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8 de septiembre de 2002

Salvador: Les naufragés d’Esquipulas

 

Passeport pour l’Amérique centrale

Le 15 septembre 2001, à San Salvador, capitale du Salvador, une marche de protestation convoquée par diverses organisations sociales et syndicats dégénère, des drapeaux américains sont brûlés. Sur les murs de la ville, les graffiti fleurissent : « Oussama, on est avec toi ! » S’il assistait à la scène, le président George W. Bush pourrait reprendre la question qu’il s’est déjà posée après les attentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington : « Mais pourquoi nous déteste-t-on ? » Et si nous étions sûrs qu’il puisse l’aider à mieux comprendre, nous dirions que cet ouvrage lui est destiné. Après tout, dans cette longue histoire que nous allons conter, celle de l’Amérique centrale, son père, l’autre George Bush - directeur de la CIA, vice-président de Ronald Reagan puis président des États-Unis - fut largement impliqué.

Ce que l’on a longtemps cru savoir de ces terres incertaines peut être rapporté ici, en préambule, sans oublier une virgule : Républicas bananas, petites nations exotiques où l’on trouve des bananes, du café, des jungles, des montagnes, des volcans, des fauves et des serpents, des chevaux et des pueblos, des Noirs et des Indiens. Des métis inquiétants dormant à l’ombre de vastes sombreros. Des colonels moustachus qui se coupent la tête à tour de bras. Des guérilleros basanés s’esquivant dans la nuit, un bâton de dynamite à la main. Allumé de préférence. Des églises qui brûlent, des palais qui sautent et des trains qui déraillent. La Révolucion.

Ce pour les lieux communs. D’un certain point de vue, pas totalement infondés. Lors de notre premier séjour dans la région, en 1973, le Honduras, depuis son indépendance, avait déjà connu 16 constitutions, 133 changements de gouvernement, 259 émeutes, coups d’État, révoltes, révolutions, séditions et autres pronunciamentos. Il avait mené quelques campagnes contre les flibustiers, 22 guerres diverses, colorées, parfois considérees comme originales avec ses voisins. Mais c’était aussi, comme tous ses voisins, l’un des pays les plus pauvres de la planète. À quoi en attribuer la responsabilité ? Sûrement pas à un quelconque folklore.

Situés à la charnière des Amériques du Nord et du Sud, le Guatemala, le Salvador, le Honduras, le Nicaragua, le Costa Rica, le Panama et le Belize (ex-Honduras britannique) forment ce qu’on appelle l’Amérique centrale. Cette langue de terre de 540 000 kilomètres carrés comptait 8 millions d’habitants en 1950. Elle en recense 34 millions cinquante ans après. Depuis l’arrivée brutale des conquistadores, l’économie de l’isthme a toujours été fortement extravertie à travers la culture d’un ensemble de denrées agricoles, cacao, indigo, sucre, café, coton et surtout banane. D’où l’appellation injurieuse de républiques bananières qui colla longtemps à ces poussières de protectorats.

De tout temps une profonde injustice sociale a marginalisé de larges secteurs de la population, de tout temps la demande de réforme agraire a constitué une revendication de la paysannerie, l’ensemble suscitant de multiples insurrections. Ces convulsions ont à leur tour et régulièrement entraîné la réaction voire l’intervention de Washington qui, sans trop se préoccuper de la crédibilité des justifications, favorisa la permanence de régimes autoritaires dans les meilleurs des cas, dictatoriaux le plus souvent. En cas de difficultés, les multinationales - particulièrement les compagnies bananières - ainsi que les gouvernements pouvaient toujours compter sur la célérité de l’Oncle Sam et de son bras armé, les marines, pour rétablir un ordre considéré comme immuable.

