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16 décembre 2007

Libérer Ingrid Betancourt mais sans oublier les 4 millions de déplacés.

 

Par Francois Houtart *
La Jornada
. Mexico, 16 décembre 2007.

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L’opinion publique mondiale est préoccupée, avec raison, par la libération d’Ingrid Betancourt, l’ex candidate à la présidence de la république de nationalité franco-colombienne, mais fait peu d’attention au phénomène massif de ceux qui sont des déplacés forcés en Colombie. Toutefois, après le Soudan (Darfour) et la Somalie, la Colombie est le pays le plus touché par cette peste, qualifiée par des Nations Unies comme crime contre l’humanité.

Un tribunal international d’opinion, que j’ai eu le privilège de présider, s’est récemment tenu au Congrès colombien, en collaboration avec la Commission de Droits de l’Homme du Sénat. Préparé par cinq sessions régionales et avec une abondante documentation, le travail du tribunal a pu établir le caractère dramatique et massif de cette situation qui affecte un colombien sur huit. Les témoignages proviennent pour la plus grande part de la campagne : paysans, Communautés indigènes et noirs.

Si le conflit armé interne explique en partie ces situations, la cause la plus fréquente est de loin lle processus de concentration des terres entre les mains des grands propriétaires fonciers et d’entreprises nationales et transnationales, comme les compagnies minières Anglogold Ashanti, les pétrolières Repsol, BP et Petrocabada, et les compagnies de palmes pour les agrocombustibles comme Urapalma, mais aussi la bananière Chiquita Brands [1]. Cela a été accompli avec l’aide de l’armée colombienne, des paramilitaires et des sociétés privées étasuniennes de sécurité [2](comme en Irak).

La violence du processus est énorme. J’ai pu le vérifier dans la région du Choco. Aux paysans qui refusaient de laisser leurs terres on disait : « s’ils refusent, nous négocierons avec leurs veuves », et beaucoup d’exécutions ont eu lieu. Les membres du tribunal et le président de l’association des déplacés ont été menacés de mort par le groupe paramilitaire Aguilas Negras.

Selon le verdict du tribunal, il s’agit d’une crise structurelle. Depuis le milieu des années 80, les narcotrafiquants ont décidé d’apporter leurs devises au pays et de les laver dans l’achat de grandes propriétés des meilleures terres. Les cartels du trafic de drogues avec les secteurs de l’oligarchie, la classe politique et des forces militaires ont créé une nouvelle version du paramilitarisme [3], sous le prétexte de combattre la révolte. De cette manière on a forgé une alliance au moyen de laquelle les paramilitaires éliminaient les membres des partis politiques de l’opposition de gauche (Union Patriotique) et des mouvements sociaux qui réclamaient de meilleures conditions de vie. En revanche, l’establishment leur permettait de continuer leurs activités illicites, qui à leur tour finançaient le pouvoir politique. L’appropriation illicite de terres a permis non seulement une forte concentration inéquitable, mais aussi une transformation de leur utilisation. De grands domaines aptes pour l’agriculture et les forêts ont été consacrés au bétail.

Les déplacements ont connu un nouvel accroissement pendant la première moitié de la décennie des années 90 quand sont entrées en vigueur les politiques néolibérales qui ont facilité l’arrivée des investissements de multinationales. De grandes entreprises ont demandé un feu vert pour avancer dans l’appropriation de terres où allaient être mis en place des mégaprojets d’investissement : agricole, industriel, minier, portuaire, touristique, équipement. Le « Plan Colombia » de 1997 [sous Clinton], stratégie militaire financée par les Etats-Unis avec le prétexte de résister à l’avancée des guérillas, avait en réalité comme fin de contrôler le pouvoir politique et économique dans certaines régions du pays. Le nombre de déplacés a augmenté.

Des bombardements sans discernement, captures massives, criminalisation des mouvements sociaux, la forte présence militaire dans certaines régions expliquent cet accroissement. Si durant les dernières années les chiffres ont relativement diminué, c’est parce qu’il existe des zones dépeuplées disponibles et d’immenses domaines de terres déjà vidés. En même temps, le gouvernement colombien promeut une législation qui prétend légaliser les spoliations et laisser dans l’impunité les crimes commis par l’Estatuto de Desarrollo Rural, Ley de Justicia y Paz, Ley de Tierras, de Minas, de Petroleo, etcétera (Statut Développement Rural, Loi de Justice et Paix, Loi de Terres, de Mines, de Pétrole, etcetera).

Le verdict du tribunal a mis en cause trois groupes d’acteurs : le gouvernement colombien ce pourquoi cela résulte d’une politique d’État, les propriétaires fonciers et les entreprises nationales et internationales partie prenantes dans ce modèle de « croissance économique », et les gouvernements étrangers qui soutiennent directement ou indirectement celui de la Colombie : Les Etats-Unis par leur aide économique et militaire, l’Union Européenne pour ses programmes d’aide et de coopération, et plusieurs gouvernements qui soutiennent leurs entreprises dans le pays, comme le Canada, la Grande-Bretagne, la Suisse, [l’Espagne] et la France.

Le président Uribe a présenté sa solution dans une réunion avec des membres du Parlement latinoaméricain, le jour même de la proclamation du verdict du tribunal et dans le même Congrès. Les problèmes seront résolus cas par cas [comme c’est le cas pour des tortionnaires d’autres pays sudaméricains], ce qui individualise une situation qui est structurelle et marginalise les mouvements sociaux, et il s’agira d’un processus administratif et non judiciaire, ce qui implique l’impunité dont ceux qui verront leurs nouvelles propriétés légalisées par une série de dispositions.

Alors, oui, libérer Ingrid Betancourt, et immédiatement. Mais la Communauté internationale doit aussi se préoccuper des autres 4 millions de colombiens qui n’ont pas de nom.

* Francois Houtartest prêtre et sociologue belge, secrétaire exécutif du Forum Mondial d’Alternatives.

Traduction de l’espagnol pour El Correo de  : Estelle et Carlos Debiasi

Notes :

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