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Par Elianne Oliveira
"O Globo", Brasília
Courrier International, 16 novembre 2003
Le prochain round de négociations sur la création d’une zone de libre-échange à l’échelle du continent pourrait déboucher sur une impasse. Car les pays du Sud sont désormais bien décidés à défendre leurs intérêts sur plusieurs points essentiels.
Rien n’est encore joué : la réunion de Miami [où les ministres du Commerce et des Affaires étrangères des 34 pays du continent américain (à l’exception de Cuba) vont se réunir du 16 au 21 novembre] pourrait bien aboutir à une impasse, comme ce fut le cas en septembre dernier à Cancún [lors du sommet de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) au Mexique].
La dispute entre Washington et Brasília sera au centre des débats. Les Américains accusent les Brésiliens d’entraver les négociations. Ces derniers tenteraient, d’après eux, de déposséder la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) de certaines de ses attributions - comme les droits de propriété intellectuelle, l’investissement, les services et les marchés publics - au profit de l’OMC. Les Brésiliens rétorquent que les Etats-Unis rechignent à discuter de la révision de la réglementation antidumping, de la suppression des subventions pour les exportations agricoles et de la réduction du soutien intérieur apporté aux produits locaux. Des aspects qui, selon les Etasuniens, doivent être laissés à l’OMC.
"Il ne sert à rien d’avoir une vision large et ambitieuse d’un côté et restrictive de l’autre. Le Brésil et les autres Etats membres ou associés du MERCOSUR proposent par conséquent un modèle flexible permettant en outre aux pays de signer, en fonction de leurs intérêts, des accords multilatéraux et bilatéraux. C’est un peu comme un tailleur qui fabrique un costume : les mensurations du Brésil ne sont pas équivalentes à celles des autres pays", a déclaré Celso Amorim, le ministre des Affaires étrangères brésilien.
Les rencontres de Miami s’annoncent conflictuelles
Pour éviter que la réunion de Miami ne soit un échec, le gouvernement brésilien a d’ores et déjà annoncé qu’il accepterait de débattre des services et des droits de propriété intellectuelle dans le cadre de la ZLEA, sous réserve que ces questions continuent à obéir aux règles en vigueur au sein de l’OMC. Mais le Brésil ne traitera des marchés publics et de l’investissement que dans le cadre de l’OMC. Cette nouvelle proposition a été transmise par l’intermédiaire du négociateur brésilien Ademar Bahadian au représentant des Etats-Unis, Peter Allgeier.
Il n’en demeure pas moins, d’après le ministre des Affaires étrangères, que les négociations de Miami s’annoncent difficiles, même en ce qui concerne la partie purement commerciale, qui devrait représenter 20 % des questions débattues et qui inclut les discussions sur la réduction et l’abolition des barrières douanières. Amorim explique que la proposition présentée par le Mercosur fin septembre lors de la réunion technique de Trinité-et-Tobago devrait permettre de créer une zone de libre-échange à deux vitesses. Tout dépendra de l’intérêt de chaque pays à signer les accords.
"Les Etats-Unis ont d’ores et déjà déclaré vouloir en exclure le secteur agricole. Nous allons chercher à progresser dans ce domaine au sein de l’OMC", a déclaré Amorim.
Pour sa part, le monde agricole brésilien est mécontent du rythme des négociations menées et n’a pas manqué de le faire savoir. "La position du MERCOSUR entraînera son isolement", a ainsi affirmé le président de la Confédération nationale de l’agriculture (CNA). Selon cette organisation, la Zone de libre-échange - qui devrait entrer en vigueur en janvier 2005 - entraînerait une augmentation annuelle des exportations agricoles brésiliennes d’un montant de 8 milliards de dollars, soit une progression de près de 30 %. La CNA estime que le gouvernement, sur la défensive, y voit plus de dangers que d’opportunités. Celui-ci prévoit en effet un durcissement de la position de Washington en matière de subventions agricoles. L’élection présidentielle aux Etats-Unis qui se tiendra en novembre 2004 n’y est pas étrangère : George Bush ne souhaite pas dégoûter ses exploitants agricoles, qui sont en majorité républicains.