, au Ministère de la Défense, on est entrain de travailler afin de régler l’énorme déficit accumulé par le système privilégié de pensions des Forces Armées et de l’Ordre, estimé à plus d’un milliard de dollars. Dans ce sens, il semble que l’Etat finance le coût de ce privilège avec le sacrifice de tous les chiliens.
L’heure est venue de discuter publiquement de l’un des aspects négatifs de l’héritage de la dictature afin de revoir les deux systèmes et d’égaliser leurs coûts et leurs bénéfices et de finir avec le double standard.
La fraude au système de prévoyance
Le système de pension en vigueur au Chili jusqu’en 1980 prend son origine dans les lois promulguées en 1924, complétées selon le principe de solidarité et de participation de l’Etat. Ce système englobait des prestations de pensions et de caisses de secours (montepíos), les indemnisations, les congés, les accidents de travail, les maladies professionnelles, les allocations familiales et le chômage. Son financement était tripartite, c’est-à-dire avec les apports des travailleurs, des employeurs et de l’Etat, selon les conventions de l’OIT. L’Etat prenait en charge, en plus, la responsabilité des institutions administratives du système, sans aucun coût pour les travailleurs affiliés.
La couverture était large et atteignait 76% de la population active. Selon les différentes activités, il existait des régimes de pension différenciés. Au-delà de ses imperfections, ce système était plus favorable à ses bénéficiaires car il était fondé sur la solidarité et ne laissait aucun travailleur exposé à la détresse sociale, même avec peu d’apports car il incluait la cessation d’activité avec la continuité de la prestation. De plus, il octroyait des prêts à ses affiliés pour l’achat, la construction, l’agrandissement et la réparation des logements.
Depuis la privatisation du système de pensions, l’Etat a à sa charge, à travers le Instituto Nacional de Previsión (INP), environ 360 000 cotisants actifs qui continuent à être attachés à ce système ; il paye des pensions à environ un million de personnes, prolongeant ainsi sa prise en charge jusqu’à la troisième décennie du XXIè siècle, avec la mort du dernier retraité. De plus, l’Etat doit prendre en charge les acquis de l’ancien système et certaines obligations du nouveau qui englobent le paiement de pensions aux actuels retraités de l’ancien système et ceux auront recours à cet avantage dans le futur ; Le paiement d’obligations de reconnaissance (bonos de reconocimiento) aux travailleurs affiliés au nouveau système (AFP), le paiement de pensions minimales légales aux affiliés de ce même système qui, après d’avoir pris la retraite compte tenu de leur l’âge, épuisent le solde de leur compte de capitalisation individuelle ; le paiement des retraites des affiliés dans le cas où l’AFP ou la compagnie d’assurances tombent en faillite ; la compensation du bénéfice de l’allocation familiale et le paiement de pensions d’assistance à la vieillesse ou à l’orphelinat ; la subvention unique familiale pour ceux qui sont exclus de toute protection sociale, en marge de tout système de prévoyance. Pour finir, l’Etat doit financer également les dépenses de prévoyance du personnel de l’Armée et de Carabiniers qui sont exclus du nouveau système : un privilège octroyé par le dictateur !
Le nouveau régime de pension établi par la dictature par le décret-loi n° 3500 du 12 novembre 1980 n’est pas original mais qu’une copie des structures marginales existantes aux Etats-Unis, où le système central de pension, comme dans les pays d’Europe, a un financement tripartite et à l’instar de pays comme l’Allemagne, où l’ensemble de la population contribue à son financement à travers les impôts généraux.
Au Chili, sous la dictature de droite, on a fixé des bas salaires et les patrons ont été libérés de payer des cotisations santé et retraite de leurs salariés, sous prétexte de « promouvoir » l’investissement privé, tant interne qu’externe.
Seules quelques entreprises, dont l’activité implique des risques sérieux pour la santé de leurs salariés, contribuent au financement des cotisations avec un petit apport, entre 1,7% et 3,4% du montant des salaires.
