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2 juin 2015

Les exportations au secours de l’industrie de défense française.

par Philippe Leymarie*

 

Le pis-aller des ventes d’armes

C’est la fuite en avant : les commandes d’armes à l’export dépassent pour la première fois le montant des acquisitions des armées françaises, avec notamment trois marchés consécutifs ces derniers mois pour le chasseur Rafale — Egypte, Inde, Qatar (alors que la merveille meurtrière de Dassault semblait invendable depuis une quinzaine d’années) —, des contrats de plusieurs milliards d’euros décrochés en Pologne, en Arabie saoudite, et d’autres actuellement en cours de négociation dans le Golfe. Si bien que l’Allemagne, qui avait ravi à la France la place de troisième exportateur mondial, se trouve à nouveau distancée…

Cette envolée est présentée officiellement comme le résultat du travail de « l’équipe France » (le pouvoir politique, les entreprises…) ; comme un moyen de sauvegarder une industrie autonome de l’armement, gage de souveraineté ; et comme une contribution au rééquilibrage de la balance commerciale française. [1]

Mais elle pose, en creux, une fois de plus, la question de l’opportunité de ces ventes, et celle de leur contrôle, à quelques semaines de la publication du rapport du gouvernement sur les exportations françaises d’armement pour 2014 et de l’ouverture du salon aéronautique du Bourget. Et donc celle de l’avenir de l’industrie française de défense.

Ces thèmes étaient au centre d’un colloque récent organisé au Sénat [2], auquel ont pris part non pas les habituels experts, militaires, industriels, élus et retraités de la « communauté de défense », mais un parterre de syndicalistes — en majorité CGT —, appartenant à d’anciens arsenaux, pour la plupart en voie de démantèlement et en cours de privatisation — et représentant une partie des quarante mille emplois directement concernés en France par les exportations d’armement [3].

Un certain effroi

Premier enseignement de cette table-ronde : dans le milieu du personnel des arsenaux aussi, on parle « éthique » à propos des ventes d’armes. Le sujet n’est pas tabou. Ainsi, pour Eric Brune, délégué central adjoint CGT au groupe GIAT-Nexter, par exemple :

  • « Les armes ne sont pas des marchandises comme les autres… » ;
  • « Même si on aborde avec un certain effroi la question de l’emploi par les temps qui courent », cela « n’est pas le cœur du problème des exportations, qui une question d’abord politique » ;
  • « Si sauver 2 000 emplois à Roanne [4] , c’est 100 000 morts ailleurs, ça n’a pas de sens » ;
  • « Si, pour la CGT, les exportations sont légitimes, et ont toujours existé, la règle doit être de ne pas vendre n’importe quoi à n’importe qui ».

Pour ce syndicaliste, qui avait développé ce thème également lors d’une audition à l’assemblée nationale, le 15 janvier dernier, sur l’avenir du secteur industriel de la défense, les exportations ne sont pas la réponse à tous les problèmes (d’un secteur industriel, d’un budget défense difficile à boucler, car l’export à toute force implique des transferts technologiques, contribue à l’émergence de nouveaux concurrents (dans des pays au surplus où l’effort de défense est mieux financé), et entraîne une course à la sophistication des armes, et donc une inflation des coûts ruineuse et dangereuse pour tous…

Compétences critiques

Autre enseignement : dans un pays d’importance moyenne, comme l’est de plus en plus la France, l’entretien des « compétences critiques » est problématique, ainsi que l’explique le général Vincent Desportes, pour qui une « réduction des cibles » — dans les objectifs et budgets assignés aux armées — place l’industrie française de défense en surcapacité. Selon lui, l’actuelle Loi de programmation militaire, qui réduit de 30 % les moyens, menace directement quatre mille emplois dans le secteur, et oblige déjà des entreprises à rapatrier certaines sous-traitances.

Si, ajoute-t-il, on veut que l’armée française reste une des seules capables de faire de la projection à longue distance — comme ces dernières années en Côte d’Ivoire, Afghanistan, Libye, Mali, Sahel, Irak, etc. — il faut des moyens autonomes et de supériorité, qui permettent à la France de maintenir son rang. Pour pouvoir disposer du choix du type d’action, et du moment, avec un accès indépendant à la technologie, la préservation de ce « cœur de souveraineté industrielle » est capitale, estime Vincent Desportes. Selon lui, les Etats-Unis, dans ce domaine, exercent une « influence prédatrice », en imposant leurs règles ITAR, [5] et en conduisant à terme à l’adoption forcée des modes opératoires américains.

