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27 février 2007

Le diable est lâché et il cherche du pétrole.

Les défis du Venezuela « saoudite » : remarques sur l’économie, l’industrialisation et la dépendance.

par Luciano Wexell Severo *

 

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Au moins cent ans de guerres pour l’or noir.

« Les pieds insolents de l’étranger ont profané le sol sacré de la Patrie », déclara le Président et Général Cipriano Castro, en 1903, quand le Venezuela fut attaqué par une flotte anglo-allemande en réponse à une affirmation de souveraineté de la part du gouvernement vénézuélien qui réagissait aux infractions et au sans-gêne des étrangers venus chercher du pétrole. En 1908, il fut renversé par le général Juan Vicente Gómez (qui allait être immortalisé sous les traits du "patriarche"), et qui gouverna au nom des compagnies étrangères jusqu’à sa mort, en 1935. Puis les occupants du Palacio de Miraflores furent les généraux Eleazar López Contreras (1935-1941) et Isaías Medina Angarita (1941-1945), qui augmentèrent le pouvoir planificateur de l’Etat sur l’économie en adoptant des dispositions démocratiques, progressistes et nationalistes sur des sujets aussi sensibles que la réforme agraire, les rentrées fiscales et le contrôle public de l’Etat sur les hydrocarbures. Et c’est pour cette raison qu’Angarita fut renversé à la suite d’un putsch organisé par les éléments conservateurs des forces armées, l’Eglise, les Compagnies pétrolières et la fameuse Fédération de Cámaras y Asociaciones de Comercio y Producción du Venezuela (Fedecámaras) et avec, bien entendu, tout l’appui de l’impérialisme nord-américain. Une junte « révolutionnaire » de gouvernement (1945-1948) prit le pouvoir.

En 1948, l’écrivain Rómulo Gallegos, l’auteur de "Doña Bárbara" et de "Mr. Danger", devint le premier président vénézuélien élu par un vote populaire. Il ne gouverna que 280 jours. Un nouveau coup d’état mit en place une Junte Militaire de Gouvernement (1948-1950) présidée par le Commandant Carlos Delgado Chalbaud et où siégeait Marcos Pérez Jiménez. En 1950, Chalbaud fut assassiné, criblé de balles. Une nouvelle Junte de Gouvernement occupa le pouvoir (1950-1952) présidée par Germán Suárez Flamerich dans laquelle on retrouve Pérez Jiménez. En décembre 1952, le Parti Union Républicaine Démocratique (URD) gagne les élections, mais on ne tient aucun compte du résultat du vote et Pérez Jiménez assure la présidence… à titre provisoire. En 1953, il est désigné Président du Venezuela par l’Assemblée Nationale Constituante. Suivent, alors, des années de folles concessions aux multinationales pétrolières et de brutale répression des mouvements populaires.

Evidemment, la bataille se poursuivit, tant sur le plan idéologique que pratique, pour le contrôle de l’or noir : dans les champs pétrolifères, dans les naissants latifundia, dans les universités, les partis politiques clandestins, les nouvelles usines, les collines qui commençaient à se peupler. Le 23 janvier 1958, les forces populaires renversèrent Pérez Jiménez, mais elles furent aussitôt trahies : ce fut le début de ce qu’on a appelé le pacte de ’Punto Fijo’ [point fixe] qui marqua le début de la IVº République et ses quarante années d’alternance au pouvoir de deux partis - le parti social-démocrate Action Démocratique et le parti social-chrétien COPEI. Ces quatre décennies ont vu défiler douze présidents : presque tous ont appliqué des politiques de soumission face aux compagnies pétrolières multinationales et de mépris envers le peuple, des politiques qui ont brisé la souveraineté nationale. Et c’est ainsi que, dans la vie politique vénézuélienne, s’est installée et enracinée la culture de la corruption, de la dilapidation des richesses du pays, de l’improvisation, de l’opportunisme, c’est à dire la culture de la finance et du lucre - négation des valeurs et principes moraux - politique qui, naturellement, demeure encore vivace. (Dans la genèse de cette culture de la soumission, a été fondamentale la contribution politico-idéologique des grands médias, tant de la presse écrite que de la radio et de la télévision et leur travail de sape permanent contre la conscience nationale, dans le but de briser l’auto-estime patriotique du peuple et de perpétuer les distorsions et les privilèges). En réaction à la somme de colère accumulée, le peuple furieux lança, dès 1989, le premier mouvement de résistance au néolibéralisme qu’ait connu le continent : le « caracazo » ; néanmoins, ce fut au matin du mardi 4 février 1992 qu’éclata le grand tourbillon avec le soulèvement civico-militaire emmené par le Lieutenant Colonel Hugo Chávez. Cela fait déjà 15 ans, mais personne n’a oublié le jeune visage de celui qui revendiqua totalement son action sur la chaine nationale de radio et de télévision et qui la paya de plusieurs années de prison. Peu après, en décembre 1998, impatient de venir à bout de la grave crise financière et morale que connaissait le pays, le peuple, majoritairement, élut Chávez président. La suite de l’histoire est connue.