Le nouveau système a supprimé de la pension ou de la sécurité sociale, le concept de solidarité, en le substituant par une simple épargne obligatoire personnelle dans des comptes individuels, administrés par des entreprises privées à but lucratif, subventionnées par l’Etat. La pension des militaires et des carabiniers a continué conformément à l’ancien système, à bénéficier du financement étatique et s’avère plus généreuse que celle que reçoivent les civils.
Ce système n’est non plus pas en vigueur pour ceux qui ont choisi de rester dans l’ancien système mais il est obligatoire pour ceux qui s’intègrent au monde du travail pour la première fois. Le nouveau régime englobe et finance uniquement les pensions de vieillesse, d’invalidité et de décès, en séparant dans des systèmes différents le soin des accidents de travail et les maladies professionnelles, les prestations de santé, les indemnités et les congés, les allocations familiales et les indemnités du chômage.
Le commerce des AFP
Les comptes individuels d’épargne obligatoire des travailleurs sont administrés par les Associations de Fonds de Pension (AFP), sociétés anonymes de droit privé à but lucratif, dont les plus importantes appartiennent à des capitaux chiliens et étrangers dont la responsabilité se limite à la détention d’ actions dans ces sociétés. Ces entreprises qui administrent les fonds de pension gagnent toujours même si les « contribuables » perdent l’investissement de leurs fonds prévisionnels, puisqu’elles fixent librement leurs commissions, non pas sur les bénéfices, comme cela serait le plus juste, mais sur les montants des salaires imposables, sans aucune négociation avec les affiliés. Les commissions, qui oscillent entre 2,84 % et 3,70 % des revenus mensuels imposables, dont une partie sert à payer la prime d’assurance sur l’invalidité et sur le décès des affiliés dans les sociétés d’assurance qui sont liées aux AFP.
Etant donné que la commission demandée n’est pas appliquée sur 10% des rémunérations, ce qui est le pourcentage imposable aux Fonds de Pensions, mais sur 100 % de celles-ci, les AFP reçoivent entre 28,4% et 37% des impositions mensuelles.
Il faut rappeler que dans l’ancien système, les travailleurs ne payaient rien. De son côté, les compagnies d’assurance, dont les propriétaires sont en général les mêmes que ceux des AFP, prennent en charge les affiliés passifs selon des contrats spéciaux, en se mettant d’accord sur des pensions basées sur le système d’une rente viagère immédiate et d’une rente viagère temporaire différée. C’est une affaire en or.
Tout ceci configure une fraude commerciale, qui est amplifiée avec la suppression de l’apport patronal. Tout ce processus obscur a été analysé, à travers plusieurs études publiées, dans l’ouvrage « Mitos y Realidades del Sistema Privado de Fondos de Pensiones en Chile (AFP) » de Franyo Zapatta A., qui soutient, avec raison :
« 1. La Réforme Prévisionnelle établie dans le D L (Décret-Loi) 3.500 de 1980 est et continue à être fonctionnelle à la politique économique en vigueur ; elle s’impose après la mise en route du Plan de Travail de 1978, à l’époque où la dictature écrasait implacablement n’importe quelle tentative des travailleurs pour défendre ses acquis obtenus pendant plus de cinquante ans de lutte sociale.
2. Le DL 3.500 - en éliminant le pourcentage de la cotisation prévisionnelle qui pendant des années devait être assuré dans notre pays par la partie patronale- freine brusquement le développement d’un système de sécurité sociale qui s’est développé, historiquement, dans les sociétés européennes industrialisées au cours des dernières vingt années du XIXè siècle ».
Ce système est sans financement et de cette manière, il ne résoudra pas la situation de la plupart des travailleurs. Par conséquent, la contribution des entrepreneurs, qui investissent à l’étranger parfois par de simples dépôts dans les paradis fiscaux comme les Iles Cayman ou aux Etats-Unis, devra être légalement restituée. Ce projet a commencé en 1979 avec l’augmentation de l’âge de la retraite, pour les hommes de 60 à 65 ans et les femmes de 55 à 60 ans, fondement du nouveau système de pensions et qui a été par la suite exploité par les entreprises en utilisant le « crédit » pas cher des AFP pour un délai plus long.
