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3 novembre 2005

Nicaragua
Quelle fin pour le conflit sans fin ?

 

Tout le monde au Nicaragua, avec les meilleures - et avec les pires - intentions essaye de construire un pont entre la situation conflictuelle d’aujourd’hui et le jour des élections. Si le pont doit nous emmener à un scénario démocratique et juste, il sera nécessaire de le construire avec la souveraineté nationale.

Par l’Équipe Nitlapan
Envío
, octobre 2005

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Le Secrétaire Général de l’OEA José Miguel Insulza - qui a étrenné sa charge avec la crise institutionnelle du Nicaragua et qui est parti du pays perturbé et sans rien résoudre - l’a qualifié ce mois comme un conflit sans fin, considérant que c’est la situation la plus frustrante de toute l’Amérique latine.

Jusqu’où peut aller cette crise ? Quelle sera sa fin ?

Daniel Ortega, un de ses protagonistes, a promis ce mois de la résoudre en 24 heures, ce qui ne cesse de causer la stupeur de ceux qui l’ont quotidiennement supportée depuis tant de temps. Et ce qui prouve combien de fils de cette pelote juridique et politique Ortega gère directement.

Avec réalisme et honnêteté, il faut se préparer à beaucoup plus d’heures, jours, semaines et mois. Jusqu’à la date des élections ? Cela sera-t-il alors la fin ?

22 septembre : un autre point culminant

Comme cela correspond à un conflit interminable, la guerre entre l’Exécutif et le Législatif a connu de nouveaux hauts et bas et de nouveaux points culminants. Le point crucial du mois passé fut la résolution de la Cour Suprême de Justice du 30 août, ratifiant les réformes constitutionnelles. C’est arrivé le même jour qu’une autre résolution, de la chambre Constitutionnelle de la Cour, ratifiant le régime de coexistence familiale - équivalent à la liberté conditionnelle - pour le prisonnier Arnoldo Aleman. Le Président Bolaños a refusé d’appliquer ce qui était prévu par la Cour. Il a continué à affirmer que les réformes ont été déclarées non viables par la Cour d’Amérique centrale et il a maintenu Aleman isolé dans une pièce, gardée par quelque 30 policiers, et sans recevoir de visites. A été entamée une période d’attente du PLCFSLN pour que Bolaños réfléchisse et obéisse à la Cour Suprême. Ces « attentes » incluent toujours de nouvelles négociations sous les mêmes tables.

Comme Bolaños n’a pas cédé, nous arrivons à un nouveau point crucial, correspondant à ce mois. Le 22 septembre, les 43 députés libéraux et les 38 députés sandinistes ont repris au Parlement les procédures de destitutions des ministres de Bolaños accusés d’infractions électorales. Les deux premiers à qui on a retiré l’immunité sont le Ministre du Gouvernement Julio Vega et le Vice-ministre d’Agriculture Mario Salvo, étroits collaborateurs du Président.

Presqu’à la même heure, et par une résolution de magistrats libéraux du Tribunal d’Appels de Managua, on a ordonné au Système Pénitentiaire de lever la détention par laquelle Bolaños maintenait isolé Aleman. Le Tribunal signifiait au prisonnier sa liberté conditionnelle : il pourrait librement circuler dans tout Managua. Et comme sa peine de 20 ans de prison pour des infractions de corruption n’est pas encore passée en première instance - elle n’est pas "ferme" -, Aleman circulerait avec tous ses droits politiques : il pourrait prendre part à des activités politiques et faire des déclarations. Libre et pouvant circuler, il pourra aussi exercer son influence dans le choix du candidat présidentiel et des députés du PLC. Et ce qui est plus triste, dans la définition de la direction de la nation.

"Principes oligarchiques"

Le premier message politique d’Aleman a été entendu le 24 septembre. Aleman a attaqué Bolaños, il a signalé qu’ "il le lui payerait" quand le PLC aura retrouvé le pouvoir et a défendu l’accord avec le FSLN avec les mêmes arguments anti-oligarchiques et pour la réconciliation nationale avec lesquels le justifient aujourd’hui "les idéologues" du FSLN. Aleman a hurlé contre Bolaños, l’ingrat et traître qui a prétendu s’emparer du parti et avoir le libéralisme soumis à des pensées réactionnaires et oligarchiques. Ils sont idiots ceux qui disent que j’ai livré le parti. Non, messieurs, la cause de la liberté et de la démocratie n’est pas à vendre.

