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15 mars 2006

Les infamies commises par la dictature argentine : "Elle a dû partir avec un de ces nègres..."

par Carlos A. Bozzi

 

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Il ne restait plus que deux jours avant l’arrivée de l’hiver dans la ville de Mar del Plata. La faction de militaires et de policiers a fait irruption dans le domicile des García aux alentours de deux heures de l’après midi. Ils cherchaient Gladys. En vain. Mais ils promirent de revenir.

Lorsqu’à sept heures et demie, ce 19 juin 1976, la jeune femme est arrivée à son domicile, le groupe l’attendait déjà. Et sans faire de résistance, elle monta dans une Opel rouge.

Elle a salué les siens d’un signe de la main. Elle était sereine. Sa famille également. Ils ont dit en partant qu’ils l’emmenaient à Camet pour de simples formalités, et plus précisément auprès de la Division d’Artillerie de la Défense Aérienne, tristement connue dans son abréviation "GADA 601".
La recherche désespérée de la famille ne se fit pas attendre.

"ELLE A DU PARTIR AVEC UN DE CES NEGRES" fut la seule réponse que la mère de Gladys obtint de la part de l’officier de l’armée qui la prit en charge, en niant complètement la présence de la jeune femme à la caserne du GADA 601.

Froid et synthétique, le rapport de police archivé à l’Ambassade des Etats-Unis en Argentine disait :
"GARCIA, Gladys Noemí, DNI 10.262.504. Arrêtée le 19-6-76 par un groupe d’hommes armé. Disparue depuis lors. Mar del Plata. "
A côté, écrit à la main, quelqu’un a tamponné un : "D".

En clair, le sens de l’abréviation était bien plus terrible : on avait disparu Galdys…

"Où vont les disparus ? Cherche dans l’eau et dans les fourrés. Et pourquoi disparaissent-ils… ?Parce que nous ne sommes pas tous égaux. Et quand est-ce que le disparu revient ? Chaque fois que la pensée l’amène avec elle. Comment fait-on pour lui parler, au disparu ? Avec le coeur, en serrant très fort de l’intérieur." (Maná).

La justice non plus n’a pas pu - ou n’a pas voulu - dire où elle se trouvait, ce qui fait que très rapidement, 60 jours seulement après l’enlèvement de la jeune femme, la sentence suivante était prononcée : "Mar del Plata, 21 septembre 1976…. Acte de procédureLu et approuvé……. Affaire résolue : Tenir au courrant Niemam Blanca de García à propos du renoncement au présent recours à "l’habeas corpus" intercédé en faveur de García Gladys Noemí………. Signé : Aldolfo C. González Etcheverry.- Juge Federal." Et sans aucun doute, cette même procédure se reproduisait pour quiconque osait braver la Mère patrie.

Il ne faut pas oublier que Mar del Plata est la troisième ville du pays à compter dans sa population la plus grande quantité de disparus……… Et le même jour dans la ville six autres personnes ont été enlevées simultanément.

Bien des années après, en 1984, un survivant a révélé à ses proches avoir été séquestré juste à côté de Gladys. Le témoin a rencontré la jeune femme qui lui a raconté qu’elle avait été transportée de sa maison à la délégation de la Police Fédérale de Mar del Plata. Et de là, à la caserne du GADA 601, puis dans une camionnette, entassée et cachée sous des couvertures, elle arriva à la Division "Cuatrerismo" située sur le "Chemin de la Ceinture" et sur la Route Richieri. Finalement, on l’a déposé à la Brigade de Banfield, où il l’a rencontré.

Gladys restait tranquille, on lui avait promis la liberté ; c’était la dernière chose qu’il apprit d’elle.

Banfield est une localité de la Province de Buenos Aires. Dans cette ville, placée sous l’autorité du Parti de Lomas de Zamora, un centre de détention clandestin baptisé "Pozo de Banfield" (Voir plan ci-dessous) a été créé au sein de la Brigade de Recherches de la Police.

General Juan Bautista Sasiaiñ

Dans leur quadrillage opérationnel, les militaires l’incorporèrent au sein du "Commando de la Sous Zone 11", zone opérationnelle 112 appartenant au Régiment d’Infanterie Mécanisée Numéro 3. Le maître et seigneur des lieux était à ce moment-là le Général Juan Bautista Sasiaiñ.

