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17 juillet 2010

Marines débarquent en Costa Rica.

par Atilio A. Boron *

 

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Avec les votes majoritaires du Parti de Libération Nationale (PLN), le Mouvement Libertaire et le député évangélique du parti Renovation Costaricienne, Justo Orozco, le 1 Juillet dernier le Congrès du Costa Rica a autorisé l’entrée dans ce pays de 46 bâtiments de guerre de la Marine des États-Unis, 200 hélicoptères et avions de combat, et 7.000 Marines. La multiplicité de versions opposées ne permet pas de voir clairement l’origine de cette décision, la maigre évidence disponible semblerait signaler que ce fut Washington qui a sollicité l’introduction des troupes. Le silence de la presse des États-Unis sur le sujet est extrêmement étonnant de même l’absence de toute référence explicite à cette autorisation dans les bulletins quotidiens de presse du Départements d’État et de la Défense, voila donc ce qui nourrit le soupçon de ce que ce fut la Maison Blanche qui a pris l’initiative favorablement accueillie par le Congrès costaricien et qui a exigé la plus grande discrétion. Ce qui fut communiqué au pays d’Amérique centrale c’était que la situation existante au Mexique avait forcé les cartels de la drogue à modifier leurs routes traditionnelles d’approche et d’entrée aux États-Unis et que, pour déranger cette manœuvre, il était nécessaire de garantir le déploiement d’un contingent solide de forces militaires dans l’isthme de l’Amérique centrale, la condition sine qua non pour livrer une bataille réelle contre le trafic de stupéfiants. Comme il était prévisible, le gouvernement de la Présidente Laura Chinchilla - étroitement liée depuis depuis de longues années avec l’USAID, rien de moins - a offert tout son appui et celui de ses parlementaires pour répondre d’une manière obéissante à la requête de Washington.

Personne n’est surpris de cet appel au prétexte du trafic de stupéfiants puisque c’est celui qu’ utilise en général Washington - faute de mieux, comme celui offert par le tremblement de terre à... Haïti - pour justifier l’intrusion du personnel militaire américain dans les pays de Notre Amérique. Cependant, joue contre la crédibilité de cet argument, le fait que ce sont précisément les pays caractérisés par une forte présence militaire des États-Unis qui se distinguent par leur production et commercialisation de narcotiques. Comme ce fut démontré dans « Le Côté Obscur de l’Empire. La Violation des droits de l’homme par les Etats-Unis », des sources sans objection possible des Nations Unies (l’UNODOC, le Bureau de l’ONU contre la Drogue et le Crime) démontrent par des statistiques écrasantes que depuis que les troupes des États-Unis se sont installées en Afghanistan de grandes avancées dans la production et l’exportation d’opium et la fabrication d’héroïne ont eu lieu, de même qu’en Colombie où la présence américaine n’a pas été un obstacle (mais tout le contraire) pour enregistrer une expansion remarquable des cultures de coca. [1]

Tout cela ne devrait causer aucune surprise, pour plusieurs raisons. L’une d’elles c’est que le pays qui s’arroge le droit de combattre le trafic de stupéfiants dans le monde entier démontre une incapacité aussi étonnante que suspecte pour faire le ménage à l’intérieur de ses frontières, depuis le fait de démonter les réseaux qui lient les mafias du narco avec les autorités, les policiers et les juges locaux et fédéraux qui rende possible le commerce de la drogue jusqu’à mettre en place une campagne minimalement significative pour limiter la dépendance et aider les drogués. Rien de surprenant, insistons-nous, d’autant plus que le trafic de stupéfiants ne cesse d’évoluer pour dépasser les 400.000 millions de dollars, annuels, qui sont ensuite convenablement « lavés » dans les nombreux paradis fiscaux que les pays principaux capitalistes ont établis tout autour de la planète (en commençant par les États-Unis et l’Europe) pour ensuite être introduits dans le système bancaire officiel et, de cette façon, renforcer les affaires du capital financier. D’autre part, la faiblesse et l’inconsistance de ce prétexte, celui de la “lutte contre le trafic de stupéfiants”, deviennent plus évidentes quand on apprend que les États-Unis sont le premier producteur mondial de marijuana, ce qui selon une étude de la Fondation Drug Science, rapporte à ce pays plus de 35.000 millions de dollars, montant qui dépasse la valeur combinée de la production de blé et de maïs. [2]

