Accueil > Empire et Résistance > Le temps des doutes chez altermondialistes
La traditionnelle université d’été d’Attac, à Arles, a été l’occasion pour l’association altermondialiste de poursuivre un débat interne autour de son avenir. Stagnation des adhésions et interrogations sur la stratégie ont été au coeur des discussions.
Por Thierry Brun
Politis n° 815, 2 septembre 2004
« Les effectifs d’Attac France, explique posément Susan George, n’augmentent plus ou régressent. Rien d’étonnant à cela. Les gens se lassent quand ils ne gagnent jamais, ou quand ils ne voient même pas l’objectif... » L’une des figures du mouvement altermondialiste, vice-présidente d’Attac, résume ainsi ses craintes dans une récente contribution destinée à alimenter les débats sur l’avenir de l’association altermondialiste, qui a organisé son université d’été du 25 au 29 août à Arles. Susan George évoque une association « qui prend énormément de temps. Tous les responsables des comités locaux vous le diront. La prolifération de groupes de travail et de commissions dans Attac au sujet de tout et de n’importe quoi décourage bon nombre de nos militants ».
Les altermondialistes d’Attac douteraient-ils d’eux-mêmes ? L’association française n’est pas la seule, témoigne un représentant d’Attac Espagne dans la grande salle du palais des congrès d’Arles, qui a accueilli la conférence d’ouverture des travaux de l’université, à laquelle ont pris part une soixantaine d’intervenants. « Il est nécessaire d’avoir un profil clair. C’est un grand danger en Espagne, certaines personnes quittent Attac parce qu’elles ont l’impression que c’est un club de réflexion. »
Pourtant, « les victimes du néolibéralisme sont objectivement très nombreuses. Il faut qu’on ratisse large », a insisté le président d’honneur, Bernard Cassen, indiquant que l’ouverture aux milieux populaires est « un des principaux défis que doit relever Attac dans les années à venir ». Des statistiques établies par l’association, rappelées à plusieurs reprises pendant l’université, soulignent que les enseignants et chercheurs représentaient près de 19 % des militants en 2002, les retraités 18 %, les cadres et professions libérales 10 %, les ouvriers n’apparaissant pas dans les statistiques.
Président d’Attac depuis bientôt deux ans, Jacques Nikonoff reconnaît une « stagnation » de l’association alors qu’elle espérait franchir le cap des 35 000 adhésions. L’association comptait 30 700 adhérents en 2003, répartis en 250 comités locaux. Les 3 000 adhésions nouvelles de cette année sont « dues aux moindres mobilisations sociales, explique Jacques Nikonoff. Attac se renforce dans l’action et l’initiative, et c’est d’autant plus important pour des classes sociales en difficulté. » Passant aux actes, et retardant les travaux de l’université, les dirigeants d’Attac et près de 200 militants se sont rassemblés devant l’usine Lustucru d’Arles, pour apporter leur soutien aux salariés en conflit depuis cinq mois avec leur direction.
Au-delà de ce soutien ponctuel, François Dufour, représentant la Confédération paysanne dans le bureau national, a poussé un coup de gueule très applaudi. « Je crains que notre mouvement stagne et déçoive. Je fais partie des petits paysans qui prennent en pleine figure les effets de la mondialisation libérale. Nous sommes désabusés, petit à petit les paysans disparaissent. Personne ne nie qu’Attac est une réussite, mais nous sommes dans l’attente d’actions. Et ce qui nous manque, c’est justement de réussir un certain nombre de dynamiques. »
Un des organisateurs de l’université, le comité Attac Pays d’Arles, a manifesté son souhait que celle-ci soit aussi « un temps d’échanges, de réflexions, de travail » qui prenne en compte « le rapport d’Attac au politique » et à sa démocratie. Le comité a pris l’initiative de recueillir par écrit les contributions des participants et de les remettre au bureau national d’Attac. Certains y ont écrit quelques mots sur la récente confusion née des listes 100 % altermondialistes aux européennes. Ainsi, José, d’Attac Arles, ressent « un malaise au sujet des listes 100 % altermondialistes. On s’est senti piégés », dit-il. Malgré les multiples mises au point du CA et de Jacques Nikonoff. Et « le mouvement social a pris des coups importants, reconnaît le président du conseil scientifique d’Attac, l’économiste Dominique Plihon. Il y a un climat morose, pour ne pas dire pessimiste, même dans les organisations syndicales. Notre défi est de reprendre l’offensive dans l’action. Si on ne le fait pas, qui le fera ? »
Tout au long de l’université, et notamment dans une conférence sur les composantes d’Attac, Bernard Cassen, Susan George, Bernadette Jonquet, représentante des comités locaux au CA, Jacques Nikonoff et Dominique Plihon ont pu mesurer l’importance de ces vagues à l’âme. Ils ont dû aussi affronter la critique d’un membre du conseil d’administration. Le syndicaliste de l’Union syndicale G10-Solidaires Pierre Khalfa a tancé vertement « un bureau qui joue un peu trop le rôle de bureau politique, avec une conception pyramidale de l’association et des pratiques de type verticaliste et autoritaire. Il faut une rupture radicale avec le style de direction actuelle. »