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Par Laura-Julie Perreault
La Presse, Le jeudi 18 août 2005
Ses troupes sont composées de moins de 50 militants à temps plein. Le multimilliardaire progressiste George Soros refuse de donner un cent à sa cause. Mais envers et contre tous, le troisième cheval aux deux dernières élections présidentielles américaines, Ralph Nader, veut faire tomber George W. Bush avant la fin de son mandat.
De passage à Montréal hier pour prononcer un discours devant les étudiants de l’école d’été de l’Institut du Nouveau Monde, Ralph Nader a dit à La Presse qu’il travaille d’arrache-pied depuis des mois pour mettre en branle une procédure de destitution contre le président américain. Cette mesure, inscrite dans la Constitution américaine, permet aux élus de virer le président s’il commet un acte de trahison, un crime ou s’il se comporte de manière incorrecte dans le cadre de ses fonctions.
« Si les pères fondateurs de la Constitution étaient vivants aujourd’hui, ils diraient qu’il n’y a pas de plus beau cas que George W. Bush pour une destitution. En Irak, George W. Bush a déclaré une guerre inconstitutionnelle. Après, tout n’a été que tromperies, cachettes, fabrication de fausses informations, mensonges », tonne l’homme de 71 ans.
Mais la bataille est loin d’être gagnée, admet-il. Jusqu’à maintenant, les militants antiguerre ont été incapables de convaincre un seul élu du Parti démocrate de présenter leur requête au Congrès.
En 1998, quand l’avocat Kenneth Starr a tenté de rayer Bill Clinton de la carte parce qu’il avait menti en public au sujet de sa relation avec Monica Lewinsky, il a réussi à se rallier la majorité des membres de la Chambre des représentants, mais s’est cassé les dents au Sénat. Andrew Johnson, au XIXe siècle, a aussi fait l’objet d’une procédure semblable qui a échoué.
Ralph Nader sait qu’il y a encore bien loin de la coupe aux lèvres, mais ne se décourage pas. Son parcours lui a prouvé à plus d’une reprise que les causes jugées perdues d’avance ne le sont pas toujours.
Contre les géants
L’ancien étudiant en droit à Harvard, élevé par des parents immigrants d’origine libanaise au Connecticut, a déjà réussi à s’attaquer au géant qu’est l’industrie automobile aux États-Unis, causant des changements majeurs dans les lois du pays. À maintes reprises, il a aussi pris la défense des consommateurs, notamment contre les compagnies de tabac, l’industrie pharmaceutique et l’empire des cosmétiques. La bataille la plus célèbre de l’avocat militant est celle qu’il a mené à trois reprises pour prendre le contrôle de la Maison-Blanche, dans le but avoué de briser la « dictature des deux partis en place ». Si en 1996, il n’a réussi à conquérir qu’à peine 1 % de l’électorat à la tête du Parti vert, en 2000, près de 3 % des électeurs l’ont préféré à George W. Bush et à Al Gore. Après avoir concédé une victoire controversée à Bush, les démocrates ont blâmé Nader d’avoir causé le naufrage de leur candidat.
M. Nader se moque des accusations des démocrates, qui, croit-il, auraient pu se battre pour s’approprier la Maison-Blanche en 2000. « Les démocrates refusent de voir leur propre lâcheté ; donc ils me blâment au lieu de s’en prendre à Bush », ricane le grand homme mince, calé dans un sofa de la suite vice-présidentielle de l’hôtel Hyatt, au centre-ville de Au cours de l’entretien, il ne manque pas une seule occasion de rendre aux démocrates la monnaie de leur pièce. Selon lui, le parti des John Kerry et Bill Clinton est en pleine déchéance depuis qu’il accepte les dons des grandes compagnies multinationales. « Il n’y a plus d’opposition ! » soupire-t-il.
Et le Parti vert, pour lequel il a brigué deux fois les suffrages avant de se présenter sous une bannière indépendante aux élections de 2004 ? « Rien ne va plus. Un petit groupe a réussi à prendre le contrôle du parti. Depuis, l’organisation est déchirée par des guerres intestines. »
Ralph Nader soutient cependant qu’il reste un seul remède pour guérir la démocratie américaine. « Le travail le plus important doit se faire au niveau de la société civile. Nous devons subordonner les valeurs commerciales aux valeurs civiques et non pas le contraire. »
C’est ce message qu’il a transmis hier soir à la salle Pierre-Mercure aux 600 jeunes des quatre coins du Québec réunis à Montréal pour l’école d’été de l’Institut du Nouveau Monde. C’est aussi cette manière de faire qu’il continuera d’appliquer dans ses batailles citoyennes à son retour aux États-Unis dans les prochains jours.
Ralph Nader, avocat combatif
> 1934 : ce fils d’immigrants libanais naît à Winsted, au Connecticut
> 1955-1959 : études à Princeton et Harvard.
> 1959 : il fait son service militaire.
> 1965 : il commence sa bataille contre l’industrie automobile.
> 1969 : il fonde le Center for Study of Responsive Law.
> 1971 : il met sur pied l’organisation Public Citizen. Entre cette date et 2000, il fonde plus de 30 ONG.
> 1996 : il est candidat à l’élection présidentielle pour la première fois. Il recueille 1 % du vote.
> 2000 : il se représente et obtient près de 3% des suffrages, soit 2,9 millions de voix.
> 2004 : troisième participation. Il récolte 0,4 % des voix.