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Que fera, que voudra bien faire, ou que sera en mesure de faire le nouveau gouvernement, dirigé par Manuel Zelaya, face à la crise du système judiciaire, l’impunité institutionnalisée, le vaste pouvoir du crime organisé et la rébellion d’une jeunesse mise à l’écart, et de plus en plus regroupée en bandes ? Toutes ces expressions de la crise politique et sociale hondurienne ont leur reflet macabre dans les tueries toujours plus fréquentes qui ont lieu dans les prisons du pays.
Au soir du 5 janvier 2006, de nouvelles tueries ont eu lieu au Pénitentiaire National de Tamara. Treize détenus ont été assassinés et l’un d’entre eux a été gravement blessé. Tamara est une communauté rurale à douze kilomètres du nord de Tegucigalpa. Elle a été sélectionnée pour être le siège du centre pénal le plus important du Honduras, en remplaçant ainsi l’ancien Pénitencier central, situé au centre de Tegucigalpa, et qui a été détruit par l’ouragan Mitch en 1998.
Crise pénitentiaire, crise nationale
Depuis ces faits sanglants, certains détenus ont été transférés hors de leurs cellules et un détachement policier s’est occupé de surveiller les abords du Pénitencier National, par crainte d’une émeute et de nouvelles violences. Les autorités du Pénitencier ont désigné, comme cause probable de la tuerie, le conflit pour le contrôle du pouvoir et le trafic de stupéfiants à l’intérieur du centre pénitencier. Un gardien-chef du Pénitentiaire a déclaré que les détenus qui avaient été assassinés constituaient un échantillon des criminels les plus dangereux du pays, qui couvraient tous une peine pour des délits graves : viols, homicides, vols et trafics de drogues. Des médecins légistes du Ministère de la Santé Publique ont pratiqué l’autopsie des treize cadavres, mais pour le moment, leur rapport n’a pas été rendu public. Le 6 janvier, le Président Ricardo Maduro a ordonné la mise à l’index du directeur du Pénitentiaire, l’inspecteur de police Marvin Rajo, et la destitution du chef de la sécurité du département de réclusion, Domingo García. Mais sans préciser si sa décision était fondée sur une recherche approfondie des faits, ni pourquoi la sanction ne touchait que ces deux fonctionnaires. Le Président a demandé au Congrès l’approbation urgente de la Loi sur le Système Pénitentiaire et a annoncé qu’il allait nommer une Commission de Contrôle du Système Pénitentiaire. Une décision du Pouvoir Exécutif pour fuir ses responsabilités ? En réalité, la crise du système carcéral implique d’autres institutions et d’autres individus, intimement reliés en un nœud complexe de relations qui met en doute l’éthique du système judiciaire dans son entier et remet en question la légitimité de l’Etat dans ce domaine. La corruption institutionnalisée, l’impunité, la partialité des institutions judiciaires et la mise en place d’une politique de terrorisme institutionnel ressortent parmi les causes le plus souvent signalées par de nombreuses personnalités indépendantes et par des organismes de défense des droits de l’homme, dans l’analyse de cette crise.
Antécédents
Au cours des sept dernières années, environ 200 détenus sont décédés de mort violente en prison, dans trois des villes les plus importantes du pays. La première tuerie en date s’est produite en novembre 1999, lorsque 11 jeunes membres d’une bande ont péri et 31 ont été blessés, après s’être affrontés les uns les autres, avec des armes blanches, dans la prison de San Pedro Sula. La seconde - qui n’a pas été tirée au clair - s’est déroulée en mars 2003. 7 autres membres d’une bande de jeunes, « la mara MS » y ont trouvé la mort, par intoxication. La troisième, qui a eu lieu en avril 2003, a eu pour cadre la ferme-prison « El Porvenir » ; Bilan : 69 morts et 39 blessés. Ses causes n’ont pas été non plus élucidées, bien que certains indices pourraient faire penser à un acte prémédité. La quatrième tuerie, tout aussi inexpliquée, et qui fut la plus sanglante, s’est passée en mai 2004. 105 membres de bandes y ont trouvé la mort, dans l’incendie du pavillon où ils étaient détenus, et 9 en sortirent blessés. Tous étaient membres du gang « La Mara 18 ».