Le libéralisme n’a fait que porter à son exposition maximum, la cohabitation, le progrès, le développement et chercher une stabilité nationale, en combattant des principes oligarchiques et aristocratiques qui veulent voir détruit le Nicaragua. Je veux leur dire que de vous, la base, dépend le triomphe total, complet et entraînant, celui que nous avons gaspillé en 2001 en choisissant, et je me suis trompé moi aussi, cette personne qui a mal gouverné le Nicaragua et nous a emmené aujourd’hui à une série d’échecs. Mais pour les élections nationales de 2006, nous saurons choisir les meilleurs... Après cette diatribe, Aleman a changé de registre.

Étrangers et enquêtes

Le gouvernement d’Enrique Bolaños s’est effondré. La stratégie de Bolaños pour mettre "fin" au conflit a deux composantes. Déléguer la gestion de la crise dans des mains étrangères avec une recherche insistante d’appui international qui lui garantisse de terminer son mandat en 2007 et qui lui fournisse des déclarations et des résolutions - hors ou in situ, in Managua- de mandataires, ambassadeurs qui répètent devant les médias l’interprétation présidentielle de la crise.

L’autre composante de la stratégie de Bolaños est la réalisation de façon persistante d’enquêtes et de sondages d’opinion publique que publient les médias et qui répètent que la population partage sa version : que la majorité est contre l’accord, contre les caudillos, contre les réformes constitutionnelles, contre la Cour Suprême. La faiblesse de cette stratégie est qu’elle révèle ce qu’on perçoit : Bolaños a perdu l’appui national et la confiance qu’il a obtenus lors des élections de 2001. Durant cette dernière année, parce qu’il est déjà sur le départ. Et parce que depuis longtemps, il est perçu comme têtu, arrogant et sans humilité, sans contrôle de la situation, et sans habilité politique face à ses adversaires plus capables. La faiblesse de cette stratégie d’enquêtes, c’est qu’elles relèvent de la tromperie : ils utilisent des questions chaque fois plus induites, à la recherche de réponses chaque fois plus prévisibles.

L’étendard de la victimisation

Cette stratégie de Bolaños confirme la plus grande de ses faiblesses comme dirigeant : il a été incapable de mobiliser la population pour soutenir sa cause. Il confirme sa vision administrative limitée de la fonction gouvernementale et sa tendance à être entouré de technocrates incapables de se mettre en rapport avec le peuple, pour le comprendre, pour apprendre de lui, pour être soutenu dans sa force. Avec une culture politique traditionnellement et majoritairement peu basée sur la légalité ou le caractère institutionnel et nourrie par les passions et les sentiments qui délient les vertus et les défauts personnels des politiciens, Bolaños pourrait seulement récupérer un certain prestige si, par exemple, il renonçait à son immunité et se risquait à se présenter devant les tribunaux.

Il donnerait ainsi un exemple de hardiesse plausible, nous permettrait de connaître plus en profondeur l’origine des ressources utilisées dans sa campagne électorale et, peut être s’avérerait plus convaincant dans sa dénonciation de l’accord, de ceux qui l’ont signé et des réformes constitutionnelles. Le Ferait-il ? Il semble que Président Bolaños n’est pas intéressé à résoudre le conflit.

Sans fin, est brandi l’étendard de victime avec lequel il drape son incapacité jusqu’à la fin de son administration. Il se peut aussi qu’il parie sur qui doit faire la victime -"ils ne m’ont pas laissé gouverner » ce qui facilitera le triomphe électoral au successeur de ses politiques et de ses relations magnifiques avec des États Unis. À un autre gouvernant. À un Montealegre.