Forte valeur ajoutée

Ancien commandant du collège interarmées de défense, qui avait été sanctionné en 2010 pour avoir tenu des propos critiques sur la conduite de la guerre en Afghanistan par les Américains et enseigne aujourd’hui à Sciences Po, après avoir conseillé de grandes entreprises, ce général en retraite considère que l’industrie française de l’armement — qui concerne de près ou de loin jusqu’à 160 000 emplois à forte valeur ajoutée, peu délocalisables, et répartis sur tout le territoire — reste un atout majeur pour la France.

La tendance, en France, restant à une réduction des ambitions en matière de défense au moins depuis les années 1980, les commandes nationales sont le plus souvent insuffisantes pour assurer la survie d’un programme : les exportations, même s’il s’agit d’un pis-aller, restent nécessaires, car il existe un seuil minimum à partir duquel l’activité s’expatrie, se reconvertit, ou disparaît. Et avec elle une partie de l’autonomie stratégique du pays…

Déjà, pour ce qui est de l’armée de terre, Paris dépend des achats étrangers pour les armes de petit calibre, et de plus en plus pour les munitions. Maintenant, c’est au tour des blindés. Un syndicaliste du site Nexter de Roanne explique que, de réduction en réduction, l’effectif de son centre est passé de 800 à 150 postes, dont une centaine seulement sur la production de blindés, avec une moyenne d’âge de 55 ans. La chaîne de production des « caisses » est arrêtée. Les plans de charge actuels ne prévoient du travail que pour une trentaine d’ouvriers et techniciens.

La fin du blindé français ?

Comme d’autres, ce syndicaliste craint que l’alliance de Nexter avec l’allemand Krauss-Maffei Wegmann (KMW) — vivement défendue par le ministre de l’économie, Emmanuel Macron [6] — ne débouche, dans quelques années, sur un partage de fait qui consacrera la spécialisation des Allemands dans les blindés, et la perte d’une capacité industrielle côté français : « Après, il sera trop tard ».

La CGT et la CFDT ont souligné, la semaine dernière, que l’échec enregistré le 5 mai au Danemark par Nexter était très préjudiciable pour l’entreprise française, dans la mesure où celle-ci comptait sur l’export pour assurer le plan de charge de ses usines. « Le futur de nos emplois ne peut dépendre d’une telle stratégie tournée essentiellement vers l’export, qui nous mène droit dans le mur et qui risque de se traduire par une catastrophe autant sociale qu’industrielle », a ainsi dénoncé la CGT, pour qui « l’avenir de certains sites est suspendu à l’obtention de contrats hypothétiques, comme le sont tous les contrats exports, du fait de l’incertitude qui les entoure ».

Au cours de ce colloque au Sénat, un autre syndicaliste, qui s’est présenté comme un « soudeur de la République », s’est désolé que l’industrie de l’armement terrestre soit en train de disparaître en France, dans le silence, sans plus de débat. Il en est de même pour le maintien en condition opérationnelle (MCO) de l’aéronautique militaire, aux deux tiers assuré aujourd’hui par le privé et l’étranger, au détriment des ateliers relevant du ministère de la défense. « On a de moins en moins de militaires maintenanciers », déplore Jean-Pierre Brat, le délégué central CGT au groupe Nexter.

En première ligne

De plus en plus, le naval militaire enregistre également des pertes de capacités. La DCNS — héritière des arsenaux français et de la Direction des constructions navales (DCN), devenue société anonyme, mais encore détenue majoritairement par l’Etat français — abandonne les constructions de fort tonnage aux chantiers STX de Saint-Nazaire, ou fait fabriquer des coques à bas coût à l’étranger. Et elle est mise en concurrence avec le privé pour le MCO par l’Etat — qui est à la fois client et patron.

Les syndicats font remarquer qu’ils plaident depuis longtemps pour la diversification afin de ne pas dépendre uniquement des armes et de l’export. Certains s’inquiètent que des pays comme la France, dans cette course aux exportations destinée à sauver une industrie nationale défaillante, ne se retrouvent à vendre des machines de guerre (comme récemment le chasseur Rafale) dans des zones de tensions ou de conflits.

Pour se mettre en situation de fournir de l’armement aux monarchies du Golfe, Paris a dû en effet multiplier les concessions : signature d’accords de défense contraignants, et de partenariats ; ouverture d’une base interarmées à Abou Dhabi, participation du président Hollande au début de ce mois au sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG)… Autant de gestes spectaculaires qui mettent de fait la France en première ligne en cas d’extension d’un conflit dans ces parages, face à l’Iran.

