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26 septembre 2006

Raúl Zibechi :
Il faut défendre la souveraineté de la Bolivie.

 

Par Raúl Zibechi
Alai-Amlatina
. Pérou, le 21 septembre 2006.

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La décision du gouvernement d’Evo Morales de prendre possession de deux raffineries propriété de la société brésilienne Petrobras, dans le cadre de la nationalisation des ressources d’hydrocarbures décrétée le 1er mai dernier, a fait germer une série d’attitudes du gouvernement du Brésil qui révèlent, pour le moins, une ingérence dans les affaires internes de son voisin.

Petrobras dispose de deux raffineries en Bolivie, acquises pour 100 millions de dollars en 1999, qui traitent 90% de l’essence qui est vendue dans ce pays. En outre, la compagnie pétrolière « brésilienne » contrôle 46% des réserves prouvées de gaz et 39.5% de celles de pétrole. Ses investissements dans le pays andin s’élèvent à un peu plus de 1.100 millions de dollars, elle contrôle 20% du PIB bolivien, représente la moitié des impôts perçus en Bolivie, et contrôle 57% du gaz bolivien.

Pour le gouvernement d’Evo Morales récupérer les droits de la Bolivie sur ses ressources naturelles n’est pas qu’une affaire, mais une question survie nationale et, par conséquent, politique. Ce fut le peuple bolivien qui, durant les journées de septembre et d’octobre 2003, "a décidé" la nationalisation, en payant le prix fort avec plus de 60 morts. Décision qui a été confirmée lors des journées de mobilisation de 2005 qui ont provoqué la démission de Carlos Mesa et ont ouvert les portes au processus électoral qui a mené Evo Morales à la présidence avec plus de 50% des votes.

L’actuel gouvernement n’a pas d’option : ou il nationalise ou il fait face à une crise politique pour s’être éloigné du mouvement qui l’a porté au pouvoir.

En outre, c’est la seule façon de garantir la survie de la population d’un des pays les plus pauvres de l’Amérique latine : en ce sens, récupérer les hydrocarbures est un impératif moral et un engagement vis-à-vis de boliviens pauvres.

Pour cette raison, la réaction du gouvernement de Luiz Inacio Lula da Silva est indéfendable d’un point de vue de gauche. A peine a été rendu public le décret du 12 septembre par lequel la compagnie nationale bolivienne YPFB se chargeait de la commercialisation interne et externe du gaz, que Brasilia a commencé une série de pressions incluant Lula lui-même, et son conseiller Marco Aurelio García et le président de Petrobras, Sergio Gabrielli.

Ce n’est pas la première fois que le Brésil fait pression sur la Bolivie. Chaque fois que surviennent à La Paz des évenements que le gouvernement du Brésil considère comme l’affectant, on déploie la traditionnelle diplomatie d’Itamaraty, de bas profil mais d’une ferme efficacité. Quand en Bolivie on a enregistré des crises politiques à la suite de mouvements populaires insurrectionnels, García s’est déplacé pour "défendre" les intérêts de son pays, qui passent par la stabilité politique andine. Y compris Lula qui est directement intervenu en Bolivie pendant le vote final du plébiscite sur les hydrocarbures, convoqué par Mesa en 2004.

Il est vrai que Petrobras n’est pas une entreprise totalement brésilienne. Dans les années 90, sous le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso on a privatisé des secteurs fondamentaux, au point qu’aujourd’hui l’État brésilien ne contrôle que 37% des actions de l’entreprise, 49% sont entre les mains d’étasuniens et le 11% restent entre les mains de prête-noms au Brésil.

Cela implique que l’entreprise doit prendre en considération de la demande des spéculateurs de la Bourse de New York, même au-delà des intérêts de l’État brésilien. Ainsi, le président de Petrobras a menacé la Bolivie de porter l’affaire devant le Centre International pour Arbitrage de la Banque Mondiale (CIADI).

Avec la nationalisation, le gouvernement bolivien a récupéré quelque 200 milliards de dollars en réserves de gaz et du pétrole, qui jusqu’à ce moment étaient inscrites par les multinationales pétrolières dans les bourses de valeurs comme si elles étaient les leurs, comme l’a indiqué l’ex ministre Énergie et Hydrocarbures, Andres Soliz Rada. En mettant fin aux les contrats en faveur de la nationalisation, un délai de 180 jours a été fixé pour signer de nouveaux accords qui, nécessairement, doivent reverser des ressources suffisantes dans les caisses de l’État bolivien comme pour refonder le pays et ouvrir le processus de décolonisation que permet l’Assemblée Constitutive.

Le chemin se dessine devant le gouvernement d’Evo Morales est très difficile : il doit négocier de nouveaux prix pour la vente du gaz avec le Brésil (accord qu’il a déjà signé avec l’Argentine) ; la refondation d’YPFB privatisée pendant la période néolibérale ; l’étatisation des sociétés pétrolières Chaco (Panamerican Energy), Andines (Repsol) et Transredes (Shell), en plus de mettre sur pied des équipes de techniciens que le pays ne compte pas en abondance.

Le point clef de la nationalisation sont les négociations de nouveaux contrats avec les multinationales. C’est sur ce point que se font jour les plus fortes pressions. Le chancelier brésilien Celso Amorim, a déclaré pendant le sommet du Mouvement des Pays Non Alignés, à La Havane, qu’il est possible que Petrobras doive abandonner la Bolivie si ses affaires sont délaissées. Encore une perle de plus dans la liste des pressions. Selon La Paz, Petrobras a gagné 320 millions de dollars de plus que ce que permet la législation.

L’aspect essentiel est qu’il s’agit de relations asymétriques de pouvoir. Le Brésil est ’la’ grande puissance de l’Amérique du Sud et la Bolivie est un pays pauvre et pillé qui essaye de se mettre debout. Il ne pourra pas le faire si même des gouvernements qui se proclament de gauche lui mettent des bâtons dans les roues.

Dans les faits, le gouvernement d’Evo Morales souffre d’un triple harcèlement :
 celui des Etats-Unis qui se cache derrière sa politique antidrogues pour le déstabiliser ;
 celui des entreprises multinationales et leurs gouvernements (en particulier l’espagnol et le brésilien) ;
 et celui de l’oligarchie de Santa Cruz, qui avec l’excuse de l’autonomie régionale résiste à perdre ses privilèges.

Ces forces font pression dans la même direction et, dans les faits, de manière convergente, pour affaiblir le gouvernement bolivien.

Que Lula s’ajoute à cette salve, place le Brésil et la gauche du Parti des Travailleurs (de Lula) dans une position désastreuse. Un des arguments brandis, selon lequel les mesures de la Bolivie se produisent en pleine campagne électorale et que cela peut nuire aux chances de Lula pour obtenir sa réélection, n’est pas recevable. Un autre des arguments utilisés par le président du Brésil est, qu’il s’agit de mesures "unilatérales", mais on oublie que l’autonomie et la souveraineté nationale sont, toujours et en tous les cas par définition, des décisions que prend une nation pour son propre compte.

Traduction pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi.

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