Accueil > Notre Amérique > Terrorisme d’Etat > Argentine > Musée d’Horreurs de l’Humanité : Emilio Eduardo Massera
par
Toutes les versions de cet article : [Español] [français]
Il a fait peindre – sur les murs de Mar del Plata, par exemple – des légendes /slogans d’un cynisme mémorable : « Gagner la paix », disait l’une. L’autre était pire : « L’amour vainc ». Galimberti, qui le connaissait bien, disait : « Quand Massera veut parler à quelqu’un, il le séquestre ». Depuis la gégène il pensait arriver au pouvoir absolu. Il avait le look et le sourire comme pour s’imaginer en nouveau Perón. Il était un mégalomane délirant. Pendant le procès à la Junte, provocant, il a dit à l’audience, aux juges, aux journalistes, à tous : « A vous il vous reste la chronique, à moi l’Histoire ». Il avait raison. Malheureusement, Massera appartient à l’histoire de notre pays, à son histoire la plus profonde, à sa logique la plus perverse. Et plus encore. Il appartient, Massera, au grand Musée d’Horreurs de l’Humanité. Comme « le » génocide argentin, dont c’était l’un des protagonistes les plus remarquables.
Dans « Les naufragés et les rescapés », Primo Levi signale les assassins de ce pays comme des imitateurs des criminels allemands. Il dit : « leurs imitateurs en Argentine et au Chili ».Tel était Massera et tous ces capos restants du massacre : des imitateurs de Himmler, de Goering, de Hess, d’Eichmann. Massera avait raison cet après-midi devant le tribunal qui le jugeait : pas tant dans le premier sens de son affirmation (« Il vous reste la chronique »), mais oui dans le deuxième : « À moi l’Histoire ». Oui, l’Histoire lui reste. Il a été admis, de plein droit, dans l’histoire des grands massacres du XXe siècle. Et du côté des massacreurs.
Mais il y a quelque chose de plus chez l’Amiral : il ajoute la cruauté au massacre. L’ESMA – dont il était un chef absolu, un maître et seigneur de la vie et de la mort – était un camp de concentration et d’extermination. Mais, en étant un camp de collecte d’information, c’était un camp de tortures. La torture fut plus essentielle à l’ESMA qu’à Auschwitz. Le détenu qui était admis à Auschwitz, celui qui croisait cette grande porte dans laquelle il y avait une affiche qui disait « Le travail te rendra libre », allait, sans doute, mourir, tôt ou tard il aurait à mourir, mais plusieurs n’ont pas été torturés, parce qu’Auschwitz n’était pas un centre d’accumulation d’information. L’information, sa recherche, son urgente nécessité de la posséder pour attraper les autres, liés au détenu avant qu’ils ne puissent échapper, était propre à l’ESMA. L’ESMA était, en premier lieu, un centre de recherche d’information c’est-à-dire un centre de tortures. De plus, la torture faisait partie d’un schéma préfixé qui se proposait de casser le détenu. Et c’était si terrible que plusieurs, après être passé par elle, préféraient mourir avant que de revenir. Il fut, comme Dracula, un empaleur. Il a rempli de cadavres le Río de la Plata. Il a crié (à côté de Videla et Agosti et tous les supporteurs euphoriques qui débordaient du stade de River Plate) les buts de la Sélection l’Argentine, les buts de Kempes, du tueur. Avec chaque but argentin, plus de pouvoir pour Massera. Plus de pouvoir pour qu’il séquestrât, torturât, violât, interdît, lui disait au monde que c’était le pays des merveilles et qu’ici on vivait au milieu de la joie et du respect par les droits de l’homme.
Qu’il meure maintenant ne sert à rien. Tous, une fois, nous allons mourir. Massera a déjà fait dans notre histoire tout le mal qu’il pouvait faire. L’a demandé un peuple qui voulait de l’ordre et il lui a donné cet ordre. L’une des premières publicités télévisées de la Junte disait : L’Ordre, l’ordre, l’ordre, quand il y a de l’ordre le pays se construit d’haut en bas. Dans cette recherche d’ordre, toujours exigée par les argentins, il faut trouver l’explication de l’existence de monstres comme Massera. Si, aujourd’hui, quelqu’un lui souhaite l’Enfer, il se trompe. Si Massera va en Enfer, ils vont le recevoir comme à un héros. Au bout du compte, il est l’un de ses créateurs. Le créateur de l’une des figures les plus parfaites de l’Enfer, l’ESMA. Pourrions-nous alors lui souhaiter le Ciel, ce lieu où un Dieu juste lui signalerait ses fautes ? Il se peut, cependant, que le Ciel et ce Dieu juste n’existent pas. Comment auraient-ils existé si Massera a existé ?
Página 12 . Buenos Aires, le 9 novembre 2010.
Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi