Accueil > Les Cousins > Brésil > Lula : maintenant ou jamais
Par Patrick Piro
Métamorphosé en gagneur, le mythique candidat du Parti des travailleurs semble enfin en passe d’être élu Président. Mais pourrait-il mener une politique de gauche, alors qu’il est lié par des alliances à droite et une économie sous contrôle du FMI ?
Luiz Inácio da Silva, dit « Lula », pourrait enfin ne pas « mourir sur la plage », comme disent les Brésiliens. C’est-à-dire échouer tout près du but, pour sa quatrième et dernière tentative de conquête de la présidence du pays, après ses échecs de 1989, 1994 et 1998. Cette angoisse, qui taraudait encore ses supporters de toujours il y a un mois, s’estompe à mesure qu’approche le premier tour des élections générales le 6 octobre . Lula, candidat du Parti des travailleurs (PT, gauche), flirte désormais avec les 45 % d’intentions de vote, soit une possible élection au premier tour (seuls sont comptabilisés les bulletins exprimés). Loin derrière, José Serra, le candidat du gouvernement (PSDB, social-démocrate), stagne à 19 % des intentions, devançant à peine Anthony Garotinho (PSB, gauche populiste, 15 %) et Ciro Gomes (Front travailliste, coalition allant des communistes à la droite populiste, 11 %). Tous les sondages donnent aujourd’hui Lula largement vainqueur d’un éventuel second tour, quel que soit son adversaire. L’ancien leader charismatique des ouvriers métallos de la région de São Paulo, l’animateur radical des grandes grèves des années 1970, est donc en passe de réaliser le rêve d’une vie : accéder à la présidence, seul mandat électif pour lequel il ait jamais concouru.
Ses raisons d’y croire ? Tout d’abord, Lula a tiré les leçons de ses échecs précédents. Au Brésil, le style du candidat compte souvent plus que sa trajectoire politique, ses alliances ou son programme - ceux des quatre principaux prétendants, qui se disent tous « de gauche », divergent peu. Aussi, Lula a opéré une véritable mutation, de forme et de fond. Remisé, le genre « gaucho » qui effrayait tant les classes moyennes centristes des grandes villes. Il a troqué sa chemise à carreaux pour un costume-cravate, taille sa barbe, se montre avec sa femme, et a banni les violentes diatribes, remplacées par des discours policés. Ensuite, le programme concocté avec le PT, même s’il conserve ses credos sociaux , a gommé toute référence au socialisme. « C’est un projet de gouvernement pour un pays en crise », définit Cândido Grzybowski, de l’Institut brésilien d’analyse sociales et économiques (Ibase). Lula, qui enflammait les militants avec une rhétorique prolétarienne, vouant aux gémonies les patrons, le Fonds monétaire international (FMI) et la monstrueuse dette extérieure du pays (204 milliards de dollars), annonce désormais qu’il veut humaniser le capitalisme en vue de « l’intégration sociale » des cohortes d’exclus que compte le pays. Avec un slogan électoral creux et très « communication » : « Je veux un Brésil décent ». Lors de la grave crise financière du mois d’août, qui a mis le pays en situation très périlleuse, et à la suite du prêt salvateur de 30,4 milliards de dollars accordé par le FMI, Lula a contribué à calmer le jeu en signant avec le président Cardoso, comme les trois autres grands candidats à la présidentielle, un « pacte de stabilité » où il s’engageait à l’orthodoxie souhaitée par le Fonds en matière budgétaire et de règlement de la dette extérieure. Du jamais vu… Le « nouveau Lula », comme le décrit Horacio Lafer Piva, président de la puissante Fédération des industries de l’État de São Paulo (Fiesp), ne fait plus peur. Il est reçu avec bienveillance, au pire avec neutralité, par les milieux bancaires et d’affaires. Même le Trésor étasunien semble s’être fait à l’accession probable de Lula à la présidence.
Pour gagner, Lula a même imposé au PT une double alliance stratégique - décision qui a longtemps fait débat. Avec le petit parti libéral (PL, centre droit), en choisissant dans ses rangs son candidat à la vice-présidence, le sénateur José Alencar, un industriel influent qui a contribué à « vendre » Lula aux entrepreneurs. Et avec les évangélistes, très liés au PL. Ces puissants mouvements religieux, notamment la très riche Église universelle du royaume de Dieu, faisaient encore récemment de Lula leur bête noire. « Même au prix de ces compromis, tous les mouvements de gauche font corps derrière Lula, témoigne Cândido Grzybowski. L’occasion est historique. » Jamais Lula n’a été en si bonne posture. En tête des sondages depuis des mois, il a réussi à se tenir soigneusement à l’écart de la bagarre de chiffonniers qui a opposé ses poursuivants, confortant une image rassurante auprès d’un électorat conservateur dont la conquête lui est nécessaire.