Autres faits sanglants
Selon le rapport annuel de la Commission Nationale des Droits de l’Homme, l’année 2003 s’est conclue avec 89 victimes mortes dans les centres de détention, et en 2004, on a dénombré 155 morts violentes et cinq disparitions dans les centres de réclusion. La tendance s’est maintenue durant les premiers mois de l’année 2005. Jusqu’au 9 mai, il y a eu 13 victimes mortelles pour le seul Pénitencier National, où a eu lieu la dernière tuerie. Les bagarres dans les prisons sont encore plus nombreuses en cas de troubles ou d’événements en rapport avec les conditions d’incarcération exécrables de la plupart des détenus. Un décompte plus précis des conséquences de ces faits devrait inclure également : divers incendies qui ont ravagé les prisons de Santa Barbara, de Copán, et en partie celui de Trujillo ; des émeutes dans les prisons de Danlí y Olanchito, et des tentatives d’insurrections en celles de Tela et de Gracias a Dios ; des incidents similaires à la fin de l’année 1998, à Tegucigalpa et en l’an 2000, à San Pedro Sula ; le conflit qui a fait un mort et 11 blessés au Pénitencier de Támara en juillet 2003 ; les 2 morts et les 9 blessés dans une maison d’arrêt de Tela en mars 2003 ; ce à quoi il faut ajouter les crimes qui ont eu lieu à la maison d’arrêt de Tela en mai 2002. Et toutes ces tueries ont en commun que dans chacune, les autorités judicaires, policières et d’investigation n’ont pas éclairci réellement les faits, ni identifié, inculpé ou jugé les auteurs matériels de ces faits matériels ou intellectuels. La version officielle est presque toujours la même : on fait porter la responsabilité aux seuls détenus, pour leurs disputes internes de jeunes membres de gangs. Le schéma des tueries - de la première à la dernière tuerie, qui s’est produite en janvier 2006 à Támara - est sensiblement le même d’une fois sur l’autre: armes de tous types aux mains des détenus ; trafic de drogues dans l’enceinte de la prison et complicité du personnel pénitentiaire avec les détenus.
Des prisons en profonde crise de légitimité
Une enquête menée par l’Equipe de Réflexion, de Recherche et de Communication (ERIC-SJ), sous l’égide de l’Apostolat Social d’Amérique Centrale de la Compagnie de Jésus, a démontré que les 24 maisons d’arrêt du système pénitentiaire du Honduras connaissant de graves difficultés, des restrictions importantes et se trouvent plongés dans une profonde crise d’organisation et de légitimité. Les résultats de notre investigation ont été révélés en octobre 2005 devant la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH), à Washington. Le rapport souligne l’existence d’une surpopulation dans les prisons du pays, l’inefficacité du système carcéral, le délabrement des centres pénitentiaires, les mauvais traitements et le trafic de drogues qui s’y produisent, tout comme l’insuffisance de la prestation des services de santé, d’alimentation, d’éducation et de récréation, ainsi que la prépondérance de la violence et de la corruption en prison. Le lendemain de la tuerie de janvier 2006, la CIDH a émis un communiqué dont le contenu révèle que les centres de détention du Honduras présentent les mêmes faiblesses qu’avaient déjà signalé auparavant la CIDH, l’ERIC-SJ et d’autres organisations de la société civile honduriennes, et que l’Etat hondurien n’a adopté aucune des mesures suggérées pour améliorer la situation.