En vérité, ils avaient conduit Gladys tout près de l’endroit où elle avait vu le jour 24 ans auparavant, près de Lanus Est, à quelques minutes de train, dans ce labyrinthe de rails et de gares de passagers que constitue la zone.

Les chroniques journalistiques de l’année 1976 rapportent que le 21 juillet, au cours d’un des nombreux "affrontements armés" de ces jours-là, les "forces légales" ont abattu DEUX DISSIDENTS de sexe féminin dont l’identification n’a pas été donnée……. Des chroniques habituelles et des informations alors banales……. Le quotidien "L’Opinion" estimait à 4000 le nombre de victimes de ce type d’"affrontements" à la fin de cette année-là.

C’étaient des années d’incertitude terrible. La décharge électrique, l’intervention armée et l’embuscade policière étaient alors le lot de la vie quotidienne. Divisés et dupés, les argentins étaient entre la vérité et le mensonge. Le pays ressemblait alors à une énorme plaie dans laquelle l’Etat répandait le sel de la haine.

Mais les traces des crimes n’avaient pas été toutes effacées. C’est en 1992 que "l’Equipe Argentine d’Anthropologie Légiste" a découvert, dans le cimetière de la localité d’Avallaneda, le corps de Gladys et celui de sa compagne d’infortune. On les avait enterré avec le statut de "NN" et après des années d’études génétiques, on a pu confirmé l’identité des deux jeunes femmes.

L’autre corps a lui aussi été identifié. Il s’agissait de Liliana Molteni (23 ans), enlevée elle aussi lors de ce mois de juin hivernal. Journaliste et cofondatrice du "Centre d’Etudes de la Pampa", elle était enceinte au moment de sa détention. Son bébé n’a toujours pas été retrouvé………….

Mais cela ne faisait aucun doute. Il s’agissait là des deux dangereuses dissidentes qui en même temps qu’elles étaient séquestrées, menottées et enfermées dans le "Puits de Banfield", avaient osé défier la puissance militaire de l’Etat………………bien qu’on ignore encore comment elles auraient pu procéder à de telles manœuvres.

Le mardi 6 décembre, après 29 ans, Gladys Noemí García a pu revenir dans la ville d’où elle avait été arrachée. Elle repose depuis lors dans le Parc-cimetière de la Ville de Mar del Plata. Elle y est revenue avec la même tranquillité qu’elle observait quand elle s’en est allé. Elle est revenue avec la gloire, que ces assassins ne peuvent, ni ne pourront, jamais lui arracher.

Elle est ainsi passée du statut de victime à celui de témoin d’une époque qui a prétendu maintenir la structure rongée d’un système affaibli par l’immoralité, les affaires, le crime, le hurlement des torturés et la prétention des politiciens qui faisaient tout pour éteindre le feu d’une jeunesse enflammée, qui n’a jamais pu s’allumer………. Pas même dans la mort.

Rien dans cette histoire n’est dû au hasard. Eliminer des personnes pour leur appartenance à un groupe idéologique, racial ou religieux a été une constante pour l’Etat. L’assassinat, le crime, est une atteinte à l’homme, quelqu’il soit et à quelque moment de l’histoire que ce soit.

Le souvenir de ces évènements doit devenir un outil indispensable pour continuer la recherche de toutes les Gladys oubliées, à attendre qu’on les sorte de l’ombre pour pouvoir juger en toute sérénité les coupables de l’infamie.

Carlos A.Bozzi
carlosbozzi@hotmail.com
Avocat-Survivant de "LA NUIT DES CRAVATES"

Note : Document d’archive de la Conadep-Mar del Plata qui regroupe les données de Gladys Noemí Garcìa et les circonstances de son enlèvement. Inclue l’"Habeas Corpus" qui lui a été refusé.

Caso Gladis Noemí García

Croquis del "Pozo de Banfield" extraído del libro "Nunca Màs".

Pozo de Banfield

Traduction de l’espagnol pour El Correo de : Pierre Molines

El Correo. Argentine, le 24 janvier 2006

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