Accueil > Empire et Résistance > Organismes et ONGs de domination > OMC : Quand les investisseurs se changent en pillards
La prochaine réunion de l’Organisation mondiale du commerce pourrait ressusciter l’Accord multilatéral sur les investissements (AMI). Un projet accordant des droits exorbitants aux multinationales dans leurs investissements à l’étranger.
Par Simon Petite
Chassé par la porte, il revient par la fenêtre. L’Accord multilatéral sur les investissements - célèbre sous son acronyme AMI - avait été abandonné en 1998. Après que la France se fut retirée des négociations conduites alors dans le carde de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), le club des vingt-neuf pays les plus riches du globe. Un retrait sous la pression d’un vaste mouvement - précurseur de l’altermondialisme - qui en France et ailleurs avait révélé au grand jour les dangers de l’AMI. S’il avait été finalisé, l’accord aurait donné des droits exorbitants aux entreprises investissant à l’étranger - les multinationales - au détriment des pays hôtes. « L’AMI allait jusqu’à offrir aux investisseurs la possibilité de porter plainte contre un Etat s’il prenait des mesures pouvant affecter la rentabilité de l’investissement, et celle d’exiger des indemnités », rappelle Marianne Hochuli, de la Déclaration de Berne (DB).
Résurrection à Cancun ?
Hier, à Berne, la DB, les œuvres d’entraide suisses1, le Syndicat industrie et bâtiment (SIB) et Pro Natura ont mis en garde contre la résurrection de l’AMI. Dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), cette fois-ci. Réunis en 2001 à Doha, les Etats membres sont effet convenus de discuter « des modalités de nouvelles négociations sur l’investissement » lors de la prochaine conférence interministérielle de l’OMC. Soit à Cancun dans moins d’un mois.
Au Qatar, il avait fallu prolonger la réunion pour littéralement arracher ce compromis à des pays du Sud réticents à toute nouvelle négociation sur l’investissement. « Non pas qu’ils sont opposés aux investissements », explique Chien Yen Gho, de l’ONG Third World Network, présentant le point vue du Sud. « Les pays en voie de développement craignent qu’un accord réduise à néant leur capacité de maximiser les bénéfices des investissements étrangers et de minimiser leurs coûts. »
Force est de constater, soutenaient hier les intervenants, que les investissements n’ont jusqu’ici pas été profitables aux pays du Sud. « Les trois quarts des investissements destinés au tiers monde ont financé le rachat d’entreprises privées ou publiques. Loin de créer de nouveaux emplois, ces rachats ont au contraire entraîné des licenciements massifs, une réduction et un renchérissement des services, la corruption, etc. », soutient le représentant du SIB Hans Shäppi. Aux antipodes de la promotion d’un développement durable.
La Suisse dénoncée
Pour le Nord au contraire, l’exportation de capitaux est une aubaine. « Les investissements directs à l’étranger représentaient 20% du PIB mondial, contre 6,1% vingt ans plus tôt », analyse Michel Egger, chargé de la politique de développement de la Communauté de travail. Qui précise : « Cette croissance est une bonne mesure de la montée en puissance des sociétés transnationales, principaux investisseurs dans le monde. » Pas étonnant que parmi les plus chauds partisans d’un AMI ressuscité, on trouve les Etats-Unis, le Canada, l’Union européenne ou le Japon. Là où l’écrasante majorité des multinationales ont élu domicile.
Déjà en faveur de l’AMI, la Suisse ne voit pas d’inconvénient à ce que l’OMC élargisse son champ d’action aux investissements. Une position vivement dénoncée hier. Les ONG suisses ne mettent pas en cause la nécessité de garanties pour les investisseurs mais font valoir que les multinationales ont déjà le champ libre. Elles plaident donc pour l’instauration par l’ONU d’une convention contraignante fixant la responsabilité légale des multinationales. « Un nouvel accord sur les investissements, au contraire, renforcerait l’emprise des investisseurs étrangers sur les pays en voie de développement », prévient Miriam Behrens, de Pro Natura.
D’autant qu’un tel accord, s’il est négocié à l’OMC, « ne pourra être que déséquilibré », poursuit Michel Egger. A Genève, siège de l’organisation, le droit commercial a toujours primé sur toute autre considération et les multinationales y ont leurs entrées. Un AMI s’appuyant sur le cadre contraignant de l’OMC serait catastrophique pour les pays en voie de développement.
Miriam Behrens en veut pour preuve l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA) dont s’inspirait l’AMI et qui donne le droit aux investisseurs lésés d’obtenir réparation. « Objet de la première plainte en 1997, le Canada voulait interdire l’importation et le transport sur son sol d’un additif toxique pour l’essence. L’entreprise étasunienne Ethyl Corporation porta plainte, soutenant que cette mesure représentait une expropriation et nuisait à sa réputation. Ethyl réclama au Canada des dommages et intérêts de plus de 250 millions de dollars. Le Canada leva son interdiction et accepta un arrangement. »
1.- En l’occurrence, la communauté Swissaid/Action de Carême/Pain pour le prochain/Helvetas/Caritas/EPER.