Et si les citoyens prenaient le contrôle des ventes d’armes ?

Début juin, comme chaque année, le gouvernement s’apprête à présenter son « Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France », dans un contexte de nette reprise des commandes. Un rapport qui, selon les autorités, témoigne de la volonté de « réformer en profondeur le système de contrôle » de ces marchés tout en « redynamisant la fonction export » (le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian, lors de la présentation du rapport 2014) ; mais que plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) jugent contradictoire dans ses buts, peu transparent, voire assimilable à une brochure publicitaire.

Les exportations françaises d’armement ne font l’objet d’aucun débat en France — sinon en cas de scandale (frégates de Taiwan [7] ou Angolagate [8]), de drame (l’attentat de Karachi [9]) ou lorsque l’exécutif se prend les pieds dans le tapis (comme avec cette vente de navires de projection et de commandement (BPC) à la Russie, décidée sous Sarkozy et suspendue sous Hollande, avec de gros dégâts à la clé).

Ces affaires ne sont pas une exclusivité française : des intérêts britanniques ont souvent été en cause, tout comme des acteurs allemands : en 1999, par exemple, le Bundestag avait ouvert une enquête sur le financement de la CDU, l’Union chrétienne-démocrate allemande d’Helmut Kohl. Le parti était soupçonné d’avoir été financé par des caisses noires alimentées par des commissions touchées sur des ventes d’armes, dont celle de chars à l’Arabie saoudite pendant la première guerre du Golfe [10]. Depuis, les ventes d’armement allemand à Riyad n’ont cessé de faire débat, y compris ces derniers mois [11].Lire aussi « En Allemagne, embarras autour des ventes d’armes », Le Monde diplomatique, mai 2015.

En France, comme dans d’autres pays, ces ventes d’armement à l’étranger sont une prérogative de l’exécutif, tout comme l’essentiel de ce qui concerne les affaires de défense. Les lignes directrices en matière d’exportation sont donc fixées uniquement par le gouvernement, en fonction des intérêts, des alliances, des majorités politiques du moment.

Licence unique

Le gouvernement actuel s’est fortement impliqué dans la conquête de marchés. Le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, a payé de sa personne, multipliant les déplacements et conciliabules. Il a mobilisé les services de l’Etat pour l’accompagnement des entreprises, avec une attention particulière pour valoriser les compétences des PME [12] Son ministère a notamment créé un dispositif de simplification des autorisations, avec licence dite « unique », et contrôle a posteriori des marchés passés avec des clients étrangers pour certains types de productions.

Même s’il constitue un relais de croissance important pour les entreprises d’armement (qui écoulent à l’étranger environ un tiers de leur production), l’export permet également à l’Etat de réduire quelque peu ses engagements consentis au titre du soutien à des industries nationales d’importance stratégique (comme le constructeur aéronautique Dassault). Et contribue donc à alléger ses dépenses budgétaires en matière de défense.

En notre nom

En revanche, les armes n’étant pas des marchandises comme les autres, leur vente a souvent une origine et un impact politiques ; les marchés les plus importants sont conclus dans le cadre de partenariats stratégiques qui lient le vendeur à l’acheteur sur le long terme, et ont donc une incidence sur la politique étrangère de l’un comme de l’autre. Ainsi, la vente de chasseurs Rafale à l’Egypte, au Qatar, et peut-être un jour aux Emirats arabes unis, lie le destin de la France à ces pays, sans que le Parlement, l’opinion, ou même un panel de spécialistes aient jamais donné un avis sur cette politique menée en principe en notre nom à tous.

Animateur de l’Observatoire des armements, Patrice Bouveret avait relancé, lors du colloque organisé le mois dernier par des sénatrices communistes devant un parterre de syndicalistes, une série de propositions pour un meilleur contrôle. Se référant notamment à un rapport des députés Sandrier, Veyret et Martin à l’Assemblée nationale en l’an 2000, à propos de l’implication du Parlement dans le contrôle des ventes d’armes, il affirme que « quinze ans après, on aurait plutôt reculé », très peu des mesures préconisées à l’époque ayant été mises en œuvre :