D’autre part, selon cette « privatisation » des fonds de pension alimentée par la seule contribution des travailleurs, on a fournit à ce qu’on appelle le « marché de capitaux » 350 millions de dollars par an (monnaie de 1980) jusqu’à environ 50 milliards de dollars aujourd’hui, et qui en a tiré profit spécialement avec les crises récurrentes des deux dernières décennies du XXème siècle.
De la même manière, ces fonds ont servi aux privatisations des banques et des entreprises d’Etat, sans que les travailleurs aient aucune participation dans l’administration des AFP ni dans les entreprises où ses fonds sont investis et dans les directoires desquelles participent les mêmes propriétaires de ces associations et des compagnies d’assurances ou leurs représentants, décidant ainsi du sort des ressources des travailleurs et percevant ainsi des « diètes » milliardaires et des indemnisations.
En effet, c’est tomber dans l’erreur que de soutenir que l’achat des actions effectué avec les fonds prévisionnels de retraite des travailleurs signifie leur participation dans la propriété des entreprises achetées, tout en sachant qu’ils ne participent pas à l’administration de ces fonds.
La législation dictée par les mêmes « qui ont privatisé » permet et facilite l’évasion du paiement aux AFP et à l’INP des cotisations déduites aux salariés par leurs employeurs, non seulement prévisionnelles en vue de la retraite mais aussi de santé, qu’elles soient déclarées ou pas. Quand un travailleur s’approprie des actifs, il commet le délit de vol ou d’escroquerie, et en conséquence il est renvoyé et son procès est instruit devant les tribunaux. En revanche, quand le patron s’approprie des impositions déduites du revenu de ses salariés par le fond de pension, il n’est ni inculpé ni puni mais on lui octroie des délais pour remplir l’obligation de les intégrer aux AFP ou à l’INP, ce qu’il ne fait pas. Les chiffres de ces vols et escroqueries sont terrifiants et on les estime à 500 millions de dollars. Certaines d’entre elles ne seront jamais payées par les petites et moyennes entreprises, les plus malines. Les AFP dans une complicité ouverte avec les patrons, ne font pas d’effort pour les encaisser, provoquant la perte de milliards de pesos pour les salariés, dus aux intérêts et aux réajustements non perçus. Le système de pensions actuel transgresse, enfin, les conventions n° 35 et 36 de l’OIT.
Le système privilégié de l’Armée.
Le système de pensions de l’Armée et des Carabiniers est privilégié par rapport à celui des civils du secteur public et privé. Après la défaite de la dictature en 1988 et quelques jours après que le gouvernement civil, présidé par Patricio Aylwin, ait pris ses fonctions, les lois organiques 18.948 de l’Armée et 18.961 des Carabiniers ont été édictées afin d’assurer le minimum que doit consigner la Loi du Budget annuelle pour le financement de ces institutions. Le premier de ce corps législatif définit le régime de pension et de sécurité sociale de l’Armée, détermine le personnel affecté à celui-ci, qui corresponde au groupe des Forces Armées, en incluant les Sous-secrétariats de la Guerre, de la Marine et de l’Aéronautique, celui de la réserve appelé au service actif et les élèves des écoles - mères.
Ce personnel a le droit à la pension s’il compte 20 ans ou plus de service actif, en considérant comme tel la première année d’études dans les écoles d’Etat, les deux dernières dans les mêmes écoles, qui sont nombreuses, ou le temps réel que les élèves y restent ou y sont restés et le temps accompli en tant que conscrit et apprenti dans l’Armée.
De la même manière, sont aussi considérées comme un service actif les deux dernières années d’études professionnelles des officiers de la justice, de la santé, de la santé dentaire, de vétérinaire et du service religieux, du personnel de réserve qui pourra être appelé, les officiers des échelons pratiques et les inspecteurs des services maritimes de l’Armée, qui auront droit de prendre en compte le temps servi dans la Marine marchande nationale. La retraite du personnel féminin, avec 25 ans d’ancienneté ou 20 d’ancienneté et 55 ans d’âge, devra être calculée en ajoutant deux ans de plus si elles sont veuves et un an pour chaque enfant. Pourquoi de tels bénéfices pour ces femmes et pas aux autres femmes salariées ?