Tout a commencé dans les années 80
La crise du système carcéral est un miroir qui reflète bien la crise politique nationale. Depuis la transition démocratique, qui a débuté en 1980, le système juridique et politique de Honduras a été affaibli, faute d’une véritable séparation de pouvoirs de l’Etat. Le Pouvoir Exécutif domine les Pouvoirs Législatif et Judiciaire, consommant ainsi peu à peu leur autonomie. Cette domination reflète la structure hiérarchique - autoritariste et élitiste - qui régit la société hondurienne, ainsi que les inégalités qui minent les relations sociales des honduriens. Depuis la décennie des années 80, le Pouvoir Judiciaire traverse une crise de légitimité. Dans un premier moment, pour son incapacité à prendre en charge, d’un point de vue judiciaire, les protestations populaires et la radicalisation de certaines organisations politiques à la recherche de transformations sociales de fond. Dans cette décennie, le Pouvoir Judiciaire a été supplanté par le pouvoir exercé par les militaires, principaux responsables, par ailleurs, de la disparition d’environ 200 personnes, pour des raisons politiques, effet direct de l’application de la politique répressive de la Doctrine de Sécurité Nationale. Cette doctrine s’est concrétisée par la Loi Antiterroriste, conçue et appliquée en marge des garanties constitutionnelles, substituant ainsi la fonction des autorités judiciaires. Au cours de ces années, les violations des droits de l’homme se sont vues justifiées par la nécessité « d’extraire le cancer révolutionnaire », tel que l’on l’ont conçoit désormais l’extermination des "maras" c’est-à-dire, comme un acte de « nettoyage social ».
Une loi antiterroriste semblable à la loi "antimaras"
La Loi Antiterroriste d’il y a quelques années et l’actuelle "Loi Antimaras" se ressemblent et sont formés sur le même schéma. Elle consiste à identifier un « ennemi social », à promouvoir la lutte menée à son encontre, et à justifier l’investissement des ressources de l’Etat dans le renforcement des institutions chargées de conduire des missions qui vont dans ce sens. Dans les années 1980, on a justifié la "militarisation" de la société en prétextant la lutte contre le « communisme » et la « révolution » par les militaires. Pour sa part, la "Loi Antimaras" contribue à renforcer l’image des institutions policières et du Secrétariat de Sécurité, alors qu’elle tend à faire de la mauvaise publicité au système pénitentiaire. Pendant les années 80, la lutte contre « le communisme » a été essentiellement incarnée par le général Gustavo Adolfo Álvarez Martínez. Dans l’administration du président Maduro, c’est le ministre de la sécurité, Óscar Álvarez, et le président du Congrès Porfirio "Pepe" Lobo - vaincu par Manuel Zelaya dans les élections de novembre 2004 - qui ont incarné la lutte menée contre les "maras". Les organisations de défense des droits de l’homme ont condamné dans les années 80 l’existence de prisons clandestines qui occultaient la responsabilité de l’Etat dans la disparition de personnes. Le système pénitentiaire actuel n’a plus rien de clandestin, mais donne une bien mauvaise image de lui à cause des actes illicites perpétrés dans l’enceinte de ses établissements. La Loi Antiterroriste et la Loi Antimaras partagent d’autres points communs en matière de réponses de l’Etat à la crise sociale. Elles se basent toutes deux sur l’utilisation de la force au moyen d’un contrôle institutionnel de l’Etat. Cela générait et génère toujours dans la population un climat de tension, de peur, d’inquiétude et de méfiance. Un autre point commun, c’est, dans l’une comme dans l’autre, le manque de consensus social et politique pour leur approbation et leur application. Pour cela, au lieu de contribuer à fournir une solution à des difficultés sociales, ces deux lois sont devenus un problème de plus à la crise actuelle.