Nous sommes donc, comme ils l’ont toujours proclamé, dans l’« arrière-cour » des Etats-Unis. Ainsi, ce sont bel et bien la crise de 1929, la baisse des cours des matières premières, la réduction des possibilités d’exportation, un brutal désinvestissement du grand pays du Nord qui ont mené au long règne des « dictateurs de la dépression » : Maximiliano Hernandez au Salvador, Tiburcio Carias Andino au Honduras, Anastasio « Tacho » Somoza au Nicaragua, Jorge Ubico au Guatemala. En réaction, face à l’oppression des satrapes locaux et à l’occupation étrangère, des révoltes populaires éclatent régulièrement, des leaders émergent dont se réclameront les mouvements révolutionnaires ultérieurs : José Marti, héros de la guerre d’indépendance de Cuba ; Farabundo Marti, exécuté en 1932 lors d’une tuerie qui fit trente mille morts au Salvador ; Cesar Augusto Sandino qui « sortit » les marines du Nicaragua.

Plus qu’une tentative délibérée de déstabilisation menée par Moscou ou La Havane dans lesquels Washington vit la source de tous les maux de la région, c’est la dure réalité sociale et l’absence d’espace politique qui, à partir des années l970, provoquèrent les luttes armées. Ce fut aussi un constat : la voie pacifique menant à la réforme était verrouillée. En avaient témoigné, en Amérique centrale, en 1954, le renversement du colonel Jacobo Arbenz, qui tentait de « démocratiser » le Guatemala, ainsi que, plus au sud, en 1973, la tragédie chilienne et la mort de Salvador Allende.

Cependant, le renversement de la dictature somoziste par le Front sandiniste de libération nationale, au Nicaragua, en 1979, vingt ans après la victoire de la révolution cubaine, concrétisa pour la seconde fois la possibilité de mener à terme une remise en cause du désordre établi. Sur le plan régional, ce succès dans un « pays frère » donna incontestablement une nouvelle impulsion aux luttes révolutionnaires du Salvador et du Guatemala. De là à croire ou à faire croire que le communisme menaçait tant l’ensemble de l’Amérique latine que les États-Unis, il aurait dû y avoir un pas. Mais Washington n’aime guère le changement. Dix années terribles de révolutions (et de contre-révolution au Nicaragua) s’ensuivirent, trois guerres civiles distinctes et d’intensité inégale, menées par des mouvements composites de marxistes, de nationalistes et de chrétiens. Avec pour but une profonde transformation sociale et comme axiome, dans un premier temps, « le pouvoir au bout du fusil ». Deux cent cinquante mille Centraméricains allaient payer cette terrible période de leur vie. Jusqu’à ce que, le 7 août l987, soit signé un accord régional demeuré dans les manuels d’histoire sous le nom d’une petite bourgade guatémaltèque : Esquipulas. Cet accord a marqué, estime-t-on encore aujourd’hui, le point de départ de la démocratisation et de la construction de la paix en Amérique centrale.

Depuis le début 1997, avec la fin du conflit guatémaltèque (soit tout de même dix années après Esquipulas), l’Amérique centrale est redevenue une région sans conflit armé. Partout, les régimes en place peuvent se revendiquer d’un minimum de légitimité formelle : ils sont tous issus d’élections.

Seulement, on ne sort pas d’une guerre comme on sort d’une promenade de santé. Des dizaines de milliers de réfugiés rentrent dans leur pays d’origine que la guerre a laissé exsangue, désarticulé. Pendant des lustres, des générations de guérilleros ont vécu dans la clandestinité de la montagne et la violence des affrontements. La paix les jette à la rue, tout comme les militaires qui les ont combattus. Le passage d’une vie guerrière et communautaire à la solidarité sans faille, à une vie civile incertaine est déroutant. Comment se réinsérer dans cet univers individualiste dont on ne connaît pas les codes, dont on ne possède pas les clés ?

D’autant que les références idéologiques ont explosé et que le phénomène global de la mondialisation ne se montre guère propice à un quelconque réformisme, qu’il soit radical ou non. A nouvelle donne, nouveaux clivages. Transformées en partis politiques, confrontées à une totale inexpérience de la lutte démocratique, et dans un environnement défavorable, les anciennes guérillas tentent de s’adapter. Quant aux conservateurs, toujours au pouvoir, ils hésitent encore entre leur aile dure, hostile à tout changement, et une vision plus « civilisée » du nouveau jeu démocratique, mais se trouvent en tout état de cause obligés à suivre les directives imposées par les institutions financières internationales.