  • si le rapport au Parlement sur les exportations est devenu annuel, et présenté depuis 2012 plus tôt dans l’année (juin), le ministre étant auditionné à son propos par la commission de défense à l’Assemblée nationale, il est de moins en moins détaillé, « préférant vanter l’excellence française » ;
  • il manque toujours une répartition détaillée des livraisons par catégories de matériel, sans laquelle aucun véritable contrôle ne peut être exercé ;
  • le débat à l’Assemblée nationale sur les marchés envisagés ou conclus n’a jamais eu lieu ;
  • la commission parlementaire ad hoc, même simplement consultative, n’a jamais été mise sur pied ;
  • du coup, les parlementaires n’ont pas la possibilité de discuter, en compagnie d’experts, de représentants de la société civile, etc. de l’opportunité des partenariats stratégiques initiés par le gouvernement, de la liste des pays que la France s’autorise à équiper militairement, ou au moins des grands contrats en gestation…

Voeux pieux

L’Observatoire des armements avait déjà relevé, dans son rapport au Parlement pour 2014, que la France se contentait de rappeler les obligations du nouveau traité international sur le commerce des armes conventionnelles qu’elle a ratifié (et qui est entré en vigueur le 24 décembre dernier) sans expliquer comment elle compte les mettre en œuvre : « Les normes du traité seraient-elles condamnées à l’état de vœux pieu ? Ou le gouvernement français juge-t-il sa législation suffisamment restrictive pour ne pas devoir transposer le traité ? ». Et qu’une première réunion en août 2014, pour évoquer les implications de ce traité, s’était déroulée sans les ONG, la société civile, et les parlementaires.

Pour l’Observatoire, la mise en place d’une commission parlementaire ad hoc, chargée de débattre régulièrement de la politique d’exportation des systèmes d’armement et du matériel de sécurité, permettrait de renforcer le contrôle : « Elle devrait procéder à un examen a priori des demandes d’exportation d’armes vers les destinations sensibles ou d’un certain montant à fixer. De même, les partenariats stratégiques — que souhaite développer le ministre de la Défense pour renforcer les exportations — devraient faire l’objet d’un débat et d’une approbation parlementaire avant d’être signés », demandait-il le 11 septembre 2013.

Destinations sensibles

Lire aussi Michael T. Klare, « M. Carter et la limitation des livraisons d’armes a l’étranger », Le Monde diplomatique, novembre 1977.Le but de ce contrôle, selon l’Observatoire, n’est pas de se suppléer la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (Cieemg), mais de « jouer un rôle d’alerte préalable à la décision d’autorisation émise par le Premier ministre pour tous les transferts vers des destinations sensibles », afin de prévenir notamment un nouvel Angolagate, et d’éviter les écueils pointés dans leur rapport par des députés en 2000. Selon ces derniers, en effet, « le débat public finit toujours par se centrer sur les profits ou les pertes financières causées par les exportations, sur les conséquences de tel contrat pour l’emploi, sur les impedimenta du contrôle. »

Ainsi, la liste des destinations sensibles — élaborée sur la base du respect des huit critères de la position commune de l’Union européenne et du nouveau traité sur le commerce des armes — pourra faire l’objet d’une discussion régulière entre les ministères de la défense et des affaires étrangères, les parlementaires et les ONG.

Par « destinations sensibles », précise Tony Fortin dans un dossier spécial sur les transferts d’armes [13], on entend des « zones à risque » soumises soit à de fortes tensions internes ou régionales, soit sujettes à des violations importantes de droits humains (y compris l’absence de liberté politique). « Le risque de détournement de l’armement livré et les capacités économiques de l’État destinataire doivent aussi être pris en compte. Ce terme doit faire l’objet d’une interprétation extensive. »

Millions d’emplois

Reconnaissant que le système des autorisations gouvernementales accordées en France dans le cadre de la Cieemg est « assez lourd » — avec trois étapes à franchir avant d’avoir un feu vert —, le syndicaliste CGT Eric Brune, délégué adjoint pour le groupe Nexter, qui s’exprimait dans le cadre du colloque du mois dernier au Sénat, considère qu’on devrait pouvoir débattre publiquement de la liste des pays à risques, et du type d’armement qui peut ou non être vendu. Il dit « bravo » au traité international de 2013 sur le commerce des armes, et à la position commune européenne, car il estime « insensé de faire dépendre la paix de l’emploi », même si des millions d’emplois salariés sont concernés en Europe.