Sur le plan du montant, les retraites sont aussi privilégiées car une fois octroyées et sans préjudice des améliorations spéciales qui sont fixées par la loi, elles vont être automatiquement réajustées à 100% selon la variation du coût de la vie. Ces retraites sont financées pour 25% par les apports spécifiques du personnel et les 75% restant par les contributions fiscales. Selon ce système, la retraite minimale est similaire à la rémunération imposable d’un Sergent 2ème échelon en activité et la retraite maximum correspond à celle d’un Major Général en activité. La caisse de secours (montepío) est de 100% de la retraite et ne peut pas être inférieure au salaire d’un Sergent 2ème échelon. Les indemnisations vont d’un mois de la dernière rémunération et jusqu’à 30 mensualités.
Dans le cas des travailleurs, tant du secteur public comme celui du privé, la cette caisse est de seulement 50% des retraites, sans aucune limite en ce qui concerne le minimum et les indemnisations sont limitées entre 12 et 24 mois maximum.
Le personnel de l’Armée et du Ministère de la Défense bénéficie de nombreux avantages, comme le « triennat » sur les salaries de base, les bonifications professionnelles, les allocations familiales, les frais de transport et les dépenses de mobilisation, la permanence et les jours fériés, les permissions et les congés, les frais de déménagement, la gratification de zone, l’allocation de machine, les indemnités logement, les primes de salaire, les gratifications spéciales, d’embarquement et de sous-marin (25% des rémunérations imposables) et la gratification pour l’Antarctique (600%), la gratification pour le personnel dans les commissions de services dans l’extrême sud (300%) ... Dans cette dernière matière, le personnel bénéficie des plusieurs allocations, comme celles du vol (25%) dans toutes les branches de l’Armée, de services en unité de parachutistes, de montagne, de commando et des forces spéciales (25%), de la plongée sous-marine, de vêtements et de l’équipement, même pour les élèves qui viennent d’entrer dans les écoles professionnelles, il y a des gratifications extraordinaires pour des sous-lieutenants qui y sont diplômés.
La Caisse de Retraite de la Défense Nationale octroie à ses bénéficiaires des prêts immobiliers destinés à l’achat, à la construction, à l’agrandissement et à la réparation des immeubles, ainsi comme des prêts de secours, des droits qu’avaient aussi les salariés dans l’ancien système de pension mais que la dictature a supprimé.
Le système de pension des Carabiniers ne présente pas beaucoup de différences. Cependant, comme conclusion je cite à Franyo Zapatta : « Nous sommes en présence de l’un des régimes de pension le plus complet et le mieux appliqué qui n’ait jamais existé dans notre pays, qui répond complétement aux principes les plus importants consacrés au niveau international, avec les conventions de l’OIT souscrites par le gouvernement du Chili et à la hauteur des systèmes de pensions en vigueur dans les pays développés ».
L’administration de ce système n’a aucun coût pour ses affiliés, à la différence de celui des salariés, il n’offre pas non plus des avantages aux entreprises privées et aux compagnies d’assurance à partir des AFP. Zapatta compare les deux systèmes, et établit la situation confuse des travailleurs en signalant « qu’il existe une discrimination évidente des civils et aussi du personnel qui a des contrats avec l’Armée et les Carabiniers, par rapport au personnel en uniforme du corps ». Pour ces derniers, « il s’agit de systèmes de pension dont les principes de solidarité, de répartition et de pleine protection étatique sont pleinement en vigueur, qui ont été malmenés au motif de l’application du DL 3.500, et où l’individualité et l’égoïsme n’existent pas, moins encore l’idée que chaque affilié constitue son propre fond dans un compte de capitalisation individuelle ».
C’est incroyable ! Personne ne dit quoi que ce soit sur ces faits au niveau de la politique interne, dans aucun de ses extrêmes, ni dans l’UDI, ni dans le PS.