Etrange mission spéciale

Bolaños a reçu l’appui international, le 6 septembre, des présidents d’Amérique centrale. Le 9 septembre ce fut l’OEA qui dans une résolution approuvée à l’unanimité a appelé le PLC, le FSLN et au Gouvernement du Nicaragua à mener un dialogue large et constructif, libre de pressions et menaces. Le 11 septembre Bolaños et Daniel Ortega se sont réunis en privé. Résultat public : Ortega a annoncé que, pour faciliter le retour au dialogue du gouvernement, les procédures de destitution du Président et de six de ses ministres accusés depuis 2003 d’infractions électorales étaient suspendues.

Le jour suivant, au Costa Rica, Bolaños se félicite de sa sagacité : Je vais gagner, les signataires de l’accord sont dans la débandade. Deux jours plus tard, il a traité de sangsues les sandinistes.

Et la fonction est retournée dans le théâtre déprimant politique nicaraguayen, qui a tellement besoin de chefs avec une capacité politique et une stature morale qu’exige le moment que vit notre pays. Au nom de l’OEA, le délégué de l’organisme régional pour la crise interminable, Dante Caputo, a alors demandé que s’arrêtent les prochaines quatre destitutions pour ne pas jeter davantage d’huile sur le feu. Et il a rencontré Arnoldo Aleman pour arrêter l’incendie dans le camp libéral. Ce qui n’a servi à rien.

Le 28 septembre, libéraux et sandinistes destituaient à l’Assemblée Nationale les autres quatre ministres. La Présidence l’a considéré comme un coup d’État et, avant que les ministres destitués soient notifiés au juge, Bolaños a pris avant une décision étrange : il a annoncé avec solennité qu’il les envoyait à Washington avec la "mission spéciale" de remettre une plainte pour violation des droits de l’homme devant la Commission Interaméricaine de Droits Humains (CIDH), instance de l’OEA. Mission bizarre, parce que devant la CIDH ce sont les citoyens qui dénoncent les États - dans ce cas, les demandeurs étaient des ministres d’État - et ils le font quand ils ont seulement épuisé toutes les instances de la justice nationale, et dans ce cas la procédure n’était pas entamée.

Solutions à la salomon

La stratégie de l’OEA pour mettre "fin" au conflit s’est profilée après des frustrations continues que la diplomatie n’a pas cherché à dissimuler. Une lettre du 29 septembre, envoyée par Insulza à Bolaños et aux Présidents des Pouvoirs Législatif, Judiciaire et Électoral, présente un ensemble d’idées pour arrêter l’escalade. Il suggère que le gouvernement de Bolaños puisse finir son mandat, que l’application des réformes constitutionnelles - origine du scandale dans le conflit - restent en suspens jusqu’à la nouvelle période présidentielle et qu’on arrive à des accords de réconciliation politique, incluant de ne pas innover ni aggraver la situation procédurale et pénitentiaire de fonctionnaires ou dirigeants politiques.

L’OEA, en effet, semble vouloir collaborer pour mettre fin à la crise. Ce serait une victoire importante pour l’organisme régional. Sa proposition sonne comme un jugement de Salomon : que Bolaños termine son mandat, que les réformes ne soient pas mises en œuvre, et qu’on ne touche pas à ses fonctionnaires. Et d’autre part, que les réformes soient maintenues si elles correspondent à une expression de la volonté populaire, garantie par le vote des différentes forces politiques. L’OEA n’insiste pas sur un referendum sur les réformes, ce qui est une demande persistante de Bolaños. Et il propose qu’on ne touche pas plus à Aleman, en disant qu’on n’innove pas, ni aggrave la situation pénitentiaire des dirigeants politiques, une allusion directe à Aleman, seul dirigeant en "situation pénitentiaire".

La "réconciliation" que suggère Insulza fait-elle allusion implicitement à une amnistie accordée à Aleman ? Y a-t-il un sens que le Nicaragua cherche à l’étranger des solutions pour cette crise ? Les agendas institutionnels d’organismes comme l’OEA ne sont pas nécessairement conformes avec ceux d’un pays comme le Nicaragua et ce qui pour l’OEA peut être une solution, pour le Nicaragua pourrait être la réaffirmation et la complication des problèmes qui ont été à l’origine du conflit.

Daniel Ortega : Ici c’est moi qui commande !