Arrêtons-nous et analysons la situation économique qui, à cette époque-là, était très mauvaise suite aux néfastes politiques du ’Fonds Monétaire International’ (FMI) appliquées presque partout dans ce qu’il est convenu d’appeler le Tiers Monde, amplifiant l’appauvrissement, le sous-développement et la dépendance. L’effort du gouvernement durant la première année porta sur la revalorisation du prix du pétrole. Chávez visita personnellement tous les pays de l’OPEP et travailla à redonner vie à cette organisation sur la scène mondiale. En outre, on mit en pratique l’engagement pris devant les électeurs de présenter au pays un projet de nouvelle constitution et de fonder la Vº République avec de nouvelles lois qui permettraient de réaliser les profondes réformes structurelles. Comme nous l’avons démontré dans nos études antérieures en nous basant sur des données nationales et internationales, si 1999 fut une année négative pour l’économie du Venezuela, en 2000 et 2001 le pays obtint un de ses taux de croissance moyens les plus élevés des pays de la zone, de plus de 3,5%, avec de légères améliorations du niveau de vie de la population, un recul du chômage et de l’inflation et une baisse des taux d’intérêt.

L’agression de l’Empire se produisit précisément quand le gouvernement bolivarien présenta, au moyen d’une « Ley Habilitante » (Loi cadre), un paquet de 49 décrets déterminants pour mener à bien les changements : lois sur la terre, sur les hydrocarbures, sur la fiscalité, sur la réforme agraire, sur le système financier… Tout le monde se souvient des terribles événements du mois d’avril 2002 - coup d’Etat téléguidé par la CIA - et de la grève pétrolière entre novembre 2002 et janvier 2003 à l’initiative de la Fedecamaras elle-même, la pseudo Confédération des Travailleurs du Venezuela (CTV), les cadres de la Compagnie des Pétroles du Venezuela (PDVSA), les partis de l’opposition, les conglomérats de la communication (presse écrite, radio et télévision ) et le mouvement Súmate, financé par la Fondation Nationale pour la Démocratie (NED) du Département d’Etat des Etats-Unis. Aujourd’hui, quelques années après, une abondante et sérieuse littérature existe sur ces conspirations. La paralysie brisa la production pétrolière qui chuta de 3 millions de barils/jour à 125 mille. Les magasins baissèrent leurs rideaux, les produits de base disparurent du marché, les prix atteignirent des sommets inimaginables. Pour la population, la situation économique était celle d’un pays en temps de guerre. Les putschistes, à leur tour, se barricadèrent dans leurs quartiers cossus et leurs villas. Les chiffres de la Banque Centrale du Venezuela (BCV) prouvent qu’au cours du premier trimestre 2003, l’économie nationale a chuté de 26,7%. Le chômage atteignit 20,7% ; le taux de l’inflation dépassa 27,5% et le taux d’investissement par rapport au PIB baissa à un petit 14,7%. Le Ministère des Finances a calculé que ces actions ont fait perdre au pays environ 15 milliards de dollars. Mais la grève fut patronale et ne fut pas soutenue par le peuple ; le gouvernement non seulement tint bon, mais il gagna des forces.

L’économie vénézuélienne aujourd’hui : les pétrodollars financent des transformations structurelles.

Selon un rapport du Ministère de l’Energie et du Pétrole, en janvier 2007, le prix moyen du baril (159 litres), frôla les 55 dollars tant pour ce qui est du Brent comme du West Texas Intermediate (WTI) ; il avait dépassé les 74 dollars en juillet 2006. Le prix moyen avait été de 30 dollars en 1999 ; au début du gouvernement d’Hugo Chávez, il était inférieur à 9 dollars. Le panier Vénézuélien est toujours 15% moins cher que les deux références mondiales en raison de la haute viscosité de son brut. Malgré cela, si nous n’oublions pas que les hydrocarbures représentent, historiquement, un haut pourcentage des exportations du Venezuela - au cours des dix dernières années, une moyenne de 77,8% - la tendance c’est que le cours élevé actuel se traduira par une forte croissance de l’économie. Entre le quatrième trimestre 2003 et le quatrième trimestre 2006, le pays a cumulé 13 trimestres de hausse, c’est-à-dire plus de trois ans et demi de croissance. Mieux encore, avec une moyenne de 13%. Cela fait plus d’un an et demi que le PIB croît avec un taux au dessus de 10% et si le pays maintient ce rythme, dans 8 ans, l’économie aura doublé par rapport à aujourd’hui.