Ce syndicaliste fait remarquer que l’application des huit critères édictés en décembre 2008 dans le cadre de la position commune de l’Union européenne est malaisée : il s’agit certes de « beaux engagements, mais vagues et donc intenables », comme le respect de tous les embargos internationaux [14], la situation intérieure du pays de destination finale, la participation à un conflit, la préservation de la paix et de la stabilité régionale, la prise en compte des capacités économiques du pays destinataire…

Un guide d’utilisation de la position commune [15] a dû être élaboré pour aider les Etats européens à la mettre en œuvre, s’agissant notamment de l’interprétation des critères. L’un des objectifs de cette position commune est de favoriser la convergence des politiques d’exportation des Etats membres. Ainsi, elle prévoit que ceux-ci s’informent mutuellement de leurs refus d’autoriser certaines exportations. Un mécanisme de consultation et de notification a été mis en place à cette fin : en 2013, vingt-trois refus ont été notifiés à ce titre.

Destination finale

Selon le rapport au Parlement de 2014, les autorisations délivrées par la Cieemg prennent bien en compte les huit critères définis par la position commune 2008/944/PESC du 8 décembre 2008 « définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires », soit :

 1. Respect des engagements internationaux.
 2. Respect des droits humains dans le pays de destination finale.
 3. Situation intérieure dans le pays de destination finale.
 4. Préservation de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales.
 5. Sécurité nationale des Etats membres, ainsi que celle des pays amis et alliés.
 6. Comportement du pays acheteur à l’égard de la communauté internationale et notamment son attitude envers le terrorisme, la nature de ses alliances et le respect du droit international.
 7. Existence d’un risque de détournement de l’équipement à l’intérieur du pays acheteur ou de réexportation de celui-ci dans des conditions non souhaitées.
 8. Compatibilité des exportations d’armement avec la capacité technique et économique du pays destinataire.

Ce qui, additionné aux règles nationales et à celles qui découlent maintenant du nouveau traité sur le commerce international, finit par faire beaucoup ... ou demande à être contourné avec finesse.

Vente incongrue

Le commerce des armes « se nourrit aussi de l’indifférence de l’opinion publique », relève Alain Refalo sur son blog : « Notre passivité et notre silence permettent au complexe militaro-industriel de continuer son œuvre néfaste, loin de tout contrôle citoyen et démocratique ». Il cite le député Noël Mamère (EELV), au lendemain de l’annonce de l’achat de Rafale par l’Egypte, en février dernier : « Il y a une sorte d’incongruité à voir le président de la République et Mme Merkel contribuer à une paix fragile entre l’Ukraine et la Russie, et le lendemain, entendre ce même président de la République se féliciter d’avoir vendu vingt-quatre Rafale à un dictateur dans une région qui est déjà une poudrière ».

Alain Refalo rappelle que, pour finaliser la vente de Rafale au Qatar, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a fait dix déplacements en trois ans dans « cette monarchie pétrolière du Golfe, qui n’est pas un exemple de respect des droits de l’homme, où la charia est la loi, où l’homosexualité peut être punie de mort, et qui est soupçonnée d’entretenir des relations troubles avec certaines organisations terroristes ».

Une vente de Rafale à des pays du Proche-Orient qui n’est pas sans risques, estime de son côté Stéphane Murraciole, sur le site Armer Désarmer. Pour lui, « la vente de matériel militaire français, dont les vingt-quatre Rafale, à un gouvernement issu d’un coup d’Etat, est une gifle supplémentaire à toutes les sociétés civiles ».

Murraciole, qui évoque de « graves violations des droits de la personne voire crimes contre l’humanité » par le régime du président égyptien Abdel Fatah Al-Sissi, s’inquiète ainsi de ce, « le gouvernement français envoie un message clair à la jeunesse des pays du sud : quelles que soient vos aspirations à un monde respectueux des droits de l’homme, nous soutiendrons vos bourreaux. Voilà comment s’alimentent — et pour combien de générations ? — la colère et malheureusement parfois aussi la haine d’un Occident incapable de sortir de sa vision ethnocentriste du monde, creuset idéal pour les fanatiques de tous bords  ».

Coût prohibitif ?

Dans un papier sur « le coût prohibitif des ventes d’armes françaises dans le Golfe », publié en juin 2014, Marc Cher-Leparrain, ancien diplomate, se demandait déjà « s’il fallait assurer la défense des monarchies de la région afin de les encourager à acheter davantage d’armements français ». Et c’était avant la rafale d’achats de Rafale.

