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9 septembre 2003

Medellin : la vie sous l’occupation

 

"J’ai copié des Israéliens le concept des forces paramilitaires"
Carlos Castaño, leader des paramilitaires,
Autodéfenses Unies de Colombie (AUC)

Par Forrest Hylton
Znet, 23-03-03.

Il y a cinq mois, le Président colombien Álvaro Uribe lançait l’Opération Orion, dans laquelle une task force de 3.000 hommes, combinant militaires, policiers et services de renseignement, intervenait, avec tanks et hélicoptères de combat, dans la Comuna 13, une zone de Medellin de 100.000 habitants sur la colline centre-occidentale de la ville, afin de "nettoyer" le secteur des "subversifs". Comme prévu, la "cible" - essentiellement les quartiers 20 de Julio, las Independencias, Belencito, Corazón et El Salado - est maintenant sous le joug des paramilitaires, les Autodéfenses Unies de Colombie.

A la fin 2002, le Président Uribe a entamé des "négociations de paix" avec les chefs des AUC qui mèneront très probablement à la légalisation du paramilitarisme sur le modèle des CONVIVIRs dont le protagonisme marqua le mandat d’Uribe en tant que gouverneur du département d’Antioquia (1995-97) [dont Medellin est la capitale] - mais plusieurs fractions régionales des paramilitaires, dont les Bloque Metro et Cacique Nutibarra de Medellin ont opté pour rester hors de ces dialogues, peut-être en raison des conditions contre le narcotrafic, dans lequel les paramilitaires sont profondément impliqués. Jusqu’ici, le levier d’action de l’Opération Orion, la quatrième brigade de l’armée, n’a encore rien fait contre les paramilitaires dans la Comuna 13, ce qui est guère surprenant puisque les deux forces ont fonctionné main dans la main dans cette zone - ainsi que dans le reste de la ville - depuis plusieurs années.

Avant la mi-octobre, la majeure partie de la Comuna 13 était contrôlée par trois "milices urbaines révolutionnaires" : les FARC, l’ELN, et les CAP (Commandos armés populaires). La génération de ces milices a surgi au milieu des années 80 après l’échec du processus de paix entre le Président Belisario Betancour et les FARC, l’EPL (maoïste), et le M-19 (populiste-national). Dans la Comuna 13, la troisième génération des miliciens s’est composée de jeunes du voisinage, d’occasionnels étudiants d’université, et d’une poignée de vétérans de la seconde génération qui ont survécu aux guerres de Medellín des années 90. Bien qu’ils aient prétendu favoriser un renversement de l’Etat colombien et l’établissement d’un système économique, politique plus équitable et plus démocratique, les méthodes des milices ont bien souvent été répréhensibles : kidnapping, extorsion, chantage et meurtre.

Pourtant, à côté de ces milices (milices qui, il faut le dire, ont maintenu les paramilitaires hors de la Comuna 13 pendant plus d’une année), et avec les ressources limitées et l’accès minimal à l’emploi ou à l’éducation, les communautés ont lutté pour établir une vie communautaire pour elles-mêmes. Cela, elles l’ont fait par l’organisation et la coopération face à la violence constante, aux menaces, et aux harcèlements de la police, des militaires, et des forces paramilitaires. Dans la Comuna 13, les gens ont construits leurs routes, écoles, cliniques, centres pour retraités et pour jeunes avec leurs propres mains et leur propre argent, ils se sont battus pour avoir des égouts, l’eau potable et l’électricité.

L’Etat et les paramilitaires, qui détestent une telle organisation communautaire indépendante autant que les milices "révolutionnaires", sont apparus après 1999. Des paramilitaires avaient déplacé une minorité considérable de résidents de la Comuna 13 de la campagne dans la région d’Urabá dans les années 80 et 90, dont bon nombre d’entre eux sont afro-Colombiens. Tous sont arrivés dans la Comuna 13 avec des vénérables traditions d’organisation communautaire. L’Opération Orion et l’occupation paramilitaire de la Comuna 13 qui a suivi ont cependant déplacé les déplacés.