Toute les données utilisées sont publiques, publiées par la BCV, par la Banque Mondiale ou la Commission Economique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPAL). Il n’y a pas de doute que le PIB du Venezuela est en pleine croissance. Mais examinons la première distinction possible entre composants du PIB : économie pétrolière et économie non pétrolière. La participation de l’économie non pétrolière continue de croître de manière substantielle tandis que la part relative de l’économie pétrolière a régressé. Cela apparaît clairement si nous prenons en compte les prix élevés du baril de pétrole. C’est-à-dire que la tendance naturelle devrait être la croissance de la part relative de l’économie pétrolière et non sa régression. Voyons les chiffres : l’économie pétrolière qui, en 1999, représentait 20,1% du PIB, représente aujourd’hui 14,3%. Et l’économie non pétrolière qui, en 1999, représentait 70,5% du PIB, en représente aujourd’hui 74,7%. Même avec une forte croissance du cours du pétrole au cours des deux années et demie, l’économie non pétrolière a crû, en moyenne, de 12,2 % alors que l’économie pétrolière a connu un taux de croissance de 1,9% seulement.

Il est indéniable que le facteur le plus dynamique et puissant de l’économie du Venezuela c’est le pétrole depuis les années vingt du siècle dernier, mais on constate que le pays est en train de détourner, plus que jamais, les revenus du pétrole au profit des autres secteurs productifs : agriculture, industrie, construction, télécommunications, ainsi qu’au rembourrement progressif de son important retard social dans les domaines de l’éducation, de la santé, du logement. Ecoutons la déclaration du président de la BCV, Gaston Parra Luzardo : « Non seulement l’économie est en pleine croissance en raison des circonstance favorables, mais la structure de la société se transforme et atteint les stades supérieurs du progrès. La preuve nous est fournie par la croissance du PIB autour de 10% durant treize trimestres consécutifs ; l’expansion plus rapide de la production du secteur non pétrolier par rapport au secteur pétrolier ; la consolidation de l’investissement public et privé ; l’amélioration de l’éducation, de la santé, du logement, de la répartition des revenus et la hausse des revenus moyens réels des travailleurs. Dans notre pays, on a poursuivi des politiques et des actions destinées à combattre la pauvreté, à améliorer la santé, l’éducation et le niveau alimentaire, autant de domaines dans lesquels des succès significatifs ont été obtenus et reconnus au niveau international ». Il fait référence, parmi d’autre succès, à la hausse ininterrompue de tous les indicateurs de l’Indice de Développement Humain (IDH), à la diminution de la mortalité infantile et à la déclaration de l’ONU (elle sert encore à cela cette honorable organisation démoralisée) où il est dit que le Venezuela est l’unique pays d’Amérique Latine - à côté de l’héroïque Cuba - libre d’analphabétisme.

Examinons l’économie non pétrolière. Comme c’était à prévoir, on constate une croissance accélérée des secteurs du commerce, des services et établissements financiers. On a vu également une activité accrue des secteurs des communications, des transports et des travaux publics en raison des grands travaux d’infrastructure entrepris : ponts, voies ferrées, lycées, universités, raffineries, installations sidérurgiques. Ces secteurs enregistrent plus de deux années de croissance élevée et continue. Cependant, l’industrie manufacturière est un des secteurs qui s’est le plus consolidé spécialement à partir de 2003 quand fut mis en place le contrôle des changes. Durant les deux dernières années, l’industrie a eu une croissance en moyenne de 10% et représente désormais 16,8% du PIB. Au milieu du sabotage pétrolier, par exemple, la part de l’industrie manufacturière dans le PIB fut réduite à 14,7%. L’actuelle croissance se vérifie dans l’augmentation de la production et de la consommation d’électricité et dans la production de matières premières comme le ciment, les fers à béton, le minerai de fer, l’acier et l’aluminium.

