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30 octobre 2002

Lula, entre le FMI et les sans-terre

 

Par Patrick Piro

Le Brésil s’est donné son premier président de gauche. Pour Lula, le défi est immense. Soumis aux diktats des marchés financiers, il devra satisfaire les revendications d’une population qui compte 52 millions de pauvres.

Lula sera le prochain président du Brésil, et c’est un événement historique. Même si les sondages laissaient largement prévoir sa victoire, dès le lendemain du premier tour le 7 octobre, son avènement imminent paraissait encore tellement énorme à l’heureux élu qu’il s’est senti obligé de conjurer tout mauvais sort en annonçant, à quelques jours du second tour de dimanche dernier, que seul un cataclysme similaire aux attentats du 11 septembre pouvait lui voler la victoire. Après les trois échecs de l’éternel candidat du Parti des travailleurs (PT) lors des précédents scrutins présidentiels (1989, 1994 et 1998) - les premiers au suffrage direct de l’ère post-dictature -, son arrivée au pouvoir est à la fois lourde de symboles et d’espoir. Ses partisans ont fêté la victoire dans une liesse que le pays réserve au carnaval ou aux grandes victoires sportives.

L’élection de l’ex-métallo Lula, qui prendra ses fonctions le 1er janvier 2003 pour quatre ans, c’est d’abord une revanche du peuple sur une élite brésilienne qui a fait de la présidence une chasse gardée. C’est aussi une première pour la gauche brésilienne, qui a réussi à gagner la confiance des électeurs bien au-delà des 30 % de voix que draine Lula depuis quinze ans, gagnant de très nombreuses voix dans les classes aisées. Loin de verser dans le couplet d’une « victoire des exclus », plusieurs analystes politiques brésiliens soulignent que le « virage à gauche » du Brésil, bien plus qu’idéologique, est d’abord l’expression d’une maturité politique des électeurs, qui ont voulu imposer le changement dans un pays riche mais englué dans une grave crise économique et stigmatisé par de scandaleuses injustices sociales. Les premiers contours du « nouveau pacte social » que Lula veut cimenter, pour s’attaquer à une tâche immense et très délicate.

« Il se trouve dans une situation dramatique, estime Emir Sader, politologue. La majorité de la population veut le changement, mais le capital financier dispose d’un droit de veto très fort. » Pas plus qu’une droite revancharde, la gauche radicale et l’influent Mouvement des sans-terre (MST) ne prévoient de faire de cadeaux à Lula, qui sait qu’il ne connaîtra pas d’état de grâce, même s’il a prudemment averti qu’il « ne pourrait pas tout faire tout de suite. » José Dirceu, président du PT et cheville ouvrière du succès de Lula, prévoit que 2003 sera une année de crise.

Un euphémisme.

L’économie sera une obsession de tous les moments. Première urgence, alors que Lula ne prendra ses fonctions que dans deux mois : rassurer les marchés financiers, qu’affole depuis des mois le spectre d’une cessation de paiement du pays, en fournissant dès le lendemain de son élection la composition d’une équipe gouvernementale « de transition ». Qui ne pourra verser que dans l’orthodoxie économique, au moins dans un premier temps : la marge de manoeuvre, dans ce domaine, est actuellement nulle. En août dernier, le Fonds monétaire international a accordé au Brésil un prêt de plus de 30 milliards de dollars à condition qu’il consacre, pendant quinze mois, 3,75 % de son PIB pour écluser une dette publique qui s’approche aujourd’hui des 300 milliards de dollars, soit plus de 60 % du PIB. « C’est mission impossible, tranche Emir Sader. On risque une situation à l’argentine. Je ne vois pas comment Lula pourrait ne pas renégocier, à terme, le remboursement de la dette... »

La croissance se traîne à moins de 1,5 % pour 2002. Les économistes du PT ont calculé qu’il faudrait qu’elle grimpe à 5 % pour tenir les engagements du volet social de leur programme, en particulier la multiplication par 4 en quatre ans du salaire minimum (environ 70 dollars aujourd’hui) et la création de 10 millions d’emplois. Une gageure. Un seul ballon d’oxygène, côté ressources : augmenter les exportations, pour faire rentrer des devises. Mais le Brésil n’a aucune prise sur les marchés extérieurs, et sa monnaie, le real, a perdu 40 % de sa valeur depuis le début de l’année face au dollar. « Le pays devra compter avant tout sur ses propres forces, et Lula va devoir gouverner avec le real, prévient Emir Sader. C’est-à-dire redistribuer les richesses, lancer des réformes fiscales, relancer la consommation interne, la production alimentaire, etc., autant de secteurs hors d’emprise du dollar. »

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