Portada del sitio > Argentina > Economía > Agroalimentario > Les "biopirates" de l’Amazonie s’en mettent plein les poches au Brésil
Le trafic de semences végétales ou de venin de mygale peut rapporter gros. Le Brésil ne sait plus comment lutter contre ces contrebandiers qui approvisionnent les laboratoires pharmaceutiques avides de nouveaux produits.
Par Herton Escobar
Courrier International
02/10/2003, Numero 674
O ESTADO DE SÃO PAULO
São Paulo
Joaquim Thiem, un Allemand qui, soi-disant, visitait l’Amazonie, a été arrêté en possession de vingt et une semences végétales, fin août, à son retour d’excursion dans le parc national du Pico da Neblina, à la frontière colombienne. Au même moment, un autre Allemand, Marc Baungarte, était arrêté en Amazonie avec un chargement de mygales. Ce ne sont là que quelques-uns des exemples de "biopiraterie" les plus récents survenus en Amazonie, où semences, insectes et fleurs se transforment en trésors inestimables destinés à l’industrie pharmaceutique et cosmétique.
Selon des estimations récentes de l’Institut brésilien de l’environnement (Ibama), la biopiraterie représente dans le monde un chiffre d’affaires d’environ 60 milliards de dollars, soit plus de 50 milliards d’euros par an. Soit une des activités illégales les plus lucratives de la planète, juste derrière le trafic d’armes et celui de stupéfiants. Les résultats d’une commission d’enquête parlementaire ont montré que le trafic d’animaux fait, à lui seul, perdre au Brésil environ 1 milliard de dollars par an.
Pour un contrebandier arrêté, nombreux sont ceux qui parviennent à traverser la frontière en emportant dans leurs bagages - ou même simplement dans leurs poches - des échantillons de la biodiversité brésilienne. Ces richesses sont destinées à être vendues à des laboratoires étrangers pour leurs recherches sur de futurs médicaments, crèmes ou parfums. Seule une infime partie deviendra effectivement un produit, mais le potentiel brésilien est tentant, ainsi que le bénéfice qu’en tirent les biopirates.
Selon José Carlos Araújo Lopes, de la Direction de protection environnementale (Dipro) de l’Ibama, un gramme de venin de mygale, recherché pour ses vertus analgésiques, peut atteindre jusqu’à 40 000 dollars sur le marché noir international. "Le fait est qu’il s’agit d’un trafic de grande ampleur, et le Brésil y perd beaucoup d’argent", ajoute-t-il. Calculer le montant exact du préjudice est quasi impossible, compte tenu de la subtilité de cette activité et des difficultés rencontrées pour la contrôler. "Le matériel collecté est si petit qu’on peut aisément le dissimuler dans des vêtements ou dans un bagage", explique Lopes.
Les estimations de l’Ibama diffèrent d’autres chiffres publiés auparavant. Elles font en effet une distinction entre la biopiraterie proprement dite et le trafic d’animaux sauvages, qui, avec un chiffre annuel de 12 milliards de dollars, se place au quatrième rang des activités illicites. Bien que présentant dans la pratique un grand nombre de caractéristiques communes, ces deux activités ont une finalité bien distincte. Le trafic d’animaux est orienté vers les collectionneurs, les magasins et les parcs zoologiques, alors que la biopiraterie vise l’obtention de brevets et la fabrication de produits à partir des substances extraites des spécimens collectés.
Le Brésil, qui abrite la plus grande biodiversité de la planète, est naturellement convoité par les deux types de trafiquants. Les "biopirates", selon Lopes, arrivent dans le pays en tant que touristes, essentiellement des Etats-Unis, d’Europe et du Japon. Depuis les aéroports du Sud-Est, ils se rendent dans la région amazonienne, où ils peuvent avoir les coudées franches, profitant de l’isolement et du dénuement des communautés locales.
"Ils font même appel à des enfants pour capturer les animaux, en échange de quelques pièces." Ces dernières années, des "touristes étrangers" ont été pris sur le fait alors qu’ils tentaient d’embarquer dans les aéroports avec des poissons, des papillons, des fourmis, différentes sortes de plantes, des semences et même des échantillons de terre contenant des champignons et des micro-organismes. Selon Lopes, les pirates viennent avec des objectifs clairement définis. "Normalement, ils se déplacent à la demande d’une institution ou d’un organisme de recherche", affirme-t-il. Ils cherchent presque toujours à approcher les communautés indiennes, qui, en raison de leur communion avec la nature, ont déjà sélectionné les espèces au plus fort potentiel. "Il s’agit de spécialistes. Ils connaissent parfaitement les failles de la législation et le manque de contrôle au Brésil."
Outre l’argent que leur rapporte la vente des échantillons, nombre de biopirates espèrent avoir leur part de bénéfices dans le développement de la recherche. L’industrie pharmaceutique regorge d’exemples montrant comment la biodiversité peut générer des produits de grande valeur, tant pour les entreprises que pour les patients.
D’après João Calixto, professeur de pharmacologie à l’université fédérale de Santa Catarina, 40 % des médicaments disponibles aujourd’hui ont été développés à base de produits naturels. Par exemple, la cyclosporine, un puissant immunosuppresseur, a été obtenue à partir d’un champignon, le Tolypocladium inflatum. La digoxine, utilisée pour le traitement de l’insuffisance cardiaque, est née de la digitale pourprée, et la toxine botulinique, ou botox, est, quant à elle, issue d’une bactérie, le Clostridum botulinum. La biodiversité brésilienne a donné le jour au captopril, l’un des antihypertenseurs les plus utilisés au monde, à partir du venin du serpent jararaca.
Mais tous les cas ne correspondent pas à l’appellation de biopiraterie. Le captopril, par exemple, a été légalement breveté par des étrangers grâce à des informations publiées par des chercheurs brésiliens, lesquels, ne bénéficiant pas d’infrastructures et du financement nécessaire, n’ont pu mettre au point ce médicament. Il existe d’autres exemples de brevets étrangers fondés sur la biodiversité brésilienne :
– l’extrait de l’espinheira santa [arbre du sud du Brésil] pour les maux d’estomac,
– la plante d’ayahuasca, mélange hallucinogène utilisé dans les rituels indiens,
– la pilocarpine, provenant du Pilocarpus jaborandi, pour le glaucome,
– le curare, venin dont étaient enduites les pointes des flèches, devenu un myorelaxant, et une substance de la peau du crapaud Epipedobates tricolor, utilisée comme anesthésique.
Une fois encore, d’un point de vue légal, il est difficile de dire combien de ces produits sont issus de la piraterie génétique.
Le concept moderne de "biopiraterie" est apparu en 1992, lors de la Convention sur la diversité biologique. Il n’existe cependant toujours pas de définition légale pour cette activité auprès de l’Organisation mondiale du commerce, qui serait apte à remettre en cause ces brevets. "De toute façon, tous sont des cas d’exploitation de la biodiversité brésilienne", affirme Cristina Assimakopoulos, avocate du Centre de la propriété intellectuelle de l’université fédérale de São Paulo (UNIFESP). "Et tous témoignent de l’utilisation de connaissances traditionnelles indiennes. Sinon, ils auraient difficilement attiré l’attention des laboratoires."