Une autre variable très significative qui s’est consolidée depuis 2003, c’est la formation brute de capital fixe - le taux d’investissement dans économie - qui englobe les dépenses pour la construction, l’acquisition et la mise en fonctionnement des biens en capital orientés vers la formation d’actifs fixes, constructions nouvelles, installations de machines et d’équipements. Selon le CEPAL, le taux d’investissement moyen, en Amérique Latine, est de 20% du PIB, insuffisant pour produire une croissance économique et des progrès dans les conditions de vie de la population. Pendant la grève pétrolière, elle ne dépassa pas 15% du PIB ; aujourd’hui, il dépasse 32%. En ce moment, très peu de pays investissent dans les infrastructures, dans l’industrie et l’éducation autant que le fait le Venezuela.

Siècle nouveau, nouvelle embellie ; anciennes préoccupations d’Alberto Adrioani et Uslar Pietro.

Comme résultat de la croissance économique, on assiste à une forte croissance de la demande intérieure : plus 19,7% au cours des deux dernières années. Cependant, beaucoup plus important est l’effort pour développer l’offre intérieure (le PIB moins les importations) et pour diminuer l’offre extérieure (la demande intérieure satisfaite grâce aux importations). La croissance de l’offre intérieure au cours des deux dernières années s’élève à 14,1%, conséquence directe de la réactivation de l’appareil industriel et de la croissance des investissements dans de nouvelles unités de production. A ce sujet, il existe une juste et ancienne préoccupation face au fait suivant : comme cela est avéré dans tout pays exportateur de matières premières, dans une période de croissance, la demande intérieure tend à croitre à un rythme beaucoup plus rapide que la capacité de réponse de l’offre intérieure et cela conduit à l’augmentation des importations et pousse les prix à la hausse.

En 1999, les achats en provenance de l’extérieur constituaient 22,4% de l’offre totale - ils ont augmenté de plus de 70% dans les deux dernières années. Aujourd’hui, 33,3% de l’offre totale est assuré par les importations - c’est à dire que 66,6% est assuré par la production nationale. Le Brésil, par exemple, importe beaucoup moins : seulement 13,9%, alors qu’il produit 86,1%. Entre janvier et septembre 2006, les importations du Venezuela ont totalisé 22,6 millions de dollars, presque 50% des rentrées obtenues avec les exportations pétrolières. A leur tour, pour la même période, les exportations non pétrolières (minerai de fer, aluminium, éthanol, urée, poissons, plastiques, bois) se sont élevées seulement à 4,5 millions de dollars. Il s’agit d’un problème classique des économies sous-développées et mono-exportatrices, de pétrole ou d’autres matières premières : il est normal qu’un pays relativement peu industrialisé augmente ses importations dans une période de forte rentrée de devises comme celle que le Venezuela actuellement. Un des grands défis c’est de remplacer des importations de façon efficace, même si doit perdurer une permanente facilité d’obtenir des devises et d’importer suffisamment.

Malgré cela, on constate quelque chose de très intéressant : les importations du Venezuela en produits manufacturés (pour la consommation finale) qui en 2 000 s’étaient élevées à 38% du total des importations, aujourd’hui représentent 23,6%. La moyenne, entre 1997 et 2002, a été de 27,4%. Les achats de produits de mise en œuvre ou produits intermédiaires connaissent aussi une baisse importante : de 64,4% du total des importations, en 1997, ils sont de 43.7% aujourd’hui. La moyenne, entre 1997 et 2002, a été de 55,3%. Mais ce qui est le plus significatif, c’est de constater que les importations qui augmentent le plus sont celles destinées à l’acquisition de machines et d’équipements (biens de capital) ; elles représentaient 11,1% du total des importations en 2000 et s’élèvent, aujourd’hui, à 32,7%. La moyenne, entre 1997 et 2002, a été de 17.3%. Nous utilisons l’année 2002 comme cadre de référence en raison de l’application du contrôle des changes au début de 2003.

Que ceux qui veulent voir voient.