Un pouvoir judiciaire rongé par l’impunité
Le rôle principal joué par les militaires honduriens pendant la crise centre-américaine des années 80 a mis en doute le système judiciaire du pays, a contribué à jeter les bases de l’impunité, a remis en cause la validité des lois et a subordonné à son contrôle le Pouvoir Judiciaire. Dans les années 90, ce système d’impunité a alimenté de la corruption administrative et de "col blanc", envahissant ainsi toutes les sphères du pouvoir, avec des critères nouveaux dans la gestion de l’économie et de la société. Les scandales liés à la corruption institutionnelle ont affaibli encore plus le Pouvoir Judiciaire, qui, jusqu’à présent a été incapable de condamner les « cols blancs » compromis dans des affaires de corruption et de mettre de l’ordre dans la gestion publique. Malgré les réformes modérées qu’il a instituées pour corriger le tir, le Pouvoir Judiciaire est entré dans le XXI ème siècle en accusant de nombreuses difficultés et une vulnérabilité bien supérieure aux faiblesses que l’on peut observer dans les autres pouvoirs de l’Etat. Cela a eu pour effet la méfiance témoignée par la majorité de la population à l’encontre des institutions judiciaires du pays, ainsi qu’à l’encontre des fonctionnaires de la justice et du système pénitentiaire. L’érosion du Pouvoir Judiciaire est une des causes les plus solides de la crise actuelle du système carcéral national.
Les intérêts bipartites : le revers de la médaille
Les faiblesses du Pouvoir Judiciaire correspondent également aux caractéristiques voulues par la transition démocratique dans les années 80. Depuis qu’en 1979, les Forces Armées ont annoncé leur décision d’abandonner le pouvoir, le retour de l’ordre constitutionnel est revenu aux mains des deux grandes formations politiques traditionnels : le parti Libéral et le parti National. Chacun accepta également la représentation des groupes corporatifs et des puissants intérêts privés au sein de l’état, avec une forte influence sur les dirigeants de ces deux partis. Le Pouvoir Judiciaire s’est ainsi trouvé otage de ces intérêts politiques, présents aussi bien dans la finance que dans l’industrie, le commerce ou l’exploitation des ressources naturelles, pour ne mentionner que les secteurs économiques reconnus comme légaux. Les deux partis politiques traditionnels - dénués de toute éthique et de toute morale - s’emparèrent ainsi du Pouvoir Judiciaire, et déterminant ainsi son fonctionnement et ses décisions. Ils placèrent au pouvoir de cette instance des personnes au service des intérêts corporatifs du patronat et de ses représentants. Jusqu’à l’an 2000, les magistrats de la Cour Suprême de Justice étaient nommés par les dirigeants partisans, représentés au Congrès, sans autre condition requise que cette défendre ces intérêts. En décembre 2000, el Congrès a approuvé un décret qui établit la nomination d’un Comité de Nomination chargé de sélectionner des candidats à la Magistrature de la Cour Suprême de Justice. Il est inimaginable que le bipartisme politique ne cesse d’ingérer dans le Pouvoir Judiciaire. La manipulation a régné tellement longtemps que cela a fini par corrompre totalement le système pénitentiaire au cours des deux dernières décennies. Voilà la vraie raison occulte des tueries qui ont lieu dans les prisons du pays.