Pendant la crise sans fin, Daniel Ortega a exhibé un contrôle chaque fois plus grand de ses oscillations continues. Dans la rue on entend : "c’est lui qui commande le pays". Un jour, Ortega apparaît "en pardonnant la vie" à Bolaños et en assurant qu’on ne va pas lui retirer l’immunité. Et le suivant, il menace qu’il sera destitué. Dans le cas des infractions électorales - pour lesquelles les enquêtes portent sur Bolaños, 32 libéraux ou alliés du PLC dans les élections de 2001ont été signalés, parmi eux, 18 - à leur tête Bolaños - comme "auteurs", autres 9 comme "couvrant les faits" et autres 5 comme "complices".

Ce mois-ci, tous, avec leurs noms et noms de famille, et jusqu’en montrant leurs photos, ont été publiquement menacés par Ortega. Une façon de leur signaler que bien que l’accord FSLN-PLC ait retenu seulement 7 d’entre eux pour faire des recherches, c’est en définitive Ortega qui contrôle cette affaire dans les tribunaux. Ortega continue à s’exhiber comme gardien de prison d’Aleman. Ce mois -ci a permis qu’on lui donne la liberté conditionnelle, pour ainsi enlever la pression qu’exercent les Etats-Unis sur le prisonnier et lui permettre de déplacer plus librement les pions du PLC. Mais, le jour suivant il a rappelé - par le biais de ses magistrats - qu’il pourrait être emprisonné à nouveau à tout moment. Tant que la sentence d’Aleman ne sera pas ferme - et cela dépend des magistrats sandinistes - Ortega a la clé de sa prison. Seulement une amnistie pourrait lui enlever des mains cette clé.

User use

Daniel Ortega apparaît sûr et triomphant. Sa stratégie n’est pas d’écarter Bolaños, c’est de le maintenir sur la défensive, commettant des erreurs qui démontrent ses limites. C’est d’apparaître devant l’opinion publique nationale et devant ses bases comme l’homme d’Etat qui offre des solutions - au problème du transport, à l’approvisionnement du pétrole, au dialogue national -, l’homme avec lequel il faut compter. Et effectivement, il faut compter avec lui parce que les structures du FSLN et les consciences de beaucoup de sandinistes lui appartiennent. Sa stratégie pré-électorale, est de façonner, depuis cette image de toute-puissance, sa prochaine victoire dans les urnes.

À trois occasions, Ortega a proposé d’avancer les élections de novembre 2006. Ce mois-ci, il a proposé de les avancer de huit mois, pour les réunir avec les élections régionales des Caraïbes (5 mars 2006). La machine du FSLN est, certainement, la seule qui est aujourd’hui déjà prête pour les élections. La faiblesse de cette stratégie, c’est que cette machine peut commencer à avoir des failles, précisément parce qu’une exposition si constante du pouvoir, pour s’affirmer en usant les autres, peut finir par user le stratège. De plus en plus de secteurs le considèrent comme une provocation, une moquerie et une menace. Il y a un dégoût. Une indigestion : ainsi l’appelle Herty Lewites.

Aussi, cela use la participation croissante et l’influence politico-ésotérique qu’exerce déjà son épouse Rosario Murillo sur toutes les structures du FSLN. Ce qui use plus cette stratégie, c’est que dans chacun des pas de Daniel Ortega, on voit l’accord, la relation déshonorante et étroite avec Aleman et les siens, lien auquel est très sensible la base sandiniste. Daniel Ortega ne souhaite pas mettre fin au conflit. Le rendre interminable lui permet de faire la promotion de sa candidature et lui permet différentes négociations avec le PLC, et aussi avec Bolaños, toujours au bord des abîmes que lui-même a construits et ne cesse d’approfondir.

Garza vole, Trivell parle, Burton rassemble

Pendant la crise sans fin, le Président Bolaños a sollicité l’appui continu du gouvernement des Etats-Unis. Et il l’a reçu largement. Après la "mission spéciale" ratée d’Oliver Garza pour faire des offres à Aleman, presser le PLC de défaire l’accord avec le FSLN et de s’unifier électoralement à l’antisandinisme, l’escalade des interventions américaines n’a pas cessé. Points de repère publics de l’escalade : le 9 septembre le nouvel ambassadeur, Paul Trivelli, a présenté ses lettres de créance. Ses premières déclarations ont été pour signaler que la destitution du Président Bolaños serait une catastrophe internationale et pour rappeler les douteuses lettres de créances démocratiques de Daniel Ortega.