En ce qui concerne l’inflation, en 1999, première année du gouvernement de Chávez, la hausse des prix à la consommation (IPC) a été de 14,5%. En 2000 et 2001, années qui ont vu l’économie croître, elle baissa à 11% et 10% respectivement. En 2002, comme résultat des conspirations contre l’économie nationale, elle monta à 25%. En 2003, malgré les complots et la grève pétrolière, elle a été de 20,5%. Les medias de désinformation, quand cela les arrange, font des tours de passe pour ne pas établir de lien entre les résultats socio-économiques et les mesures politiques. En 2004, malgré la forte croissance économique, l’inflation chuta à 14% et, en 2005, elle descendit à moins de 13%, démentant de ce fait la théorie monétariste. Ce qui génère une hausse durable des prix ce n’est pas obligatoirement l’augmentation de la masse monétaire en circulation, mais la politique des monopoles privés. La chute des années 2004 et 2005 va de pair avec la hausse de la production industrielle, avec l’aide apportée aux petites et moyennes exploitations agricoles - à travers des crédits, des installations de stockage, de transport - avec la suppression d’intermédiaires opportunistes, avec la lutte menée contre les monopoles privés, avec le contrôle des prix sur plus de 100 produits de base à partir de 2003 et avec la création de plus de 14 000 Marchés d’Alimentation (Mercal) dans tout le pays. Ce programme qui vend jusqu’à 30% moins cher, a atteint presque 15 millions de consommateurs et a gagné des adeptes dans les classes moyennes.

L’an passé, face à l’évidence d’une nouvelle victoire électorale de Chávez et à son maintien au pouvoir pour au moins six années de plus, la situation politique redevint très chaude. Le gouvernement, travaillant à construire pas à pas un socialisme à la vénézuélienne, s’efforce d’augmenter le rôle de l’Etat dans l’économie, s’efforce de doter celui-ci de plus de pouvoirs pour planifier et promouvoir des politiques et cherche à intervenir - avec la participation croissante du peuple - dans les principaux moyens de production. Il y a un secteur privé productif conscient et nationaliste qui s’est joint aux efforts entrepris pour construire un Venezuela indépendant et développé. Mais, indiscutablement, il y a un autre secteur privé, celui qui avait bénéficié des politiques inflationnistes antérieures, qui aujourd’hui se dresse contre les actions du gouvernement et le contrôle des prix. En 2006, l’inflation cumulée a atteint 17%. Rien de scandaleux pour un pays en croissance accélérée. En janvier 2007, l’IPC a cumulé 2% et selon des « analystes » internationaux, il dépassera 25% à la fin de l’année. Le gouvernement se prépare à faire face efficacement à ce problème qui va connaître encore bien des dédoublements. Le mot d’ordre c’est augmenter la production nationale, combattre la spéculation et l’accaparement et garantir la plus grande diversité possible de produits de base, nationaux et d’importation, dans les rayons.

En analysant le marché du travail, il est possible de vérifier qu’entre juin 1999 et juin 2006, en sept ans, ont été créés 2 100 000 emplois - 60% d’entre eux dans les secteurs des services, du commerce et des établissements financiers, 15% dans le génie civil, (plus de 300 000 emplois) et 5% dans l’industrie (100 000 emplois induits, une moyenne de 13 000 par an). En 2002, jusqu’au moment des conspirations, le nombre des chômeurs était en baisse. Les mesures putschistes qui visaient à abattre le gouvernement provoquèrent une hausse du chômage jusqu’à 21% de la Population Economiquement Active (PEA), environ 2 300 000 Vénézuéliens. Pour avoir une idée de ce qu’était la situation au sommet de la crise, de décembre 2002 à janvier 2003, on ne mesura même pas le taux de chômage (c’est pourquoi les graphes en rapport avec ce sujet ont deux espaces en blanc). En décembre 2006, il y avait près de 1 million de chômeurs ce qui représente 8,4% de la PEA. Au Venezuela, le salaire minimum est de 238 dollars, assez au-dessus de la moyenne latino-américaine et les dépenses des ménages en électricité, gaz, eau, combustibles et transports sont assez peu élevées en comparaison avec d’autres pays. Autre donnée importante, au cours des trois dernières années, le secteur formel de l’économie s’est accru de manière considérable et représente 55,5 % des personnes pourvues d’un emploi (6 257 642 personnes) ; à la fin de 2005, ce pourcentage était de 52,5%. Les données citées sont celles de l’Institut National des Statistiques (INE) et du Ministère de la Planification et du Développement (MPD).

