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21 juin 2004

Quand les Marines des Etats Unis allaient à l’école de torture

 

Aux Etats-Unis, les textes enseignant les « techniques d’interrogation » ont été déclassés.

Par Manlio Dinucci
Il Manifesto, le Lundi 17 Mai 2004

Deux manuels sur la torture ont été rédigés, en 1963 et 1983, à l’intention des forces armées étasuniennes. En 1987, sous la présidence de Bill Clinton, ils ont été rendus publics. Les techniques qu’ils illustrent affichent une ressemblance impressionnante avec les mauvais traitements infligés aux prisonniers irakiens dans la prison d’Abou Ghraïb.

Face aux images dévoilant les « abus » qui ont été commis dans la prison irakienne d’Abou Ghraïb, le président des Etats-Unis, George W. Bush, a eu « une réaction de dégoût mêlé à de l’incrédulité vis-à-vis du fait que des soldats en uniforme ont pu effectuer des actes si honteux et effroyables », peut-on lire dans le New York Times du 11 mai dernier. Et pourtant, en qualité de commandant suprême des forces armées étasuniennes, M. Bush devrait savoir que le corps des Marines possède des manuels d’apprentissage sur les techniques de torture. Deux de ces opuscules ont été déclassés, le 24 janvier 1997, sous la présidence de Bill Clinton (certaines parties ont cependant été effacées). Cette décision était intervenue à la suite d’une action légale entreprise par le journal Baltimore Sun.

L’ouvrage le plus récent s’intitule Human Resource Exploitation Training Manual. Il a été rédigé en 1983 et a été utilisé lors d’opérations militaires en Honduras (John Negroponte étais ambassadeur des Etats Unis, aujourd’hui à le même poste en Irak). Le titre du deuxième volume est Kubark Counterintelligence Interrogation. Edité en 1963, ce manuel a connu son « heure de gloire » durant la guerre du Vietnam. Dans l’un et dans l’autre texte, les ressemblances avec les techniques employées à Abou Ghraib sont impressionnantes.

Pour éviter l’apathie

Le volume de 1983 enseigne, par exemple, que « les suspects doivent être déshabillés, leurs yeux doivent être bandés ». Mais aussi que « les chambres où sont effectués les interrogatoires doivent être sans fenêtre, tenues dans l’obscurité, dotées d’une parfaite isolation acoustique et sans toilettes ». Etant donné que « le sens de l’identité individuelle dépend du fait qu’une personne est continuellement en contact avec l’environnement qui l’entoure », la détention doit être « organisée » de manière à « donner au sujet la sensation d’avoir été coupé de tout ce qui peut le rassurer ». Il faut cependant faire en sorte que « l’emprisonnement ne soit pas trop monotone, pour éviter que le détenu devienne apathique ». Pour cette raison, il est conseillé d’utiliser des « moyens qui désorientent le sujet, en lui inspirant de la crainte et un sentiment d’impuissance ».

Parmi les méthodes à appliquer, les auteurs du manuel de 1983 prônent les interrogatoires inopinés et « des examens médicaux à effectuer dans toutes les cavités du corps ». Ensuite, après avoir « privé le détenu de toute stimulation sensorielle », les gardes pourront passer aux menaces qui, elles, doivent être « froidement exprimées », car « les sursauts de colère sont souvent interprétés, par le prisonnier, comme si les militaires craignaient l’échec, ce qui renforce la volonté de résister ». Or, si le détenu résiste, « la punition doit être aussitôt exécutée, sinon la prochaine menace se révélera inefficace ». Le manuel consacre à cet effet un chapitre à l’administration de la « douleur », en prévenant que, « lorsqu’elle est infligée par un sujet externe, elle est susceptible de renforcer la volonté de résister ». L’approche la plus efficace consiste à ce que le prisonnier « se procure lui-même la douleur dont il pâtit ».

Méthodes scientifiques

Exemple : « Si le sujet est contraint de rester longtemps dans une position rigide, au garde-à-vous, ou d’être assis de façon très inconfortable sur un escabeau, la douleur ne viendra pas de celui qui l’interroge, mais de lui-même : cela engendre une situation de conflit interne ». La position du prisonnier encagoulé d’Abou Ghraïb, qui est obligé de garder l’équilibre sur une caisse, tenant dans les mains deux électrodes qui pourraient lui administrer une décharge électrique s’il venait à poser un pied par terre, n’est autre qu’une variante d’application de cette technique. Et si, avant de le déclasser, on y a ajouté un paragraphe préliminaire rappelant que la torture est illégale, le manuel garde toujours deux passages relatifs à l’usage des décharges électriques lors des interrogatoires.

Le texte met par ailleurs en garde sur le fait que l’approbation du commandement militaire est nécessaire si, pour obtenir le consentement des détenus, « on a recours à des moyens médicaux, chimiques ou électriques ». Avant l’Irak, ces méthodes ont été utilisées par l’armée et les services secrets étasuniens en Afghanistan. Une enquête du Washington Post, publiée le 26 décembre 2002, dévoile que « dans un centre secret de la CIA », situé à l’intérieur de la base aérienne de Baghram, « ceux qui refusent de coopérer sont parfois obligés de rester debout ou à genou, durant des heures, la tête couverte par un capuchon noir. Parfois, ils sont privés de leur sommeil, durant plus de vingt-quatre heures. Alors que le Gouvernement étasunien condamne publiquement la torture, chaque fonctionnaire de la sécurité nationale que nous avons interviewé a jugé l’usage de la violence contre les prisonniers comme étant juste et nécessaire ».

Ce qui a lieu en Irak n’est donc pas le fruit d’une « déviation » du droit chemin, entreprise par une poignée de militaires indignes, mais l’application d’une méthode scientifiquement étudiée, à laquelle les militaires ont été formés. Et ce n’est que la pointe de l’iceberg. Selon le Washington Post du 11 mai, « dans la constellation mondiale des centres de détention -dont le nombre sont secrets et fermés à toute enquête publique- mis sur pied par les forces armées au nom de la lutte contre le terrorisme », il y a « plus de neuf mille prisonniers n’ayant aucun droit ». Il n’est pas difficile d’imaginer quelles sont les techniques d’interrogatoire que l’on y applique.

Traduit et adapté par : FABIO LO VERSO

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