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24 novembre 2006

Projet de société pour la France :
Le débat sécuritaire continue.

 

Par Michaël Fœssel
Esprit
. Paris, 28 septembre 2006

Que pourrait bien être une politique sécuritaire réussie ? La réponse est venue récemment de la bouche du Ministre de l’intérieur qui déplorait que sur 1651 mineurs déférés devant le Tribunal de Bobigny depuis le début de l’année, seuls 132 aient été écroués. Le critère de la réussite serait donc fixé par le nombre de condamnations à la prison ferme, ce qui, comme le remarque Dominique Youf , sonne définitivement le glas du « modèle protectionnel » qui présidait à la politique pénale de l’enfance depuis l’ordonnance de 1945. Même si les débats sur la surpopulation carcérale semblent un peu lointains, si la compassion à l’égard de la jeunesse délinquante a fait long feu, on est en droit de s’interroger sur l’efficience d’un tel critère qui transfère à la justice elle-même une fonction répressive dont on se demandait autrefois si elle suffisait à définir la police.

Il faut dire que la réflexion sur le rôle préventif de la « police de proximité » est absente depuis le tournant sécuritaire de 2002. Si l’on en croit le rapport du préfet de Seine-Saint-Denis, opportunément publié par la presse le 21 septembre, la hausse des délits, en particulier celle des violences sur les personnes, ne devrait rien à l’inefficacité des mesures prises (rappelons que l’ordonnance de 1945 a déjà été modifiée en 2002), mais tout au manque de radicalité dans leur mise en œuvre. Les policiers seraient « démotivés » par des juges laxistes et par la multiplication des interventions « trop rudes et disproportionnées » de l’Inspection Générale des Services (tout de même huit enquêtes pour viol dans le seul commissariat de Saint Denis). En un mot, la « frilosité des forces de l’ordre », et conséquemment la modestie de leurs résultats, s’expliquerait par les perturbations venues d’institutions concurrentes, dont certaines émanent de la police elle-même.

« Qu’on laisse la police travailler ». Cette revendication aux accents corporatistes n’aurait rien de spécialement préoccupant si elle n’avait été immédiatement reprise, voire amplifiée, par le Ministre de l’intérieur, accessoirement candidat à la présidence de la République, une charge où il serait censé garantir l’indépendance de la justice. Tout, dans la récente polémique entre Nicolas Sarkozy et les juges de Bobigny, tend à fixer le décor lugubre de la campagne électorale qui s’annonce : l’insistance exclusive sur la question sécuritaire, la stigmatisation d’un territoire (la Seine-Saint-Denis) élevé au rang de symbole de l’anarchie des quartiers, la désignation de l’ennemi sous la figure de l’islamisme rampant des « jeunes de banlieue », le jeu d’une institution contre l’autre au nom de l’autorité de l’État et l’asservissement aux sondages d’opinion (65% des Français en faveur d’une justice plus sévère). Le temps n’est pourtant pas si loin où le même Ministre réclamait la responsabilisation pénale des juges, en rapport cette fois-ci avec l’affaire d’Outreau (voir notre éditorial de mars-avril 2006) et la multiplication inconsidérée des détentions préventives ! Mais peu importe la cohérence à l’heure où il semble surtout urgent de commenter chaque fait de société en entretenant l’illusion d’un État omnipotent qui, à force de mesures répressives et d’interventionnisme, finira par contraindre la justice à l’omniscience.

Une politique sécuritaire « réussie », ce serait donc une société où tous les « coupables » (c’est-à-dire les individus interpellés par la police) se retrouveraient en prison, abstraction faite de toute autre forme de sanction. Ce n’est là, finalement, que le symétrique inversé du « modèle protectionnel » : dans les deux cas, on considère le jeune délinquant hors de la société, soit comme une victime à protéger, soit comme un individu dangereux à exclure. Il y va de bien autre chose que de l’opposition traditionnelle de la justice et de la police car c’est surtout un défaut d’expertise sociale qui caractérise cette rhétorique de la sécurité. La campagne à venir risque d’être pleine de ces tentatives de dissoudre le social dans le rappel à l’ordre auquel ne s’oppose plus que le discours abstrait sur les valeurs. Plus que la « peopolisation » des candidats, c’est cette absorption du politique dans le réalisme du bon sens et l’idéalisme des bons sentiments qu’il faut craindre.

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