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MOBILISATION - Réprimés, appauvris, les Mayas du Guatemala s’organisent et exigent des droits.
Les indigènes guatémaltèques ne se contenteront plus de promesses ! Mardi dernier, ils étaient plus de 40000 à manifester à Ciudad de Guatemala et dans diverses localités de province pour réclamer du nouveau président Oscar Berger qu’il oeuvre - comme avancé durant sa campagne - en faveur de la majorité autochtone du pays. Les mouvements paysans étaient, bien entendu, partie prenante de la mobilisation pour la « dignité, l’identité et les droits du peuple maya », les indigènes composant l’immense majorité des paysans appauvris. D’où une revendication centrale : la mise sur pied d’une politique concertée de développement rural. Cette démonstration de force pacifique, peu usuelle pour une population fortement marquée par des décennies de répression sanglante, commémorait le neuvième anniversaire de la signature à Mexico de l’accord sur les droits indigènes. Signé en 1994 entre une guérilla à forte coloration amérindienne et le gouvernement tenu par la bourgeoisie blanche ou ladina (métis), il avait constitué le prélude aux accords de paix de 1996 qui mirent fin à trente-six ans d’une guerre civile meurtrière. Une tentative de génocide, disent les mouvements mayas, puisque sur les 200 000 victimes du conflit, la quasi-totalité était d’origine amérindienne.
Politique paysanne
Mais sept ans après la fin des combats, les mouvements indi-gènes et paysans guatémaltèques se sont résolument tournés vers l’avenir. L’an dernier, ils se sont regroupés au niveau national en « Coordination et convergence nationale maya WAQIB KEJ ». Et pour leur première grande mobilisation commune, en novembre dernier, ils obtenaient un premier accessit : l’engagement écrit d’Oscar Berger de mettre sur pied une politique d’inclusion des indigènes. Symboliquement, leur seconde manifestation, mardi dernier, était fixée au Jun (premier) E (destin), jour que la cosmogonie maya interprète comme le début d’un parcours vital.
De même, leurs principales revendications s’ancrent dans le pré-sent le plus brûlant. Ainsi leur opposition farouche aux traités de libre-échange (TLC) que le Guatemala a signés avec les Etats-Unis, le Mexique ou l’Espagne. Dans un discours prononcé devant l’ambassade US, Juan Tiney, dirigeant de la Coordination indigène et paysanne (CoNIC), a rappelé qu’à aucun moment les peuples n’avaient eu leur mot à dire sur ces tractations.
« Avec ces traités, le Gouvernement du Guatemala a négocié dans le dos du peuple la vente de nos terres et de nos ressources naturelles, de notre eau et de nos semences, aux grandes entreprises transnationales », écrit le Comité d’unité paysanne (CUC), section guatémaltèque de Via Campesina, dans un communiqué. Le texte, publié la veille du cortège, redoute en outre qu’avec les TLC, de nouvelles privatisations viendront renchérir les coûts des services fondamentaux, tels l’eau, les transports, la santé ou l’éducation.
Porte-parole de la Plate-forme agraire, Ursula Roldán a plaidé de son côté en faveur d’une réforme de la terre, dans un pays où 2% de la population possède 65% des terres cultivables. Circon-s-tance aggravante, l’Etat renâclerait à investir le moindre centime dans les zones reculées du pays. Sur les 331 communes guatémaltèques, les poches d’extrême pauvreté se concentrent sur 57 d’en-tres elles. « L’Etat investit 72% de ses ressources en ville, alors que les zones rurales n’en touchent que 13% », accuse le CUC. Avec l’ensemble du mouvement social, il réclame donc une politique agraire volontariste, le contrôle des prix et des im-por-tations ainsi que l’interdiction des OGM.
Accords inappliqués
Or, malgré les promesses formulées par l’ex-candidat Berger, trois mois après sa prise de pouvoir, « il n’a toujours pas apporté de réponse concrète à nos revendications », a dénoncé Juan Tiney. En revanche, les prix du sucre et de l’énergie ont subi des hausses sévères, tandis que les expulsions de paysans et les arrestations contre les leaders sociaux se multiplient. « Le gouvernement démontre qu’il n’entend favoriser que les riches ! » Et les Blancs... « Notre problème n’est pas qu’économique, il est culturel et social, car les peuples indigènes ne participent pas aux prises de décision », a encore estimé le leader de la CoNIC.
Une exclusion que seule une refondation nationale peut briser, selon Juan Tuyuc. Dans une déclaration aux médias, ce dirigeant maya de la Plate-forme agraire a insisté sur la nécessité de reconnaître pleinement les langues, savoirs et traditions autochtones. Pour lui, les accords de 1994 en offraient les « bases », mais n’ont jamais été appliqués.
Dédommager les victimes
Faisant face aux manifestants, le président libéral Oscar Berger a accepté la création d’une « Commission de consultation des peuples indigènes et de développement rural » et affirmé son intention de bâtir une nation multi-cul-turelle. Le chef de l’Etat a aussi annoncé qu’une seconde commission, chargée de dédommager les victimes de la guerre, allait être instituée et qu’il souhaitait la voir dirigée par la députée indigène et militante des droits humains Rosalina Tuyuc. La dirigeante de la Coordination nationale des veuves a réservé sa décision.
Par Benito Pérez
Le Courrier, 8 avril 2004