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13 janvier 2005

Le shérif Giuliani fait la loi à México

 

L’ancien maire de New York est l’artisan du plan de « culture civique » appliqué dans la capitale

Le Figaro, 13 janvier 2005

Depuis douze ans, Ramon est « propriétaire » d’un tronçon de la rue Lafontaine, dans le quartier chic de Polanco. Comme tous les franeleros de Mexico, il aide les voitures à se garer, lave les pare-brise, rend de menus services au voisinage, percevant au passage l’équivalent de 300 pesos (une vingtaine d’euros) par jour. Une appropriation illégale de l’espace public sur laquelle les policiers ferment les yeux... « Ils demandent juste dix ou vingt pesos pour s’acheter une boisson fraîche », lâche Ramon, qui ne semble craindre ni procès-verbal ni arrestation. Depuis le 1er août, franeleros, prostituées, clowns-mendiants faisant leur numéro aux feux rouges et autres « petits métiers » de Mexico ne sont pourtant plus tolérés, en vertu d’une très controversée loi de « culture civique ». Les propriétaires de chien doivent désormais ramasser les déjections de leurs protégés. Organiser des courses de voitures, espionner son voisin ou boire de l’alcool dans la rue sont devenus des actes répréhensibles.

Ces mesures de choc, quelque peu surréalistes dans ce maelström de vingt-deux millions d’habitants, sont issues d’un plan de lutte contre la délinquance conçu par Rudolph Giuliani, ancien maire de New York devenu consultant. Le 7 août 2003, après un an d’études et 4,3 millions de dollars d’honoraires, Giuliani Group LLC remettait au maire de Mexico un ensemble de 146 recommandations inspirées du principe de « tolérance zéro ». Persuadé qu’« accepter des infractions mineures génère une ambiance qui favorise les délits plus graves », Giuliani propose de nettoyer la ville de ses franeleros, mais aussi la systématisation de la prison comme arme de dissuasion, l’installation de caméras de surveillance, l’augmentation du salaire des policiers ou l’utilisation de détecteurs de mensonges pour démasquer les corrompus.

Une recette répressive qui a fonctionné à New York, devenue sous l’ère Giuliani la ville la plus sûre des Etats-Unis avec un taux de délinquance réduit de 60%, mais qui laisse dubitatif René Jimenez Ornelas, spécialiste de la violence sociale au sein de l’Université autonome de Mexico : « Vouloir appliquer les recommandations Giuliani chez nous traduit une véritable méconnaissance tant les deux villes, économiquement et culturellement, sont dissemblables. Le New York des années 90 était celui de la reprise et des créations d’emploi. Le Mexico des années 2000 est synonyme de chômage et d’explosion du travail informel. »

Un marasme qui s’est par exemple traduit par une vague sans précédent de kidnappings, véritable cauchemar des chilangos (surnom des habitants de Mexico) : « Cela peut arriver à n’importe qui, n’importe où, déplore Maria Elena Morera, présidente de « Mexico unido contra la delincuencia », une association qui vient en aide aux familles. Les victimes ne sont plus seulement les gros industriels, qui peuvent se payer des voitures blindées et des gardes du corps, mais des étudiants, des petits commerçants, enlevés à la sortie de l’université ou devant leur maison, et que l’on contraint à retirer de l’argent, à plusieurs distributeurs. Ces « kidnappings express » ne sont pas toujours dénoncés au commissariat du quartier, d’autant plus que celui-ci est parfois impliqué dans ces affaires, comme le rapporte régulièrement la presse mexicaine. « La police de Mexico n’est pas celle de New York, soupire Maria Elena Morera. Le revenu moyen des 78 000 policiers du district fédéral est de 3 500 pesos par mois (370 dollars Can), à peine plus que le salaire minimum... Alors ils se paient sur les citoyens ! » Des pratiques qui ont miné la crédibilité de toute l’institution : le 23 novembre dernier, deux policiers en civil qui surveillaient une école ont été lynchés, immolés et tués par une foule hystérique qui les avait pris pour des kidnappeurs. Une véritable affaire d’Etat qui a coûté son poste au patron de la police de Mexico, Marcelo Ebrard.

Malgré ce contexte difficile, les enlèvements seraient quatre fois moins nombreux aujourd’hui qu’il y a six ans ; le nombre quotidien de délits rapportés à la police est passé de 487 (en 2002) à 444 (prévision 2004) ; et 25 000 délinquants ont été remis aux autorités judiciaires sur les dix premiers mois de cette année, propulsant la population carcérale à des niveaux records. Un premier bilan qu’Andres Manuel Lopez Obrador, maire de gauche de Mexico et favori des sondages pour la présidentielle de 2006, met au crédit de sa nouvelle politique de sécurité, mais qui divise profondément ses administrés. « La délinquance baisse car la croissance économique est de retour. Ces 146 mesures ne sont qu’une déclaration de guerre contre les pauvres de la capitale », assure René Jimenez Ornelas. « Il faut continuer dans cette voie, et mettre la sécurité au centre du débat public », estime au contraire Laura Elena Herrejon, fondatrice de Pro-Vecino.

Une volonté de changer la ville qui s’est imposée avec fracas lorsque Pro-Vecino, qui encourage la délation auprès de la police et la solidarité entre voisins, a appelé avec d’autres associations, le 24 juin dernier, à une manifestation contre la délinquance et les kidnappings : près d’un million de chilangos - un record - avaient alors envahi les rues de Mexico.

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