Il est nécessaire de mettre en rapport les progrès des indices avec la décision d’instituer le contrôle des changes prise au début de 2003. Les réserves en devises s’élèvent à 36 milliards de dollars - avec le coup d’Etat et la grève pétrolière, la fuite des capitaux vida les réserves de 14,9 milliards, 47% en dessous de leur niveau actuel. Au mépris de la théorie néolibérale - qui prône l’accumulation des réserves en devises à la Banque Centrale avec le risque de provoquer de l’inflation et des déséquilibres dans le système -, en juillet 2005 fut approuvée une réforme de la loi de la BCV qui institua l’établissement d’un plafond annuel pour les réserves en devises. Tout ce qui dépasse ce plafond est versé au Fonds de Développement de la Nation (FONDEN) qui cumule déjà 18 milliards de dollars. Grâce au FONDEN, les rentrées pétrolières ont servi à mettre en route un nouveau mouvement d’industrialisation spécialement dans le domaine agricole, la pétrochimie, les industries de base, les industries légères et de transformation. De façon permanente, les grands medias étroitement associés aux monopoles industriels et financiers, essayent de taxer les politiques indépendantes et souveraines d’irresponsables et de « populistes ». Le jour n’est pas loin où ils diront que l’inflation est le fruit « des incertitudes et des préoccupations des marchés » face à la proposition de bâtir un pays plus juste, libre et souverain. A ce sujet, le Ministère de la Communication et de l’Information (MINCI) a notifié officiellement qu’une des chaînes impliquée dans le coup d’Etat de 2002 -qui est financée par les Etats-Unis et qui agresse en permanence, depuis cette date, la démocratie vénézuélienne au nom de la liberté d’expression - ne verra pas sa concession renouvelée en mai prochain. Il ne manquera certainement pas des gens pour affirmer qu’il s’agit d’une nouvelle « action autoritaire du régime chaviste »

Contrairement à ce que suggèrent certains critiques à la solde de Washington, le gouvernement de Hugo Chávez s’appuie sur un projet national avec des lignes générales bien définies. L’idée d’une économie artificielle et d’ « assistanat » - tellement colportée par les grands medias de désinformation dans le but de cacher la réalité et de ridiculiser la politique économique indépendante -est une chimère. Il existe une vision de développement à moyen et long terme jusqu’à présent définie à travers le Plan de Développement Economique et Social de la Nation 2001-2007. A partir de ces orientations ont été impulsés les secteurs productifs de l’économie, surtout avec l’argent rapporté par les exportations de pétrole, sans avoir recours à l’endettement et sans se soumettre à des organismes financiers internationaux - en fait, il y a quelque semaines, le FMI a fermé la porte de son bureau à Caracas. Cela revient à dire que les dettes, extérieure et intérieure, ont été colossalement réduites ; elles représentent respectivement 17,5% et 9,6% du PIB. La dette totale représente 27,1% du PIB, le niveau le plus bas des 30 dernières années et actuellement un des plus bas de la région.

Le Venezuela a l’audace de chercher à rompre la dépendance extérieure - économique, technologique, culturelle - au moyen du développement intégral des potentialités du pays et de son peuple. Mais il est assez compliqué de sortir du labyrinthe néolibéral, de se défaire des entraves des multinationales et de délier les infernaux mécanismes de l’endettement - mis en place pendant des siècles pour perpétuer la subordination et la spoliation des pays périphériques et pour le plus grand bénéfice du centre capitaliste. S’ajoute à cela la charge d’être un pays producteur de pétrole, d’être le Venezuela « Saoudite », mono-exportateur et importateur de produits alimentaires et de produits manufacturés avec toutes les contradictions structurelles, économiques, sociales, politiques et culturelles. Pour la période 2007-2013, le gouvernement travaille déjà à partir des plans stratégiques du Projet National Simon Bolívar. Combien de pays sont dotés d’un projet de développement bien défini pour leurs six prochaines années ? Parmi ces pays, combien peuvent compter sur des ressources financières suffisantes pour exécuter totalement leurs plans ? Le plus important c’est effectivement de réaliser totalement ces projets, améliorer les résultats des dépenses, rompre les liens de l’Etat encore rétrogrades - le transformer radicalement - et neutraliser les ennemis de l’intérieur. Malgré les immenses investissements réalisés pour impulser le secteur industriel et agricole, les deux jambes du Venezuela nouveau, les entreprises de base ne décollent pas encore et la production agricole a régressé de 7% en 2006.