Les destitutions consommées, Trivelli a conduit, dans un Espagnol désastreux, dans un langage en rien diplomatique : le « sansvergognemètre » politique -a-t-il dit- en se référant aux décisions du Parlement et de la Cour Suprême - qui a atteint des sommets jamais vus. Quelques jours avant les destitutions, le congressiste républicain Dan Burton s’est rendu au Nicaragua avec trois objectifs : discuter de la destruction des missiles Sam-7 et du TLC, faire pression sur le PLC et critiquer à nouveau Ortega : Il serait difficile d’avoir une relation de coopération avec son gouvernement. Le 28 septembre, un groupe de la Chambre de Représentants des Etats-Unis a approuvé une résolution demandant au gouvernement Bush de soutenir activement la démocratie au Nicaragua.

Maladresses en chaîne

Les Etats-Unis sont impatients. Ce mélange d’impatience avec son arrogance impériale, le Nicaragua est offensé par sa maladresse et son insolence. La stratégie des Etats-Unis au Nicaragua vise depuis 1990 la destruction du FSLN. Ils ne l’obtiennent pas. Après la visite à Managua en 2003 de Colin Powell - qui a conseillé à Bolaños de casser toute alliance avec le FSLN et d’être l’artisan de cet anéantissement -, en lui donnant la mission de « desarnoldiser » le PLC, Bolaños est allé aussi d’échec en échec et la crise institutionnelle a connu l’escalade.

Depuis lors, les Etats-Unis ont choisi de qualifier Ortega et Aleman comme des pièces d’un "passé désuet", faisant l’hypothèse que le langage de la disqualification résoudrait la crise. Mais seulement il l’a accentuée et il a renforcé l’accord entre les deux caudillos victimes. Le rejet de Daniel Ortega est historique, idéologique, une relique de la guerre des années 80, et aujourd’hui revient la terreur qu’Ortega retourne au gouvernement.

Avec Aleman, ils ont été différents : Les Etats-Unis et Bolaños ont essayé maintes et maintes fois durant ces années d’arriver à des compromis avec lui, en lui garantissant le pardon et l’absence de mémoire et un exil doré, en échange de quoi il quittait le PLC et la politique. Ceci n’a fait qu’accentuer la crise.

Zoellick : nothing with Aleman

Ce mois ci les Etats-Unis se sont redéfinis. Le 5 octobre est arrivé à Managua le Sous-secrétaire d’État des Etats-Unis, Robert Zoellick. Le haut fonctionnaire est venu, comme Bolaños le lui a demandé, pour approuver l’interprétation que le gouvernement a de la crise institutionnelle. Il est venu aussi pour menacer : si le conflit continuait, le Nicaragua perdrait quelque 170 millions de dollars que le gouvernement Bush lui a assignés dans son projet "Compte du Millénaire".

L’essentiel de la mission de Zoellick a été d’expliciter brutalement la stratégie du gouvernement Bush pour résoudre de façon électorale le conflit : appui politique, et aussi financier, ce qu’on appelle la troisième voie - a ainsi étiqueté le projet des pré-candidats libéraux no-alemanistas Eduardo Montealegre et José Antonio Alvarado. Et, le plus significatif : le rejet absolu d’Arnoldo Aleman. Mots clefs de Zoellick : Il n’y a pas une transaction, il n’y a pas accord avec Aleman. C’est un délinquant, il y a de la corruption dans son passé. Sa famille et lui ne sont pas des bienvenus aux Etats-Unis et nous allons nous assurer qu’ils ne sont pas les bienvenus ailleurs. Je veux qu’il n’y ait aucun doute pour personne : les Etats-Unis ne vont parvenir à aucun accord avec Monsieur Aleman, le corrompu. Nous traduisons, dans les mots de Zoellick, délinquant et non criminel pour qualifier ce personnage, même si "criminel" fut le mot le plus entendu lors de presse et celui qui est apparu dans les titres des journaux.

