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Par Jean-Luc Pelletier,
Info Terra, septembre 2002.
Parmi les problèmes liés à la terre au Brésil mais ne relevant pas directement d’une réforme agraire, figurent deux cas distincts qui ont cependant des points communs : celui des communautés rurales noires, formées de descendants d’esclaves qui avaient fui pour se cacher dans des zones reculées : les quilombos et celui des Indiens, presque totalement éliminés et relégués jusqu’aujourd’hui sur des terres inoccupées dont on a constitué des réserves. Nous tentons d’apporter ici quelques informations au sujet des quilombos.
L’arrivée des premiers esclaves africains se situe vers 1530. Ils étaient répartis de façon à éloigner les unes des autres les personnes originaires des mêmes ethnies, dans le but d’éviter qu’elles s’organisent et se rebellent. Certains historiens font remonter à 1600 - 1630 la création des premiers quilombos, composés à l’origine de très peu de personnes, souvent exténuées, affamées et malades. Il est probable d’ailleurs qu’il y eut une collaboration entre esclaves fugitifs et Indiens eux aussi pourchassés.
C’est à cette époque que se forma le plus célèbre d’entre eux, celui de Palmares, dans une région montagneuse du Nordeste, à la frontière des états actuels d’Alagoas et de Pernambouco. Il résista pendant presque 100 ans aux attaques incessantes du pouvoir en place. Zumbi en fut le chef le plus fameux. Il fut tué en 1695, lors du massacre qui mit fin à l’existence du quilombo mais son nom est toujours resté lié aux luttes des Noirs et plus généralement des opprimés contre leurs oppresseurs.
Des milliers de quilombos se formèrent dans tout le Brésil, certains furent combattus et obligés de résister, d’autres parvinrent à s’insérer dans le contexte social et économique régional. Pendant des siècles ils n’eurent évidemment aucune existence légale et leurs membres continuèrent jusqu’à aujourd’hui à vivre isolés.
Leur niveau de vie est presque toujours très bas. Ce sont des gens marginalisés, peu ou pas alphabétisés mais dont la culture est cependant vivante et qui aspirent à vivre mieux. Plusieurs ONG cherchent à sensibiliser l’opinion publique à leur sujet afin d’améliorer leur situation et de valoriser leur culture.
Ce n’est qu’en 1988 que la Constitution prévit de les faire entrer dans le cadre démocratique et de donner à leurs terres un statut légal. Or ceci n’est pas simple et conditionne, entre autres, les solutions à des conflits liés à la possession de la terre. En effet la plupart des quilombos doivent faire face à un problème commun : la menace de perdre leur terre et la reconnaissance du droit à récupérer celle qui leur revient.
Le premier travail est de les recenser. Seul l’état du Maranhão a fait l’objet d’une étude complète : 401 communautés noires y ont été localisées. Ensuite il convient de définir les critères juridiques qui permettront de décider si telle communauté est (ou n’est pas) un quilombo et a (ou n’a pas) le droit de voir ses terres délimitées, attribuées et protégées contre les fermiers voisins, les agents immobiliers, les exploitants forestiers, les multinationales. En effet, il existe des communautés traditionnelles qui ressemblent à des quilombos mais qui n’en sont pas. Dans le Maranhão toujours, il n’y aurait que 100 quilombos réels.
Il y a là tout un champ où s’affrontent diverses conceptions privilégiant soit la continuité historique de l’existence de la communauté, soit l’isolement social et l’autonomie, soit l’aspect foncier (délimitation des terres), soit l’aspect ethnique ou social, soit l’approche économique (autosubsistance) ou écologique (exploitation extractive et douce des ressources naturelles). Dans aucun des documents consultés il n’est question d’une participation des personnes concernées à l’élaboration des critères définissant leur propre identité collective. Elle existe peut-être néanmoins.
Autre problème fréquent : la protection de l’environnement
A ce sujet, l’exemple de la quinzaine de quilombos de la vallée du Rio Ribeira est révélateur. Déjà avant l’arrivée des Européens, le Rio Ribeira, dont l’embouchure se situe à une centaine de kilomètres au sud-est de São Paulo, servait de voie de communication entre les Indiens de la côte et ceux de l’intérieur. Les colonisateurs firent de sa vallée un des premiers points de fixation et y firent venir des esclaves. Au fil du temps l’activité se déplaça vers les actuels états de Minas Gerais, Rio de Janeiro et São Paulo. Les émigrants, les industries, les esclaves, quittèrent la vallée, ce qui fut une chance pour les Indiens qui y demeuraient encore et les communautés rurales autonomes qui s’y étaient créées.
Ils s’y sont maintenus jusqu’à aujourd’hui, près de la forêt d’origine, alors que plus de 90% de celle-ci a disparu. Leur subsistance dépend des terres et des forêts qu’ils occupent mais elle est menacée par l’actuelle politique de protection de l’environnement qui, dans son empressement à préserver la forêt tropicale, a transformé en délit des pratiques agricoles et de cueillette qui garantissaient depuis toujours l’existence de ces communautés sans porter préjudice à celle-ci. Le résultat est que certains jeunes quittent leur groupe et vont grossir les bidonvilles urbains, ceux de Santos par exemple.
Les revendications des diverses communautés rurales noires dépassent donc l’accès et le maintien sur les terres ou la garantie de pouvoir y vivre. Il s’agit aussi d’insérer l’histoire des Noirs dans la société brésilienne et de leur reconnaître une identité propre, alors qu’ils appartiennent à des groupes pour lesquels la société a toujours retardé la reconnaissance du droit à demeurer sur le territoire qu’ils habitent et sur lequel ils travaillent.
*Les problématiques des quilombos et celle des communautés indiennes ont des points communs mais sont très différentes au regard de la loi