Troisième et dernier : comment sous-estimer l’importance qu’ont le contrôle et l’administration du commerce des narcotiques pour soutenir la domination impérialiste dans les provinces extérieures de l’empire ? N’était-ce pas la Grande-Bretagne qui a réintroduit l’opium en Chine (la drogue qui avait été interdite par l’empereur Yongzheng compte tenu des préjudices qu’elle occasionnait à sa population) dont la consommation massive provoquée par les britanniques a servi à équilibrer ses déficits de balance commerciale avec l’empire céleste ? Pour pousser cette dépendance des chinois, les britanniques et les portugais ont livré deux guerres, entre 1839 et 1842 et 1856 et 1860, à la suite desquelles ils ont établi deux tête de pont pour organiser le trafic de l’opium dans toute la Chine : l’une à Hong Kong, sous contrôle anglais, et l’autre à Macao, sous contrôle portugais. Pourquoi devrions-nous aujourd’hui penser que les États-Unis, fils putatif de l’empire britannique, seraient mués par d’autres intérêts quand ils déclarent, envers l’extérieur, la guerre au trafic de stupéfiants ? Cela ne semble pas conforme à ses intérêts d’avoir une Amérique Latine caractérisée par la prolifération « des états faillis » - mangés par la corruption qui génère le trafic de stupéfiants et ses séquelles : une désintégration sociale, des mafias, desparamilitaires, et catera - et incapables pou cela même d’offrir la moindre résistance aux desseins impériaux ?

La permission accordée par le Congrès du Costa Rica s’étend à six mois, à partir du 1 Juillet de l’année courante. Cependant, cette concession, qui se matérialise dans le contexte du Mérida Initial (qui comprend le Mexique et l’Amérique centrale) est un projet qui a des buts mais des non des échéances, c’est pourquoi la probabilité que les troupes américaines sortent du Costa Rica à la fin de cette année et retournent dans leurs casernes dans la métropole est quasiment nulle. De plus, l’expérience internationale apprend qu’en Europe et au Japon, les troupes stationnées par les États-Unis après la Deuxième Guerre mondiale pour quelques années, prolongées ensuite au prétexte de la Guerre Froide, sont installées déjà dans ces endroits depuis plus de 65 sans sans que leurs chefs ne donnent les moindres signes d’ennui ou le désir de rentrer à la maison. À Okinawa, le rejet généralisé de la population locale contre les occupants yankis - qui, abrités derrière leur immunité, tuent, violent et volent à leur guise - n’a pas été suffisant pour forcer le démantèlement de la base américaine. En un mot, cet incident souligne le courage et l’efficacité du gouvernement de Rafael Correa qui a obtenu le départ des troupes américaines de la base de Manta. Et au cas où il y aurait une ferveur populaire exigeant reéditer une idée aussi insolite au Costa Rica, quelques opérations criminelles du genre de celles que la CIA sait très bien monter ferait que cette demande s’inverserait instantanément, surtout avec un gouvernement comme celui de Laura Chinchilla qui meurt d’envie de démontrer sa soumission inconditionnelle aux dictées de l’empire.

Aussi comme l’établit le Traité Obama-Uribe par lequel la Colombie cède initialement l’usage de sept bases militaires aux États-Unis, dans le cas qui nous occupe le personnel militaire de ce pays jouira d’une immunité totale devant la justice costaricienne, et ses membres pourront entrer et sortir du Costa Rica comme ils le souhaitent, circuler sur tout le territoire national en uniformes et en portant leurs équipements et armements de combat. Avec cette décision la souveraineté du Costa Rica n’est pas seulement humiliée mais atteint les limites du ridicule pour un pays, qui en 1948, a aboli ses forces armées et qui, en grand partie grâce à cela, a pu développer une politique sociale avancée dans le contexte régional déprimant de l’Amérique centrale parce que le gendarme oligarchique avait été débandé. En matière d’armement, l’autorisation du Congrès permet l’admission de garde-côtes et de petits navires mais aussi d’ autres comme le porte-avions de dernière génération MakinIsland, lancé en août 2006 et doté de la capacité d’héberger 102 employés et 1.449 soldats d’infanterie navale, en pouvant transporter 42 hélicoptères CH-46, cinq avions AV-8B Harrier et six hélicoptères Blackhawks. En dehors de cela la législation approuvée étend sa permission à des navires comme l’USS Freedom, lancé en 2008, ayant la capacité de combattre des sous-marins et de pénétrer dans des eaux peu profondes. La permission s’étend aussi à d’autres navires, type catamaran, un navire hôpital et des différents véhicules de reconnaissance ayant la capacité d’être transportés par mer et par terre. Des armements et des équipements qui , en résumé, servent peu ou pas pour combattre le trafic de stupéfiants, dans le cas douteux où telle serait la volonté des occupants. Il est plus qu’évident que leur objectif est autre.