Au bout du compte, les stratégies économiques ne répondent pas au dessein des accords de paix. Ajustements structurels et mesures économiques favorisent les groupes de pouvoir, jettent les populations dans la misère. Inévitable conséquence, se propagent comme une peste des temps modernes de terribles vagues de délinquance et d’insécurité. Bref, à la guerre froide succède une paix particulièrement explosive et, après une période d’euphorie, très vite l’Amérique centrale a déchanté. Une chose est d’arrêter la guerre ; une autre, bien différente, de construire un nouveau pays.

Revenir longuement sur ces petites nations somme toute sans importance - qui se soucie du Salvador ou du Guatemala dans les grands équilibres mondiaux ? - n’a pas à voir qu’avec l’aride travail du spécialiste « monomaniaque » le devoir de mémoire ou même une forme de nostalgie à l’égard de guérilleros héroïques s’attaquant à l’ordre du monde dans un rêve de révolution. Paradigmes de cette fin de siècle, le maintien de la paix et la prévention des conflits ne peuvent faire l’impasse sur un suivi attentif des périodes de transition et une profonde réflexion sur les modèles économiques choisis ou imposés. En ce sens, l’Amérique centrale constitue un laboratoire digne d’intérêt. Des leçons peuvent doivent ! - en être tirées. D’abord de sa réussite : une réelle démocratisation. Mais aussi de son échec inquiétant : un modèle inégalitaire porteur d’une instabilité chaque jour plus évidente. Car l’édifice de la paix, encore chancelant, pourrait bien demain, les mêmes causes produisant les mêmes effets, être remis en question.

Réflexion également à l’heure où, dans l’incertain réordonnancement de l’après-11 Septembre, le mot « terrorisme », employé à toutes les sauces, entend stigmatiser toute forme de lutte radicale. Un peuple, un groupe humain, une minorité nationale, une communauté qui se soulèvent pour se défendre de la répression, de la faim, de l’injustice et de la misère sont-ils terroristes ? La guérilla est-elle à l’origine de la violence ou la violence à l’origine de la guérilla ? Faut-il négocier avec les mouvements armés, agir sur les causes sociales qui leur ont fait prendre les armes ou déclencher contre eux une guerre totale ? Comme hier à Washington, Managua, San Salvador, Ciudad Guatemala, l’interrogation est aujourd’hui on ne peut plus d’actualité à Washington, Mexico, Bogota, Caracas ou Quito, dans la perspective des luttes sociales qui partout se développent et des conflits qui agitent encore le Chiapas et ensanglantent la Colombie.

L’ouevre: Amérique centrale - les naufragés d’Esquipulas est un livre ambitieux, ouvert aux curieux, glaneurs d’histoires et d’expériences. C’est aussi un outil de travail indispensable pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans cette région du monde. Dans la matière même de cette histoire, abondante, complexe, contradictoire, éphémère, tragique, chaleureuse, le lecteur trouvera une triple approche nationale, thématique et chronologique. Les aides (sommaire détaillé, cartes, chronologie, index, bibliographie) lui permettront d’en tirer le meilleur.
Maurice Lemoine, intime de l’Amérique centrale depuis bientôt trente ans, met en scène non seulement l’histoire récente des sept pays qui la composent (Belize, Costa Rica, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Panama, Salvador) mais également celle des communautés émigrées aux Etats-Unis et de ce « Nord » yankee, ubiquiste et inquiétant. Plus près, aux deux extrémités de l’isthme centraméricain, deux autres visages de l’Amérique latine se tiennent en contrepoint, le Mexique dans son nouveau rôle d’interface avec le monde développé, la Colombie comme contre-modèle narcotique et hyper-violent.

Depuis les accords d’Esquipulas signés en 1987, la construction de la paix et de la démocratie en Amérique centrale semble en panne. Le nouveau cours de la politique nord-américaine n’est pas pour rassurer.

Le Monde Diplomatique

Éditions l’Atalante, collection Comme un accordéon, 805 pages, 26 €.

Librairie l’Atalante, 11 & 15 rue des Vieilles-Douves, 44000 Nantes.

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