Les conservateurs ont essayé de qualifier de « populistes » les gouvernements populaires, mais que sont devenus les revenus du pétrole des années 70 quand le flux était égal ou supérieur à ce qu’il est aujourd’hui alors que la population n’était que de 12 millions d’habitants, moins de la moitié de ce qu’elle est aujourd’hui ? Les gouvernements précédents ont disparu avec des centaines de milliers de millions de dollars obtenus à la suite des deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Actuellement, malgré toutes les erreurs et difficultés qui sont nombreuses, les pétrodollars ont été investis dans la transformation de la réalité sociale et de l’économie du Venezuela - hier il vivait de la rente et il importait et aujourd’hui il est devenu producteur et générateur de marché intérieur. Les revenus du pétrole ont aussi servi pour aider les pays d’Amérique Latine. Selon Chávez, « le Venezuela serait même prêt à déposer dans la future Banque du Sud au moins 10% de ses réserves en devises pour mettre ainsi en marche un de ces projets destinés à réaliser l’intégration latino-américaine ». L’idée est de créer une alternative, dont seraient maîtres les pays d’Amérique du Sud eux-mêmes et qui serait guidée par l’esprit de solidarité, pour financer des projets de développement productif et des infrastructures dans les pays de la région, surtout dans les plus pauvres. Le dialogue a également progressé ainsi que les accords dans le cadre de l’ALBA, de la Communauté Des Nations d’Amérique du Sud et du Mercosur.

Désespérés, messieurs les impérialistes

L’énergie générée par l’élection qui a porté Chávez au pouvoir jusqu’en 2013 a imposé un nouveau rythmeà la dynamiquemouvementée du Venezuela. Le leader bolivarienaremportél’électionprésidentielle en défendant publiquement l’idée d’aller vers le socialismeetla majorité des électeurs ont décidé que le pays doit suivre cette voie. Maintenant, « tout ce qui est consistant s’évanouit dans l’air ». La radicalisation propose d’accélérer encore plus la correction de la structure économique déformée : étatiser des entreprises stratégiques qui ont été privatisées et concentrées entre les mains de groupes étrangers, nationaliser réellement les principales ressources du pays, créer des unités de production sous contrôle de l’Etat et des collectivités, réaliser le nouveau processus d’industrialisation lourde, accroître la participation populaire dans l’élaboration, le contrôle et la définition des politiques publiques, exorciser les structures corrompues et inefficaces de l’Etat.

Dans ce sens, récemment, les députés de l’Assemblée Nationale ont adopté, en séance publique, sur la Place Bolívar de Caracas, une "Ley Habilitante" qui autorise le Président de la République à gouverner par décrets, pendant une durée de 18 mois, par des décrets ayant force de loi, dans divers domaines : économique, social, financier, fiscal, sciences et technologies, organisation du territoire, sécurité et défense nationale, infrastructure, politique énergétique. Selon l’article 203 de la Constitution du Venezuela « Une Ley Habilitante doit être approuvée par les trois cinquièmes des députés de l’Assemblée Nationale et a pour but de définir les propositions et les domaines qui sont délégués à la Présidente ou au Président de la République avec rang et valeur de loi » c’est la septième fois dans l’histoire du pays que cette possibilité est donnée à un président ; c’est la seconde fois pour Chávez. Comme tout changement structurel qui lèse les intérêts des secteurs historiquement privilégiés, il tend à générer une réaction de vigueur comparable en retour. Le porte parole du Département d’Etat des Etats-Unis, Sean McCormack, a déclaré sur un ton menaçant : « Nous allons voir quel usage va faire Monsieur Chávez de ces pouvoirs ». L’Assemblée Nationale du Venezuela a publié un communiqué où il est dit « Elle est vraiment étrange cette base de légitimité démocratique sur laquelle se fondent les Etats-Unis pour intervenir dans les affaires intérieures du Venezuela, pour décider d’envahir d’autres pays, pour imposer des politiques économiques prédatrices aux nations du sud et pour se croire le droit de soumettre le monde entier à leur dictature ».

Malgré tout, une intervention directe des Etats-Unis ne semble pas pour demain. Les actuelles conjonctures latino-américaines et mondiales sont assez tendues. Dans le Nouveau Monde se renforce l’ascension de leaders nationalistes, soutenus par des mouvements historiques populaires et les secteurs progressistes. La vague des dictatures sanglantes et réactionnaires des années 60 et 70 a cédé la place à des explosions sociales émancipatrices. Ceux qui avaient prévu la fin de l’Histoire se sont terriblement trompés. Le XXIº siècle a assez mal commencé pour messieurs les impérialistes. Au Venezuela, le projet d’aller vers le socialisme gagne de plus en plus de soutien populaire et il peut compter sur des ressources financières. L’idée et les moyens se trouvent réunis, l’argent et l’idéologie - même si le premier peut engendrer bien des dangers et si la seconde a encore besoin de beaucoup s’affiner. Même ainsi, il est difficile que les troupes yankees osent s’aventurer de ce côté-ci. Il est fort probable que, pour assouvir leur désir d’abattre la révolution, ils miseront, à moyen terme, sur une aide à l’oligarchie créole et sur des « néo-chavistes » et des « néo-bolivariens », infiltrés ou sans conscience idéologique. Des exemples nous sont donnés par la pénurie organisée de certains produits de base, la hausse de l’inflation et le manque d’efficacité dans l’application des politiques du gouvernement. Ces problèmes, s’ils ne sont pas attaqués immédiatement, pourraient engendrer le mécontentement populaire.