Cette initiative du gouvernement américain doit être située dans un contexte de militarisation croissante de la politique extérieure des États-Unis, dont les expressions plus importantes dans le cadre latino-américain ont été, jusqu’à présent, la réactivation de la Quatrième Flotte, la signature du traité Obama-Uribe, l’ occupation militaire de fait de Haïti, la construction du mur de la honte entre le Mexique et les États-Unis, le coup d’État au Honduras et la légitimation postérieure de la fraude électorale qui a élevé Porfirio Lobo à la présidence, la concession de nouvelles bases militaires par le gouvernement réactionnaire du Panama, à tout cela s’ ajoute maintenant le débarquement des soldats d’infanterie navale au Costa Rica. Bien sûr, tout le précédent articulé avec le maintien du blocus et la poursuite à la Révolution Cubaine et le harcèlement permanent du Venezuela, de la Bolivie et de l’Équateur. Sur le plan international le débarquement des soldats d’infanterie navale américains au Costa Rica doit être interprété dans le cadre de la guerre imminente contre l’Iran et la provocation grotesque en Corée du Nord, dont les très graves conséquences ont été il y a longtemps soulignées par le Commandant Fidel Castro Ruz dans ses Réflexions.

En conclusion, l’empire avance dans la militarisation de la région et dans les préparations pour une aventure militaire d’ampleur globale. Si l’agression de l’Iran venait finalement à être consommée, comme l’ autorisent à le prévoir les préparatifs vus ces derniers jours, la très grave situation internationale qui en découlerait pousserait les États-Unis à essayer de garantir à tout prix le contrôle absolu et sans fissures de ce que ses stratèges géopolitiques appellent la grande île américaine, un énorme continent qui s’étend de l’Alaska à la Terre du Feu, séparé autant de la masse terrestre eurasiatique que de l’Afrique et qui occupe selon ceux-ci un rôle fondamental pour la sécurité nationale américaine. C’est la raison du fond pour laquelle on a vu se mettre en place, de façon préventive, la militarisation démesurée de la politique extérieure américaine. Il est ridicule de chercher à convaincre nos peuples que la vingtaine de bases militaires établies en Amérique Centrale, du Sud et aux Caraïbes, aux quelles s’ajoute maintenant le débarquement au Costa Rica, et l’activation de la Quatrième Flotte ont comme objet de lutter contre le trafic de stupéfiants. Comment apprend-il l’expérience, ce dernier qu’on ne combat pas par une stratégie militaire mais avec une politique sociale que les États-Unisn n’appliquent pas dans ses frontières ni permet que l’on fasse dehors grâce à l’énorme influence que le FMI et le Banque mondiale ont sur des pays vulnérables et endettés ? L’expérience d’abord de la Colombie et maintenant du Mexique (avec ses plus de 26.000 morts depuis que le président Felipe Calderon déclarait sa « guerre au trafic de stupéfiants » !) témoigne que la solution au problème ne passe pas par les soldats d’infanterie navale, porte-avions, sous-marins et hélicoptères armés mais par la création d’une société juste et solidaire, quelque chose qui est incompatible avec la logique du capitalisme et répugnant pour les intérêts fondamentaux de l’empire. En résumé : le débarquement des soldats d’infanterie navale au Costa Rica a comme objet de renforcer la domination américaine dans la région, de renverser par diverses méthodes les gouvernements considérés « ennemis » (Cuba, Venezuela, Bolivie et Équateur), d’affaiblir encore plus les gouvernements ambivalents et vacillants « d’un centre - gauche » et de renforcer la droite qui est devenue forte sur le littoral du Pacifique (Chili, Pérou, Colombie, Panama, Costa Rica, Honduras et Mexique), en réarrangeant de cette façon la « cour arrière » de l’empire pour ainsi avoir les mains libres et l’arrière-garde assurée pour réaffirmer la domination impériale en faisant la guerre dans d’autres latitudes.

Argentine, 16 Juillet 2010.

Notes :

Traduit de l’espagnol pour « El Correo  » par : Estelle et Carlos Debiasi

Notes

[1Cf. Atilio A. Boron et Andrea Vlahusic, Le Côté Obscur de l’Empire. La Violation des droits de l’homme par les États-Unis (le Buenos Aires : Des éditions Luxemburg, 2009), pg. 73.

[2Cf. El Lado Oscuro, op. Cit. , p. 72.

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