Il n’y a pas doute qu’Aleman est un délinquant : il a volé, il a volé le peuple, il s’est approprié des ressources publiques pour son bénéfice personnel. Et cela est un crime. Mais le traducteur qui accompagnait Zoellick a accentué les choses en traduisant l’adjectif criminel - qui en Anglais est indistinctement appliqué à toute infraction ou à violation de la loi, bien que ce soit le vol d’un porte monnaie -, par l’adjectif criminel, qui entre nous et dans notre langue sent le sang. C’est une erreur dans laquelle on tombe très fréquemment en traduisant de l’Anglais à l’Espagnol. Cette erreur a rendu plus brut le langage de Zoellick et plus lourde l’offense à Aleman.

Le PLC a répondu dans un communiqué chargé de rhétorique : Zoellick a manqué à tout droit et aux plus triviales notions de courtoisie internationale et il nous a infligé, à nous Nicaraguayens un outrage, un fait scandaleux et inouï. Ils dénoncent le Président Bolaños pour ses intrigues qui ont transformées les vrais faits pour que le Gouvernement de Washington voie les choses à travers le prisme de la passion. En conclusion, ils demandent que tombe sur ces traîtres, le traitement arbitraire de l’Histoire et l’anathème des peuples libres.

Territoire bien marqué

Bandons et anathèmes de côté, traductions plus précises que d’autres, la réalité est que Robert Zoellick est venu marquer le territoire. Ce fut un avertissement brutal pour tous les politiciens libéraux qui fricotaient à nouveau avec Aleman. Et particulièrement à la grande entreprise privée nicaraguayenne, qui reste encore indécise devant la scène électorale "à quatre bandes" qui est présentée comme la plus prévisible dans ce pays de d’imprévisibles. Elle ne sait pas encore, la grande entreprise, sur quel numéro parier.

Cela les intéresse que Herty Lewites soit dans la compétition, mais seulement parce que sa popularité leur garantit la division du vote sandiniste. Ils ne l’approuvent pas. Ils savent que Lewites est sandiniste. Craignent-ils ce que la justice sociale et la souveraineté nationale puisse annoncer ce "sauvetage du sandinisme", habitué à la corruption et au manque de principes que représente le danielisme, que ne les met pas en cause et avec qu’ils négocient aussi ?

Et bien que les intéresse l’unité du vote antisandiniste, comme une voie sûre pour mettre en échec Daniel Ortega, ils ont compris pendant ce conflit interminable qu’il n’est pas facile de remplacer la direction d’Aleman au PLC et ils reconnaissent aussi que le PLC dispose d’une machine électorale rodée, organisée et d’une expérience prouvée.

La grande entreprise privée plaidait publiquement ces dernières semaines pour l’amnistie d’Aleman, au nom "de la réconciliation nationale". Et ils étaient déjà prêts à négocier avec lui les listes de candidats à des sièges de députés et à des portefeuilles ministériels. Maintenant, avec son visage "de tueur en série" et avec des mots désincarnés, Zoellick leur signale que cela ne se produira pas par ce chemin. Après le brutal avertissement de Zoellick, et avec quelque trente fonctionnaires, dirigeants politiques, familiers et proches d’Aleman punis par les Etats-Unis par l’annulation du visa d’entrée dans ce pays, le PLC va commencer à s’égrainer et la seule stratégie qui restera à Aleman et à ses plus proches sera de rester alliés au FSLN.

Jusqu’à quand ? L’accord avec Ortega garantit à Aleman la liberté définitive "par manque de preuves" - beaucoup plus acceptable que l’amnistie - et la survie d’ici aux élections. Et ce qui est principal : il lui garantit que, avec le nombre de députés qu’obtiendra le PLC aux élections, ajouté à ceux obtenus par Ortega, ils peuvent, ensemble sur les bancs des deux bandes, continuer à avoir la majorité à l’Assemblée et ainsi, continuer à gérer depuis le Parlement comme jusqu’à présent, avec les réformes constitutionnelles pactisées et on verra qui gagne la Présidence.