Cependant, d’un autre côté, les impérialistes savent que plus ils tarderont plus il leur sera difficile de déboulonner Chávez : les chiffres démontrent la progressive conversion de la croissance économique en développement social. Selon l’INE, la pauvreté continue à reculer au Venezuela. Si en 1999 la pauvreté concernait 44% de la population, aujourd’hui elle touche 32%. L’état d’extrême pauvreté durant la même période est passé de 16,6% à 10,6%. En outre, les dépenses publiques pour l’éducation durant le gouvernement de Chávez sont de 35% plus élevées que la moyenne de ces mêmes dépenses durant les années 90. En 2005, par exemple, elle ont été de 91% plus élevées qu’en 1996 sans compter les investissements dans les programmes sociaux du secteur éducatif : Mission Robinson (1,4 million de personnes alphabétisées grâce à la méthode cubaine « Yo sí puedo » [oui,moi, je peux], Mission Ribas (760 000 élèves ont terminé leurs études secondaires), Mission Sucre (240 000 nouveaux universitaires). Autre exemple : la dépense publique de santé est aussi de 13 % plus élevée que la moyenne de la décennie néolibérale et 115% supérieure à celles de 1996, et sans compter également les projets sociaux mis en place dans ce domaine (Barrio Adentro et Misión Milagro, également avec l’aide désintéressée de Cuba) qui accumulent des millions de bénéficiaires au Venezuela et des milliers dans d’autres pays d’Amérique Latine.

Les nouvelles qui parviennent de l’autre côté du monde sont à la fois terribles et encourageantes. Menaces de guerre préventive contre l’Iran, la Syrie, la Corée du Nord. Le diable est lâché et il cherche du pétrole. Personne n’oubliera les mensonges sur les armes chimiques et la farce judiciaire contre Saddam Hussein. Ils ont bombardé et envahi le pays, ils ont séquestré son président, ses ministres, ses députés, ses maires et ses conseillers municipaux, ses militaires. Ils ont piétiné la population, sa volonté, sa Constitution. Plus que hier, inspirés par le grossier assassinat de leur président Saddam, les patriotes continueront à se sacrifier sans compter jusqu’à ce qu’ils rejettent hors du pays l’armée impériale. Pour les compagnies pétrolières - surtout Texaco et Exxon - et pour l’ancienne élite irakienne, la révolution dirigée par le parti Baath Arabe Socialiste d’Irak - démocratique, nationaliste et laïque - avait commis le péché impardonnable de nationaliser le pétrole, d’impulser l’unité du peuple et de son armée, de diversifier l’économie - agriculture, et pétrochimie -, de distribuer la richesse et le pouvoir, d’universaliser l’éducation à tous les niveaux et de mériter, durant les années 80, que l’Irak soit reconnu comme le pays ayant le meilleur niveau de vie du Moyen Orient. Tandis que certains dirigeants se mettent à genoux, le leader suprême d’Irak est mort debout, serein et en préconisant la glorieuse résistance. Il est positif de croire qu’un jour l’Humanité vivra définitivement libérée de la caste qui contrôle aujourd’hui les richesses de la planète. Si cela arrive, quelqu’un pourra suggérer que l’on érige de gigantesques monuments à la mémoire des peuples qui ont mis toutes leurs énergies à vaincre la domination impérialiste. Dans les temps à venir, il y aura beaucoup de peuples courageux et dignes, mais les hommes, les femmes et les enfants irakiens - par leur incommensurable contribution en ces temps si déterminants de notre Histoire - auront leur place assurée. Cela fait 1425 jours et autant de nuits qu’ils font s’étaler, à la face du monde, toute la pourriture, l’impuissance et la dégénérescence des chacals étatsuniens. Plus que tout ce qui précède, ils explicitent que l’écroulement de l’Empire a commencé.

Traduction de l’espagnol pour El Correo de  : Manuel Colina

El Correo. Paris, 13 février 2007.

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