Il y a un côté absurde et tragique dans cette répétition, mais la logique est claire. Tandis qu’une partie des déplacés est retournée à la Comuna 13 en février, des gens directement liés aux paramilitaires ont occupé la plupart des maisons laissées vides après l’Opération Orion. Les organismes de la communauté ont été infiltrés par des paramilitaires. Aux yeux des "forces de l’ordre," toute personne de la Comuna 13 qui ne collabore pas avec les AUC est un guérillero potentiel ou réel - un ennemi qui doit être éliminé.

Les homicides ont baissé de 38% pour la même période, l’an dernier, de 114 à 75. Cependant, selon un leader communautaire du quartier 20 de Julio, " ils ne tuent plus les gens dans le voisinage. Ils les emmènent plutôt en dehors de la zone pour les tuer, ce qui distord les indices de la violence dans la Comuna 13 ". On n’entend moins l’écho des tirs dans le silence de la nuit car maintenant plus de la moitié des massacres se font avec des couteaux. Les paramilitaires veulent éviter de faire les mêmes erreurs que les milices, ainsi ils ne " taxent " ni le transport public ni le petit commerce. Au lieu de cela, ils volent l’essence de la canalisation d’ECOPETROL [l’entreprise pétrolière nationale] près de San Cristobal, et, avec un prix entre 50 et 60 dollars le gallon, en vendent pour 10.000 dollars par jour. En attendant, à Saravena, Arauca, les forces spéciales états-uniennes forment une nouvelle brigade de l’armée colombienne pour protéger le pipeline d’Occidental Petroleum des sabotages de la guérilla - un programme doté d’une subvention de 94 millions de dollars de l’industrie pétrolière en Colombie, une courtoisie du Président Bush.

Maintenant que la Comuna 13 est sous le joug des paramilitaires "dissidents" du Bloque Metro et de ceux du Bloque Cacique Nutibarra, qui se sont rapprochés, une autoroute à Urabá, qui va être financée en partie avec du capital nord-américain, coupera une route secondaire par son cœur. Urabá, qui mène au port des Caraïbes de Turbo, est le cœur même de ce qui constitue la droite paramilitaire, les plantations des multinationales de la banane, les compagnies forestières et les barons de l’élevage. Via Uribe et son Goebbels, le ministre de la Justice et de l’Intérieur Fernando Londoño, ce groupe exerce actuellement le pouvoir au niveau national.

Le couloir "stratégique" d’Urabá est l’itinéraire par lequel les trafics d’armes et de drogue transitent à l’intérieur et hors de Colombie. Quelques soient les finesses légales des négociations d’Uribe avec le commandement des AUC, l’occupation paramilitaire de la Comuna 13 dans Medellín coïncide clairement avec la stratégie contre-insurrectionnelle, bien plus large, dirigée par les Etats-Unis en vue de contrôler stratégiquement le territoire, les voies de transport et les ressources. L’amplitude avec laquelle elle favorise l’accumulation primitive (de par les méthodes employées) du capital, ne fait aucun doute.

Où les déplacés de la Comuna 13 se sont-ils réfugiés ? La campagne, où 82% de la population est pauvre et où la guerre est bien plus implacable que dans Medellín, n’est pas une option, ainsi beaucoup, particulièrement les miliciens, se sont repliés sur une pente allant vers la crête d’une zone d’émeraudes de l’autre côté du corridor allant de Guarne vers les municipalités de l’est où les FARC et l’ELN ont une fort présence : Santa Ana, San Luis et Grenade. Les services de renseignement militaires allèguent que le 34ème Front des FARC et le Front Carlos Alirio Buitrago de l’ELN ont envoyé des renforts à l’est pour protéger le couloir hors de la ville à tout prix.

La guerre entre les FARC, l’ELN, les milices et les paramilitaires, les Bloques Metro et Cacique Nutibarra, a transformé le secteur du nord-est en le plus violent de la ville. Selon la police, il y a eu 133 homicides cette année ; dans le seul quartier de Robledo il y en a eu 54. C’est une question de temps avant qu’il y ait "un, deux, trois, beaucoup d’opérations comme Orion pour préparer le terrain à l’occupation paramilitaire du nord-est de Medellín. C’est ainsi comme va la vie au paradis paramilitaire.

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