Ce qui fait le plus mal

Telle que se présente la direction de la crise, ce conflit sans fin n’aura pas fini avant les élections de novembre 2006. Aussi il pourrait arriver que cela ne soit pas après les élections. Il faut envisager cette éventualité. Beaucoup de gens aujourd’hui au Nicaragua imaginent la fin de cette crise avec des solutions radicales, dont une intervention de l’Armée du Nicaragua - l’institution qui dans cette pagaille paraît la plus solide et la plus indépendante -, qui ferme les institutions et fait "qu’ils s’en aillent tous". Une fin surréaliste.

D’autres assurent que la fin du conflit viendra du peuple lui-même, fatigué du désordre, en se montrant massivement dans les rues. Ainsi s’est exprimé, par exemple, le représentant du Nicaragua devant l’OEA, dans un excès de volontarisme rhétorique quand il a proposé : La citoyenneté peut être mobilisée et fermer l’Assemblée Nationale. Une fin très peu probable. Parce que la réalité est que le conflit institutionnel et l’accord ne sont pas sentis comme les problèmes qui préoccupent plus, occupent et font mal à la population. Les problèmes dont souffrent le plus au Nicaragua sont le chômage, la faim et - le plus occulte que tous - la violence et l’indifférence dans les foyers.

Il est temps d’apprendre

Le pont que tous nous voulons construire depuis aujourd’hui jusqu’aux élections de novembre de l’année prochaine se montre fragile et la composition partisane du jeu électoral l’annonce incertain et cassant.
La possibilité que les candidats qui peuvent mettre en danger l’accord PLC-FSLN soient inhibés crée une instabilité pour qui construit le pont. Toutefois, la principale instabilité vient du gouvernement des Etats-Unis en intervenant dorénavant dans cette construction avec le seul objectif d’éviter l’arrivée au gouvernement de Daniel Ortega. Ils ne vont pas faiblir dans la promotion d’une "grande alliance nationale" contre Ortega. Et on ne peut écarter ceux qui essayent d’affaiblir la nature du mouvement que dirige Lewites pour s’assurer le trophée de cette défaite. Tout peut être attendu d’un pays qui mérite bien le nom dont Gore Vidal l’a baptisé : Les Etats-Unis d’Amnésie. Les Etats-Unis n’apprennent pas de leurs erreurs parce qu’ils dédaignent l’histoire. Leur foi dans la force de leur pouvoir les fait commencer toujours de nouveau chaque fois qu’ils font face à un problème. Le Nicaragua a payé l’immense coût pour avoir été toujours dans le radar de l’attention américaine et par l’incapacité de Washington à comprendre que les interventions étrangères - armées ou les politiques - dans les affaires internes d’autres nations provoquent seulement davantage d’instabilité.

Un pont de souveraineté

S’ils n’apprennent pas, nous apprenons une leçon de base dans la construction de tout pont qui nous garantit une fin quelconque à cette crise : il n’y aura pas démocratie sans souveraineté. La souveraineté est un container qui permet que les forces politiques qui combattent pour le pouvoir atteignent un équilibre. Cet équilibre est une condition préalable pour la consolidation de la démocratie. La souveraineté limite les ressources de ceux qui peuvent accéder aux acteurs politiques qui se disputent le contrôle de l’État.

Cette limite les oblige à chercher des accords et des négociations nationales. Mais quand un acteur international comme les Etats-Unis fait irruption dans la scène politique d’un pays comme le Nicaragua, cela élimine la possibilité du consensus national nécessaire pour qu’on consolide un ordre démocratique. Cela produit seulement de l’instabilité et réaffirme la culture politique, qui a historiquement poussé à nos chefs à faire de la politique au Nicaragua mais avec les yeux vers l’ambassade américaine et avec l’espoir à Washington. Si les activités irrespectueuses et irresponsables des Américains continuent en escalade pendant l’année électorale, et si la classe politique et la population ne réagissent pas de façon adéquate devant elles, il sera très difficile que le pont qui nous emmène d’aujourd’hui jusqu’aux élections ait un minimum de solidité pour que nous le traversions.

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