Accueil > Empire et Résistance > Saint Siège > Pour comprendre le rôle de l’Église durant les années de plomb en Argentine
« Transfert » était un mot craint, que tous voulaient expulser de leurs pensées. Ainsi, commence El Silencio (Editorial sudaméricaine), une recherche méticuleuse dans laquelle Horacio Verbitsky révèle la collaboration étroite de l’Église Catholique argentine avec l’École de Mécanique de l’ Armée (ESMA) pendant la dernière dictature militaire.
Par S F.
Página 12, 3 mai le 2005
Le titre du livre fait allusion au nom éponyme de l’île, où l’Armée argentine avait dissimulé les détenus-disparus quand la Commission Interaméricaine de Droits de l’homme a visité les locaux de l’ESMA en 1979. Cette île, qui a servi à dissimuler les prisonniers, est un cas unique au monde : on ne connaît pas un autre exemple d’un camps de concentration dans une propriété ecclésiastique.
Un des liens entre la cure et les militaires fut le secrétaire du vicaire militaire, Emilio Graselli, qui se chargeait de recevoir les parents des victimes qui cherchaient à savoir où et comment étaient leurs êtres chers, et qui "s’était tellement identifié aux s membres des escadrons de la mort, qu’il dissimulait sous la soutane une arme", selon Verbitsky.
Cette symbiose est rappelée par certains des parents, ceux qui ont dû écouter de la bouche de Graselli des phrases qui, a priori, ils n’imagineraient pas qu’elles sortiraient d’un membre de l’Église : "C’est probable que quelqu’un de pieux lui donne une injection et que cet irrécupérable soit endormi pour toujours" ou "ceux qui ont un petit trait sont morts, on ne se préocupe déjà plus d’ eux".
Dans la présentation de El Silencio, au surtitre « de Paul VI à Bergoglio. Les relations secrètes de l’Église avec l’ESMA », ont pris part le théologien et le prêtre Eduardo de la Serna, l’artiste plasticien Leon Ferrari, Víctor Melchor Basterra, survivant de l’ESMA qui a été transféré sur l’île propriété de l’église en 1979, pendant la visite de la Commission Interaméricaine Droits de l’homme, et l’auteur et journaliste de Página12.
De la Serna estime que le livre de Verbitsky apparaît comme une sorte de suite de « Église et dictature », d’Emilio Mignone. "Pourquoi une église hiérarchique, des évêques et prêtres, qui ont insisté, ont convaincu et motivé tant de jeunes à prendre part dans des questions sociales et politiques, les ont lâchés quand les patates ont brûlé leur main ?", s’est demandé le prêtre, et il a admis que c’est quelque chose que personnellement il n’a pas encore digéré. "Je suis un simple prêtre, mais comme prêtre et membre de l’Église je demande pardon", a ajouté de la Serna, très applaudi par les 500 personnes qui se trouve dans la salle José Hernández.
Leon Ferrari a qualifié Verbitsky comme "un guetteur des crimes qui ont été commis dans ce pays". L’artiste plasticien a expliqué que l’Église a toujours l’ambition de prendre part au gouvernement, "d’appliquer les lois de sa religion au pays entier, lois que pour beaucoup , une partie du pays, ne partage pas, ou qu’une partie du pays qui dit être croyant dans cette religion ne connaît pas".
Ferrari a rappelé certaines des déclarations d’Adolfo Scilingo dans « El Vuelo » (Le vol) pour illustrer le fanatisme des Forces Armées de l’époque et des aumôniers, de prêtres et d’évêques qui les ont soutenus, mais aussi pour rappeler que cette mentalité continue avec le cas de l’évêque militaire Baseotto. Comme survivant de l’ESMA, Basterra a jugé que El Silencio est "un grain de sable" qui aide de façon remarquable la mémoire collective.
"On parle là de la connivence de l’Église comme institution et hiérarchie avec les institutions les plus fondamentalistes qui ont existé en Argentine", a indiqué Basterra. "Gageons que les générations à venir embrassent cette curiosité, cette mise en question, cette vision critique de l’histoire officielle que sans se vanter, nous avions." Verbitsky a assuré qu’il a eu besoin d’étudier en profondeur le rôle de l’Église pour comprendre la tragédie contemporaine argentine.