Portada del sitio > Los Primos > Colombia > Le sextennat vide de la Colombie.
D’où vient alors ce 84 % de popularité ?
Ils ne sont pas tant, additionnés, les favorisés par ce gouvernement.
Par Antonio Caballero
Semana. Bogotá, le 26 avril 2008.
Au bout de six ans de gouvernement, les enquêtes montrent que le président Alvaro Uribe a une popularité de 84 %, et qu’elle continue de grandir. Une question s’impose: pourquoi ?
Laissons de côté le sujet de la légitimité, mise sous soupçon par l’origine paramilitaire et inévitable d’un bon tiers des votes populaires de l’uribisme tant dans la première et que dans la deuxième élection, et aussi dans le cas de cette dernière par la trouble manipulation des votes parlementaires d’Yidis et de Teodolindo qui l’ont rendue possible. Une illégitimité d’origine peut se trouver politiquement compensée et pardonnée par un succès pratique.
Mais ce qui plus évidente encore que son illégitimité d’origine, c’est le manque absolu de succès des gouvernements d’Uribe sur tous les champs imaginables : dans le politique, dans l’économique, dans l’administratif, dans la morale. Regardez-par où voulez vous, cela saute aux yeux que pour 84 pour cent des Colombiens cela ne s’est pas bien passé durant cette période de six ans, et non plus pour la Colombie prise dans son ensemble. La pauvreté persiste, la violence ne recule pas, la corruption augmente (bien que pas au point qu’elle puisse favoriser 84 de chaque 100 Colombiens). Et le chômage augmente aussi, sauf dans le secteur de la politique : chaque homme politique uribiste a au moins un fils ambassadeur, et même à la modeste Yidis, ils lui ont promis trois postes et un consulat (bien qu’ils lui aient posé un lapin). Tout va mal, et cela va être pire encore. Par où commencer ?
Ces fonctionnaires nommés par Uribe, du ministre vers le bas : ineptes, ou nuisibles, ou dans le meilleur des chaos, inoffensifs. Après trois ministres des affaires étrangères successifs, dont la première parlait anglais, la deuxième français et le troisième on ne sait pas, il ne répond pas, l’isolement diplomatique de la Colombie est plus grand que jamais dans son histoire. Entourée des voisins hostiles (le Venezuela, le Nicaragua, l’Équateur), il lui reste seulement, l’alliance moribonde avec les États-Unis, qui ne lui a même pas servi à ce que soit approuvé le si souhaité (par Uribe) Traité du Commerce Libre (TLC). Soixante-trois parlementaires des deux partis et les deux candidats potentiels présidentiels du parti Démocrate (USA) critiquent Uribe, qu’il qualifie d’ignorants, et jusqu’à l’ambassadeur de Bush qui le censure et lui envoie des avertissements. Après trois ministres des Finances successifs la croissance de l’économie colombienne est la plus basse de la région, et le chômage est le plus haut (malgré la croissance du fleuve de l’émigration, qui a déjà mené un dixième de la population du pays à chercher du travail à l’étranger). Avec un Ministre de l’Agriculture recommandé par le président Uribe comme le leader de l’avenir du secteur agricole, il s’enfonce lamentablement, il a expulsé vers les villes un autre dixième de la population, il a transformé le pays d’exportateur qu’il était en importateur de denrées alimentaires. Dans l’agriculture seules les cultures illicites progressent (et peut-être ce serait une bonne chose de commencer à interdire et de persécuter la culture du maïs, pour voir si elle s’améliore). Deux ministres de l’Environnement, l’une nuisible et l’autre anodin, ont confié les forêts aux entreprises du bois et ont fumigé les parcs naturels. Un Ministre inamovible du Transport a mené de travers tous les appels d’offre de travaux publics, crucifiant la Nation dans des coûteux procès perdus, et a été incapable de finir (ou même de commencer) une route ou un port ou un pont ou un tunnel.
La sécurité démocratique, peut-être? La défense, l’ordre public? Oui. Sans doute, c’est cet aspect qui a le plus fait pour maintenir dans les nuages la popularité du président Uribe. Une fanfaronnade de « dur » de quartier comme fut le bombardement du campement des Farc sur le territoire équatorien qui a flatté les plus bas instincts du patriotisme, et d’un coup il a obtenu un « positif vrai » dans la cataracte de « faux positifs » que le Ministère de Défense présentait : la mort d’un des membres du Secrétariat des Farc. Avec un coût diplomatique extraordinaire, résultat de la violation du principe panaméricain du respect des frontières. Avec un coût moral incommensurable, la main coupée en échange d’une récompense en espèces, a scellé le sort d’un autre membre du Secrétariat. Le coût économique de la guerre contre la guérilla a aussi été considérable : en hommes de troupe, en armement, en pots-de-vin, en subventions pour des déserteurs. Et du trottoir d’en face, cela a aussi été immense en argent et en érosion de la justice, le paramilitarisme qui continue presque intact. Il y avait douze mille paramilitaires, quarante mille se sont livrés et plus de huit mille restent, dont la violence continue.
La santé est en faillite : les hôpitaux fermés, les EPS [1] dans des mains des narcoparapoliticiens, et au bord de la privatisation, même l’Hôpital Militaire.
Ah ! Celui du DAS [2].
Ah ! Celui du cousin et des autres soixante uribistes en prison.
Et entre-temps, le Président a réussi à se fâcher avec presque tout le monde dans le pays. Avec les Hauts Tribunaux de Justice. Avec les étudiants et les profs. Avec les parents des otages. Avec les partis de l’opposition. Avec les syndicats. Avec la presse.
D’où vient-il alors ce 84% de popularité ? Ils ne sont pas tant, additionné les favorisés par ce gouvernement : des dénonciateurs récompensés, politiciens véreux sous contrat, des entrepreneurs (nationaux et étrangers) bénéficiant des allocations et des exemptions d’impôts et des contrats de « stabilité juridique » pour ceux qui pactisent des avantages fiscaux et douaniers. Ils sont, à tout casser, environ cent mille personnes.
Les autres du 84% ne sont pas uribistes de conviction, mais uribistes de foi. La foi, c’est croire en ce que nous ne voyons pas.
Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi
Notes d’El Correo :