Bilan amer : pauvreté, émigration, "maras"
La transition démocratique a coïncidé avec l’arrivée du néolibéralisme comme paradigme social instauré officiellement depuis le début des années 90, grâce à des décrets et des ajustements structurels de l’économie. Le paradigme de la société néolibéral va au-delà d’objectifs strictement économiques. Il conditionne la vision que ses défenseurs ont du monde, de la société et de la culture. C’est une idéologie qui privilégie les intérêts matériels, le profit et l’exploitation démesurée des ressources au bénéfice de quelques petits groupes qui ont la capacité de les exploiter matériellement. En privilégiant les intérêts des élites et en transformant toute chose en marchandise, le néolibéralisme favorise l’essor de l’individualisme, générateur de toutes sortes d’actes nuisibles au bien-être commun et entraîne la dévalorisation et la vie humaine ainsi qu’une iniquité sociale croissante. L’application des objectifs économiques du néolibéralisme au Honduras a eu pour effet une concentration démesurée de la richesse aux mains d’une élite de plus en plus réduite, une massification de la pauvreté et un accroissement des périphéries miséreuses autour des villes les plus importantes du pays. Autre conséquence, autre répercussion : une migration croissante de la population hondurienne vers les Etats-Unis. D’où l’internationalisation du phénomène de la violence juvénile, qui apparaît au Honduras sous la forme de "maras" ou de bandes de jeunes. La jeunesse urbano-marginalisée est une des couches sociales les plus affectées par les conséquences du néolibéralisme, ce qui n’a fait que favoriser l’accroissement d’une certaine rébellion régressive chez les jeunes les plus radicaux. Et cette rébellion a revêtu une forme organique chez les maras.
Seules réponses : prison et répression
La réponse de l’Etat, notamment du gouvernement sortant de Ricardo Maduro (2002-2006), a été de déclarer la guerre à cet échantillon de jeunes urbano-marginalisés. Pendant la dernière législature, le Pouvoir Judiciaire et ses instances se sont consacrés à criminaliser la pauvreté et à fermer les yeux en entier sur la délinquance en col blanc. Résultat : les prisons se sont remplies de jeunes membres de bandes, la population privée de liberté a augmenté, et le système pénitentiaire du pays s’est effrité. Les prisons honduriennes reflètent l’iniquité sociale du pays. Quasiment tous les gens qui sont privés de liberté sont des gens pauvres ou qui proviennent de l’exclusion rurale ou urbaine. Seule une faible minorité provient de classes sociales élevées ou intermédiaires. Comme cela a été le cas dans les années 80 face à la grogne populaire, la réponse de l’Etat face à la crise sociale a été de recourir à la répression et à l’emprisonnement. Et tout indique que cela va plus loin : jusqu’à l’élimination physique. Et bien qu’aux précédentes élections du mois de novembre, le candidat à la présidentielle du Parti National, José Porfirio Lobo, n’ait pas osé mener une campagne favorable à la peine de mort, les tueries qui ont lieu en prison donnent à elles seules l’impression que la peine de mort s’applique déjà dans le système pénitentiaire, sans que cela ne gêne personne.
De la stupeur à l’indifférence en passant par les applaudissements
Le mécanisme pervers qui crée dans les prisons honduriennes la dynamique des tueries a réussi à retenir son engrenage afin de préparer psychologiquement l’opinion publique nationale à ces carnages. A la stupeur des débuts a succédé le tirage de la sonnette d’alarme dans la crainte que de nouveaux faits sanglants se reproduisent dans les centres de détention. Après la tuerie de Támara, on n’a noté aucune émotion dans la population hondurienne. La seule chose que l’on puisse percevoir c’est la crainte d’un certain esprit de vengeance qui pourrait générer, ou du moins favoriser, une spirale de violence. La part de population qui a le moins de capacité de discernement et un accès à l’information réduit, considère que la tuerie de délinquants favorise la paix sociale et améliore les indices de sécurité des citoyens. Avec ce point de vue-là, ils soutiennent largement la politique de fermeté menée contre les jeunes membres des bandes. D’autres secteurs de la population, en revanche se montrent complètement indifférents et ne sont pas capables d’imaginer quelles conséquences pourraient avoir ces évènements sur la légitimité de la démocratie - retour de l’autoritarisme dictatorial -, sur les droits de l’homme - violence généralisée -, sur la justice et dans l’ensemble, sur l’ensemble du système juridique et politique du Honduras. Les médias contribuent à l’érosion de la sensibilité sociale face au crime. Ils font passer au premier plan des informations liées aux tueries de personnes privées de liberté, mais sans aller au-delà. Ils transforment la mort en marchandise pour la seule consommation publicitaire.
