Accueil > Empire et Résistance > Qu’est ce que l’axe Sud-sud du Brésil avec les géants de la périphérie mondiale
"BRIC" - ou Brésil, Russie, Inde et Chine -telle est l’abréviation par laquelle sont désignées les puissances moyennes émergentes dans la scène internationale. Le premier d’eux, avec son président Lula donne Silva, entame aujourd’hui une offensive diplomatique pour former un nouvel axe de pouvoir.
Par Darío Pignotti
Página 12, San Pablo, 25 de enero del 2004], San Pablo, 25 janvier le 2004
Luiz Inácio Lula da Silva entame aujourd’hui (25/01/04) en Inde son aventure diplomatique la plus ambitieuse : construire une alliance sur l’axe Sud-sud qui parvient à faire une place aux géants de la périphérie internationale. Le président brésilien, qui a embarqué vendredi à San Pablo et atterrit seulement le samedi à New Delhi, caractérise cette démarche comme un pas clef dans sa croisade vers un pôle de pouvoir autonome des Etats-Unis.
Pour son vingtième voyage en 12 mois de gouvernement, maintenant Lula parie de faire pied en Asie, un continent diplomatiquement inconnu, mais inévitable si le Brésil prétend jouer sur l’échiquier stratégique. A ce club exclusif participe l’Inde, comme un partenaire de poids moyen, grâce à ses arsenaux nucléaires et au développement de sa technologie spatiale et informatique.
Il y a un an, le nouveau président était applaudi à l’unisson à Porto Alegre par les militants du Forum Social Mondial et à Davos par les dirigeants qui décident de la globalisation au Forum Économique. Avec ce capital, qui n’est pas peu, mais qui n’est pas non plus suffisant, le chef d’État du Brésil sera reçu par son alter ego de l’Inde pour examiner un calendrier qui peut donner lieu à une alliance de pouvoir ou faire naufrage dans la rhétorique.
Le Brésil et l’Inde, en termes absolus, représentent 1200 millions d’habitants et un milliard de dollars de Produit Intérieur Brut. Si la masse critique actuelle des deux acteurs est appréciable, son potentiel l’est beaucoup plus : selon une projection de la banque d’investissements Goldman & Sachs, les économies brésilienne et indienne seront parmi les plus grandes de la planète dans quelques décennies alors que la Chine, selon cette prévision, sera le premier marché mondial.
New Delhi, c’est aussi un saut sans filet : Lula devra démontrer s’il est compétent pour obtenir des accords substantiels et transcender la phase des "déclarations d’intentions" qui ont donné le ton dans sa promotion comme leader émergent.
Tiersmondisme "léger"
Face aux ambitions de Lula, les critiques ne manquent pas, spécialement entre les mentors de la politique internationale de l’ex président Fernando Henrique Cardoso, qui accusent à l’actuelle administration "de récidiver dans des péchés tiersmondistes". Ce reproche n’offense pas le chancelier Celso Amorín, qui définit l’actuelle diplomatie brésilienne comme "diplomatie active et hautaine", contrecarrant la supposée soumission de celle de Cardoso.
En tout cas, le tiersmondisme qui avant l’Inde a amené Lula en Syrie, en Libye, en Angola et en Egypte, est une version décaféinée de l’original. Les pavillons de Lula ne sont pas ceux qu’a levés, par exemple, l’indien Jawaharlal Nehrú il y à un demi siècle quand son pays venait de conquérir l’indépendance, de la même façon qu’une partie de l’Asie et la moitié de l’Afrique. Si le plan général de Lula se résumait à une thèse, celle-ci serait : construire le pouvoir dans les vides que la globalisation a laissés.
Traduction : tandis que l’Empire se désintéresse de 100 millions des brésiliens et de 800 millions d’Indiens exclus de la consommation, les neo tiersmondistes doivent les inclure. Et il ne s’agit pas de socialisme, ni d’anti-impérialisme mais de construire un marché étendu vers le bas et donner la priorité aux relations diplomatiques symétriques.