Outre les réglementations et traités qui encadrent l’industrie de l’armement et ses exportations, il existe d’autres moyens de contrôle, mais qui sortent du cadre de cet article :

  • un contrôle par le financement, notamment l’attribution de crédits de recherche et développement d’origine publique ;
  • un contrôle par le capital : actionnariat public (mais cela se fait de moins en moins) ou au moins détention par l’Etat de « golden share » dans certaines entreprises (qui donnent à la puissance publique un moyen de blocage, en cas de menace sur un intérêt jugé stratégique) ;
  • voire un contrôle par la technologie (défense des brevets, techniques duales, etc.)
  • et de manière générale, grâce au parrainage qu’exerce, dans un pays comme la France, la Direction générale de l’armement — un corps dépendant du ministère de la défense, dont la qualité est enviée dans beaucoup de pays, et qui est un peu le grand architecte du secteur… et le premier investisseur de France, avec 17 milliards d’euros de commandes annuelles !

Philippe Leymarie pour Défense en ligne dans Les blogs du Diplo

Le Monde diplomatique. Paris, le 15 mai 2015

Le Monde diplomatique. Paris, le 28 mai 2015

* Philippe Leymarie, collaborateur du Monde diplomatique, a été chargé des questions africaines et de défense sur Radio-France internationale (RFI). Il est l’auteur, avec Thierry Perret, des 100 Clés de l’Afrique (Hachette littérature, 2006).

Notes

[1Une étude d’impact réalisée par le ministère de la défense et le CIDEF avec le support du cabinet McKinsey, publiée en septembre 2014, soutenait que, sans les exportations d’armement, le déficit de la balance commerciale française sur la période 2008-2013 aurait été de 5 à 8 points plus élevé.

[2Le 6 mai dernier, à l’initiative de deux sénatrices communistes, membres de la commission des affaires étrangères et de défense, Michèle Demessine (Nord) et Cécile Cukierman (Loire).

[3Le secteur de l’armement ne se limite pas aux armes proprement dites, ou à leurs vecteurs ; il inclut l’ensemble des équipements destinés aux différentes armées, y compris dans le soutien, les liaisons, la protection, la chaîne sanitaire, etc.

[4L’usine de Roanne est l’un des sites de production de Nexter, spécialisé dans la conception de caisses et l’intégration de véhicules blindés militaires. Le choix du Danemark, le 5 mai dernier, qui s’est porté sur une entreprise concurrente, rend incertain le plan de charge de l’usine.

[5Les International Traffic in Arms Regulations (ITAR), édictées par les autorités américaines, remontent à la guerre froide et sont en cours d’assouplissement. En vertu de ces règles, un pays producteur d’armement peut se voir interdire de conclure un marché si le produit visé contient des composants de fabrication américaine. Ainsi, la vente par Airbus et Thalès de deux satellites-espions aux Emirats arabes unis — le programme Falcon Eye —, conclue en 2013, a été bloquée plus d’un an par Washington.

[6Le projet de loi « pour la croissance et l’activité » défendu par le ministre de l’Economie comporte une disposition qui permet de lancer le rapprochement entre les constructeurs de blindés français Nexter et allemand KMW. Le ministre assure que « durant les cinq premières années, les exportations de Nexter seront décidées par Nexter », et non par la holding qui devrait être constituée à partir de juin prochain

[7Contrat conclu en 1991, pour la livraison à Taiwan de six frégates type Lafayette, qui avait donné lieu à un entrelas de commissions et rétrocommissions.

[8Contrat signé en 1990 pour l’équipement de l’armée angolaise — trente-six personnes, en majorité issues de la classe politique française, sont condamnées pour avoir participé à la vente d’armes illicite ou bénéficié de pots-de-vin distribués par Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak.

[9Le 8 mai 2002, un attentat commis dans la capital pakistanaise et attribué à Al Qaida tue onze employés de la Direction des constructions navales de Cherbourg. Dix ans après les faits, l’enquête de juges opiniâtres a fait surgir une seconde affaire : un éventuel financement illicite lors de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur en 1995.

[10Helmut Kohl, chancelier jusqu’à 1998, a reconnu en décembre 1999, dans une interview télévisée, avoir été au courant de l’existence du système utilisant des comptes bancaires secrets et avoir accepté des dons ; il a démissionné de son poste de président honoraire de la CDU quelques semaines plus tard, ouvrant la voie à Angela Merkel.

[11Cf. « En Allemagne, embarras autour des ventes d’armes », Le Monde diplomatique, mai 2015.

[12Qui contribuent pour 700 millions d’euros chaque année aux commandes à l’étranger (12 % du total).

[13Cf. Damoclès, La Lettre de l’Observatoire des armements, n° 14, 4-2012

[14Une trentaine ont été imposés par l’ONU depuis les années 1960 ; quatorze sont toujours en vigueur.

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