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9 septembre 2003

Pénible spectacle de la gauche argentine vu depuis le Chili.

par Patricio Aguilar Carrera

 

Quand les masses ont fait irruption dans le centre de Buenos Aires et ont entouré la Maison Rose, en obligeant le président Fernando de la Rúa à s’enfuir indignement dans un hélicoptère pour éviter la colère populaire, devant la crise sociale, politique et économique la plus profonde qu’a jamais vécue l’Argentine, une vague d’espoir a parcouru alors toute l’Amérique latine.

Pour la première fois depuis de nombreuses années, le peuple mobilisé, avec une résolue attitude de combat, mettait indiscutablement en échec le pouvoir établi, mettant à nu sa misère morale et construisait une nouvelle forme d’autorité basée sur la gestion de ses propres organisations.

Le peuple argentin, dans les rues, consolidait la présence et la forme d’un sujet soumis à des changements qui manque tant au déprimé continent américain, après des décennies de tyrannies militaires imposées par la Doctrine de Sécurité Nationale et de faux gouvernements de « transition démocratique » soumis au scénario du Fonds Monétaire International. Le changement le plus important dans l’histoire argentine était là, à portée de main, avec des millions d’êtres humains disposés à prendre le pouvoir et à le défendre. Toutefois, au fil des semaines, une léthargie incompréhensible et une fragmentation impardonnable, ont freiné cette charge populaire et ont ouvert une voie confortable à cette dernière « camarilla » (bande) qui pendant une bonne partie du vingtième siècle a régi le pays trans-andin, les mêmes agents d’un pouvoir basé sur la corruption et la mafia du silence et la complicité, qui a été capable de créer les Menem qui menacent aujourd’hui de se réinstaller dans le palais du gouvernement.

Apparemment l’offensive démocratisante a été tellement forte, tellement profonde qu’elle a percé le sens de propriété de la rébellion populaire, que l’horizontalité a décapité le mouvement en le privant de la conduite, d’une capacité à concrétiser le « Mate » à cet « Echec » prometteur.

A un peu plus d’une année du soulèvement, la scène préélectorale de la république soeur contient un assemblage pathétique où le péronisme, le principal gestionnaire des dramatiques politiques sociales et économiques qui ont fini par couler un des pays les plus riches du continent, a comme un de ses porte-drapeau à Carlos Saúl Menem, célèbre pour réciter le monologue financier du FMI, longuement interrogé pour des faits délictueux et déjà élu deux fois à la présidence.

La présence et le favoritisme statistique de Menem ne peuvent s’ expliquer que par le manque d’alternatives sérieuses et par une campagne publicitaire très bien montée qui n’a pas lésiné sur les dépenses pour réparer l’image déjà très écornée par la mauvaise conduite de l’ex mandataire septuagénaire. Campagne à laquelle elle s’est ajoutée de façon réjouie, bien que non gratuitement, une importante partie de la presse Chilienne qui avec un intérêt mesquin provincial croit pouvoir tirer un certain type de bénéfice de la potentielle présence de Cecilia Bolocco (chilienne) comme Première Dame.Mais là où on peut expliquer de façon plus dramatique cette consolidation de l’establishment du système c’est dans la fragmentation inouïe de la gauche argentine à la lumière de ces élections.

Incapables de produire une conduite déterminante dans les faits commentés au début de cet article, ils ajoutent maintenant à cela leur attitude pingre et le manque de grandeur morale pour répondre aux nécessités d’un peuple qui, dans un pourcentage insupportable, vit mal et menacé par la faim, le chômage et l’abandon. Cette gauche, qui a eu l’occasion historique de conduire un processus de projections insoupçonnées, qui a atteint des degrés d’unité évaluables bien qu’insuffisants aux moments les plus dramatiques, qui a pu être mise à la tête de la vague anti-néolibérale qui parcourt le continent, qui a définitivement pu déplacer les caudillos responsables de la crise d’État, se présente divisée en six candidatures, en faisant des différences entre une « gauche politique » et une « gauche sociale ». Fausse dichotomie. Dilemme inévitable, qui déguise l’égoïsme et la myopie de ceux qui privilégient la transformation de leur statut propre par dessus le devoir historique de la gauche qui est de provoquer la transformation sociale.Cette mouvance n’a aucune possibilité d’atteindre la victoire dans ces élections, bien que si on ajoute tous les pourcentages qui leur accordent les enquêtes, la gauche argentine pourrait prétendre à être présente au second tour électoral. Paradoxe des paradoxes.

La principale leçon qui peut être tirée de ce fait est que tant qu’on maintiendra le faux dilemme entre le secteur politique et le secteur social, les forces enclines au système auront un vaste espace pour être maintenues au pouvoir, pour justifier leurs succès et erreurs par le manque d’une alternative « sérieuse » et pour construire son discours de stabilité et le « changement » grâce au fait que la seule mouvance qui peut l’entraîner est empêtrée dans ses petitesses. De cette situation on doit faire une lecture profonde depuis le Chili. Une bonne partie du mouvement qui, avec plus ou moins de profondeur, s’oppose au système, n’arrive pas encore à défaire le noeud gordien qui a provoqué la fragmentation argentine.La division, le manque d’accord, l’exclusion comme arme politique, sont des héritages laissés par la stratégie dictatoriale qui a pris une partie de sa force dans la puissance des conflits internes de ses ennemis. Héritage qui a fut pris avec des modifications minimales par la Concertation qui a vu dans le peuple mobilisé plus une gêne qu’un appui.

Il est évident que dans notre pays ne se produisent pas encore les phénomènes d’explosion sociale qu’ont vécus nos voisins ou qui sont arrivés en Bolivie, au Pérou, à l’Équateur et autres pays. Le Brésil et le Venezuela, chacun à son rythme, vivent des processus qui sont basés sur leur indiscutable racine et unité dans le peuple.

La générosité, la hauteur de vues, la vision claire de l’objectif, l’identification du véritable ennemi et la vocation par la transformation sociale profonde qui incluent tous ceux qui sont affectés aujourd’hui par la globalisation capitaliste, participeront à ce sujet historique multiforme et hétérogène qui ouvrira les portes à la nouvelle société.

Certains secteurs avancent dans la clarification de ces objectifs, mais l’apparition des groupes ou mouvances consolidés dans l’idée d’exclusion, ne contribuent pas, mais plutôt, agissent, depuis l’extérieur, au service des secteurs qui, depuis l’intérieur, soutiennent l’actuel système. Le pire serait de répéter le spectacle pénible de la gauche argentine.

Mundoposible.cl, *

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