Accueil > Empire et Résistance > « Gringoland » (USA) > Les Etats Unis refuse d’admettre la vérité
Rares sont les Américains qui s’opposent publiquement à la campagne militaire actuelle des États-Unis en Afghanistan. William Blum, journaliste et essayiste, n’hésite pas à s’en prendre à son propre gouvernement. Depuis le 11 septembre, il prononce des discours sur les campus universitaires pour dénoncer la politique étrangère des États-Unis et expliquer pourquoi il ne se considère pas comme un patriote. La Presse l’a rencontré à Washington.
Par Alexandre Sirois
La Presse : Plus d’un an avant les événements tragiques du 11 septembre, vous avez publié un essai dans lequel vous affirmiez que la lutte des États-Unis contre le terrorisme était vouée à l’échec. Pourquoi ?
William Blum : Parce que l’Amérique refusait d’admettre la vérité. Si vous lisez les déclarations des politiciens américains et des gens des médias à la suite des attaques terroristes précédentes, vous voyez qu’ils pensent que nous avons été attaqués à cause de notre démocratie, de notre liberté, de notre niveau de vie, et ainsi de suite. Ils ne pouvaient pas admettre qu’il y avait un lien avec notre politique étrangère. Je savais que tout combat contre le terrorisme qui niait ça était voué à l’échec. Le plus important, c’est d’éviter qu’une chose si horrible se reproduise. Et si vous ne comprenez pas pourquoi c’est arrivé la première fois, ça risque de se reproduire.
Vous estimez que la politique étrangère américaine est en partie à la source des attaques terroristes dirigées contre les États-Unis ?
Dans mon livre, Rogue State, je donne une longue liste de choses que le gouvernement américain a fait subir aux peuples du Moyen-Orient au cours des 20 dernières années. Des choses qui auraient pu rendre n’importe qui très en colère contre l’Amérique. La destruction de deux avions libyens en 1981, le bombardement de Beyrouth en 1983-1984, le bombardement d’un bateau iranien en 1987, la destruction d’un avion de ligne iranien en 1988, le bombardement massif des citoyens irakiens en 1991, etc. Ce sont quelques-unes des actions qui peuvent transformer un Arabe ou un musulman en un fanatique. Les terroristes antiaméricains du Moyen-Orient ont été inspirés par des actes comme ça.
Vous soutenez que la politique étrangère américaine a également contribué à l’ascension des intégristes et d’Oussama ben Laden en Afghanistan et, parallèlement, à la formation de nombreux terroristes.
En Afghanistan, en 1978 et 1979, il y avait un gouvernement qui, si on le compare à celui des talibans, était merveilleux. Il accordait une liberté complète aux femmes, il tentait d’éradiquer l’analphabétisme, etc. Que s’est-il passé ? Les États-Unis ont décidé de faire tomber ce gouvernement parce qu’il était sympathique à l’Union soviétique. Ça a mis en branle un processus qui a mené les islamistes intégristes au pouvoir. (...) Les États-Unis ont provoqué la rébellion contre le gouvernement afghan en 1979. Ça a été reconnu par le conseiller pour la sécurité nationale du président Jimmy Carter, qui était en poste à l’époque.
Il a admis que six mois avant l’invasion soviétique, les États-Unis ont commencé à soutenir les moudjahidines en espérant provoquer une intervention soviétique. Et ça a fonctionné. Les États-Unis ont alors dépensé des milliards pour appuyer les rebelles. Ils les ont armés, entraînés, financés et leur ont donné un soutien politique. Ça a marché : ils ont chassé les Soviétiques pour ensuite former un gouvernement intégriste. Oussama ben Laden a été l’un des nombreux musulmans à se rendre en Afghanistan pour participer à cette guerre sainte. Et depuis le début des années 1990, il y a eu plusieurs cas où des vétérans de cette guerre ont commis des actes terroristes aux quatre coins du monde grâce aux aptitudes qu’ils avaient acquises là-bas.
Ne pensez-vous pas que le gouvernement américain risque de revoir plusieurs aspects de sa politique étrangère ?
Officiellement, aucun politicien américain ne peut dire que ce qui s’est passé se veut des représailles pour ce que nous avons fait. Aucun politicien n’aurait le courage de le dire, mais je suis sûr que plusieurs d’entre eux le savent. Y aura-t-il un changement dans nos politiques à moyen terme ? J’espère qu’il y en aura mais je ne peux pas en être sûr. En revanche, les bombardements en Afghanistan démontrent que, pour l’instant, c’est « business as usual ». S’ils arrêtent leur campagne après l’Afghanistan, ce sera bon signe. Mais j’ai bien peur qu’ils continuent. Qu’ils attaqueront ensuite l’Irak et je ne sais qui d’autre.
Alors que le patriotisme est à son comble, vous allez à contre-courant et vous le dénoncez.
George Bernard Shaw a déjà écrit que le patriotisme, c’est croire que votre pays est meilleur que tous les autres. La plupart du temps, les gens font preuve de patriotisme à l’endroit du pays où ils sont nés. Pourtant, c’est une question de hasard d’être né là où on est né. Le patriotisme c’est comme jeter deux dés et se dire qu’on sera loyal au chiffre qu’ils indiquent. Je suis loyal à certains principes : les droits humains, la démocratie politique, sociale et économique. Pas à un pays. Parce que ces principes sont bien plus importants que n’importe quel pays ou n’importe quel drapeau.
1er novembre 2001, La Presse. Washington
William Blum, ancien fonctionnaire du département d’État a écris l’État voyou, Parangon, 372 p., 18 euros.
Signalons aussi sur le même sujet, quoique traité de façon très différente, L’Empire du Chaos, les Républiques face à la domination américaine dans l’après-guerre froide. La Découverte, 188 p., 17 euros.