C’est une des prémisses avec lesquelles travailleront les brésiliens en Inde, où le PBI croît à 6 % depuis le milieu des années 90. Pour ce même motif Brasilia, a voulu qu’une représentation du Mercosur, où sera présent son secrétaire général virtuel Eduardo Duhalde, vienne aussi à New Delhi, où on signera un traité de préférences tarifaires pour 800 biens.
Un laboratoire géopolitique
L’expérience diplomatique qu’essayent brésiliens et indiens trouve une partie de son succès dans le chapitre pharmacologique. C’est que les deux pays ont fait cause commune dans l’Organisation Mondiale de la Santé face aux laboratoires occidentaux en produisant leurs propres « mélanges » pour les patients du SIDA, sans payer des brevets. Le Brésil et l’Inde, puissance mondiale de l’industrie pharmacologique, pourraient aussi produire des génériques, un autre sujet sensible. On signera de même des accords sur les logiciels, où l’Inde est le second producteur mondial et sur l’appui réciproque pour occuper un fauteuil permanent en Conseil de la Sécurité de l’ONU.
Lula et le premier ministre Atal Bihari Vajpayee traiteront dans leur rencontre en tête à tête de sujets plus épineux. Le Brésil espère que New Delhi libère ses réputés ingénieurs pour qu’ils apportent le développement à leur technologie nucléaire et spatiale. Sans doute ces deux sujets, surveillés par Washington, donneront la mesure de la qualité du rapprochement stratégique entre brésiliens et des Indiens.
Le Brésil a réitéré que ses recherches nucléaires n’ont pas de buts militaires, mais rejette les inspections de l’Agence Internationale d’Énergie Atomique qu’il accuse de simple espionnage industriel. Après l’explosion du lanceur de satellites (non encore expliqué) qui a tué des dizaines de techniciens à Alcántara, le Brésil a doublé le pari et a décidé de continuer ce projet. Dans les deux cas, l’Inde est un partenaire à la mesure des nécessités brésiliennes, puisqu’il a développé sa bombe atomique propre et des missiles sophistiqués.
Ce ne sera pas facile pour Lula de persuader son collègue Vajpayee, du parti conservateur Baratiya Janata et allié préférentiel de Washington dans une région vitale pour la nouvelle carte de la sécurité après les guerres l’Afghanistan et de l’Irak. Washington a levé les sanctions à l’Inde pour ses essais nucléaires, mais ne voudra pas qu’elle facilite ce savoir-faire pour que le Brésil lui crée une certaine menace dans l’équilibre stratégique de son arrière-cour géopolitique.
New Delhi, la Paz, Pekin
Même cela semble paradoxal, c’est possible que la Bolivie soit un sujet de négociation à New Delhi. Et cela parce que l’Inde a donné des signaux - même il y a eu même des déclarations officielles, plus tard démenties - sur son intérêt pour l’achat de gaz bolivien, mais pas depuis les ports Chiliens qui sont objets de polémiques mais depuis le Brésil, par l’intermédiaire du gazoduc de Petrobras.
Mais la question qui marquera ce séjour de quatre jours dans le sous-continent indien ne sera pas la Bolivie mais la Chine. En juin, le Brésil a créé le Groupe des Trois, le G3, avec l’Inde et l’Afrique du Sud. En septembre il a conduit les pauvres contre les riches dans la réunion de l’OMC à Cancún, où est né le G20. Et après avoir construit maintenant cette base de sustentation multilatérale, Lula veut créer le G5, où au G3 on ajoutera la Russie et, spécialement, la Chine.
Il ne sera pas facile de persuader Pékin de s’ajouter à cette entente, mais les brésiliens essaieront. Pour le moment Lula, qui cette année a promis de moins voyager, a déjà annoncé que la priorité de l’année est d’aller en Chine en mai.
Traduction pour El Correo : Estelle et Carlos Debiasi