Pistes macabres et négligence complète
Un des administrateurs du système pénitentiaire national, l’inspecteur de police et directeur suspendu du Pénitencier de Támara, a donné des indications à propos des relations qui existent entre le système pénitentiaire et le monde extérieur. Selon lui, des condamnés de tous types se côtoient au Pénitentiaire de Támara et il y a des gens qui sont en contact avec l’extérieur. En effet, il y a des condamnés qui communiquent avec des gens importants de toutes les sphères d’influence : gouvernementale, militaire, civile et policière. Mais tant que cela se fait dans les formes, je crois qu’il n’y pas lieu de s’inquiéter.
D’après l’ex-secrétaire du Conseil National contre le trafic de drogues, Alfredo Landaverde, les autorités savent très bien qui est impliqué dans le crime organisé et qui sont les bandes de délinquants dans le pays. Selon Marvin Rajo, ce qui est arrivé à Támara, ce sont les affaires du crime organisé. Et l’intervention de la police a pu éviter qu’il y ait davantage encore de morts, car si les grenades (dont les condamnés disposent) avaient explosé, on parlerait alors de 50 ou 60 morts. Certaines des clés de la crise du système judiciaire et carcéral hondurien ont été mises au grand jour grâce aux informations relayées par certains médias, et qui révèlent la gravité du problème et la conduite passive et négligée de l’Etat face à l’énorme pouvoir dont dispose le crime organisé dans le pays. Dans un autre pays, doté d’une culture politique plus aboutie et de vraies institutions démocratiques, le ministre de la Sécurité et d’autres responsables du système judiciaire et pénitentiaire auraient déjà démissionné suite à ces tueries. Pas au Honduras.
L’absence de moralité et le manque d’éthique vont de pair. Peu avant les élections du 27 novembre 2005, Óscar Álvarez a renoncé à sa place au Secrétariat de son parti, pour être candidat à la députation pour le Parti National. A l’annonce des résultats, dans lesquels son parti avait été vaincu, il a dénoncé avoir reçu des menaces de morts de la part du secteur du crime organisé, et ainsi le gouvernement sortant l’a nommé à un poste de responsable diplomatique à l’Ambassade du Honduras aux Etats-Unis. D’où la réaction de certaines organisations de défense de droits de l’homme qui ont manifesté leur désaccord à ce sujet et ont protesté contre le fait d’allouer une bourse de 6000 dollars par mois à Álvarez aux dépens de l’argent public.
Y aura-t-il de nouvelles tueries avec le nouveau gouvernement ?
Devant la tuerie de Támara, le président élu, Manuel Zelaya, s’est contenté de dire que la Secrétariat à la Sécurité « n’administrerait plus les centres de détention », ce que l’on pourrait interpréter ainsi : le système pénitentiaire serait en crise à cause du Secrétariat à la Securité dirigé par Óscar Álvarez, un des porte-drapeaux de la lutte contre les bandes juvéniles. A partir de la déclaration du nouveau Président on pourrait également déduire que la solution d’un problème de cette ampleur réside dans une mutation de fonctions, d’une institution à l’autre. Peut-on espérer des changements sur ces terrains troubles et préoccupants qui sont en train d’éroder peu à peu le faible caractère institutionnel hondurien, avec le nouveau gouvernement de Manuel Zelaya ? Quoiqu’il en soit, il ne sera pas aisé pour le nouveau gouvernant, et même avec le meilleure volonté du monde, à affronter un problème si grave et si complexe. Dans l’état où sont les choses et avec un tel délabrement institutionnel, on peut objectivement s’attendre à de nouvelles tueries, davantage encore, ainsi qu’à davantage de menaces et d’avertissements macabres de la part des cartels du crime organisé défiant ainsi le gouvernement à essayer de gouverner sans eux.
Traduction de l’espagnol pour El Correo: Pierre Molines
Envío . Nicaragua, janvier-février 2006