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25 février 2004

Le référendum révocatoire contre Chavez au Venezuela, attise le débat politique et exacerbe les tensions

 

Dans un climat politique tendu, partisans et opposants du président Hugo Chavez, au pouvoir depuis cinq ans, sont à couteaux tirés et les incidents se multiplient. Le Conseil national électoral devrait statuer sur la tenue d’un référendum révocatoire du mandat présidentiel, réclamé par l’opposition, d’ici au 29 février.

Par Martin Foster
Le Courrier, le 24 Février 2004

Dix-huit janvier 2004, sur l’avenida Urdaneta, au centre de Caracas. Un homme court, poursuivi par une dizaine d’assaillants armés de tuyaux métalliques et de bâtons. Ils le rattrapent, le jettent à terre et le rouent de coups, indifférents à ces supplications. Quelques minutes plus tôt, sur la plaza Bolivar, des militants du MAS [1] ont été agressés, six d’entre eux blessés. Les médias privés, farouchement opposés au président Hugo Chavez, accusent des « officialistes » (les chavistes) et tirent à boulets rouges sur le gouvernement : « Ces faits mettent à nu l’asphyxiante impunité encouragée au Venezuela par un procureur général et un défenseur du peuple (...), en complicité avec ce régime totalitaire. [2]. Le ton est donné. La trêve de fin d’année est terminée, les incidents et provocations entre partisans et opposants (une partie de l’opposition est regroupée dans la « Coordination democratica ») se multiplient. Le débat qui fait rage et qui exacerbe toutes les passions, c’est la validation des signatures récoltées par l’opposition, dans le but d’organiser un référendum visant à destituer Chavez.

Décision reportée

La nouvelle constitution « bolivarienne », approuvée par le peuple en décembre 1999 [3], permet en effet de révoquer par voie référendaire le mandat de n’importe quel élu, même le président de la République [4].

Dans le cas de Chavez, il faut 2,4 millions de signatures pour qu’un référendum soit organisé. L’opposition affirme en avoir récolté 3,4 millions, les chavistes n’en reconnaissent que 1,9 million et parlent de « mégafraude », des listes ayant - selon eux - été truquées à l’aide de signatures répétées et celles de morts miraculeusement ressuscités.

Au milieu de la tourmente, le Conseil national électoral (CNE), chargé de vérifier une à une chaque signature et sur qui pèse la responsabilité d’un verdict qui déterminera la suite des événements, voire, selon certains, l’avenir du régime. D’abord attendue pour le 13 février, la décision du CNE a été reportée - pour des raisons techniques - à la fin du mois, ce qui n’a fait qu’exacerber les tensions. Depuis plusieurs jours, des chavistes campent bruyamment devant le bâtiment du CNE, alors que leurs adversaires appellent à de nouvelles manifestations. Car le résultat de la vérification ne pourra que mécontenter l’une ou l’autre des parties. Si les signatures ne sont pas validées, l’opposition, relayée par les grands moyens de communication nationaux et internationaux, criera à la fraude, et tentera peut-être des actions déstabilisatrices.

Fausses signatures ?

La grève - principalement dans l’industrie pétrolière - entre décembre 2002 et janvier 2003, dont les répercussions sur l’économie ont été désastreuses, est encore dans tous les esprits. Si le référendum avait finalement lieu, toute l’énergie du pays se concentrerait sur cette échéance, qui aurait alors lieu cet été. Entre-temps, le gouvernement a confirmé que des élections régionales seront organisées comme prévu en août 2004, ce qui a eu pour effet immédiat de diviser encore un peu plus l’opposition, partagée entre les partisans d’un boycott et ceux qui pensent qu’il faut combattre Chavez sur les deux fronts, référendaire et électoral.

La division de l’opposition ainsi que les filtres constitutionnels prévus pour rendre une révocation peu vraisemblable permettent à Chavez d’affirmer avec assurance que, s’il venait à perdre un éventuel référendum, il s’en irait pacifiquement. Et pour troubler encore un peu plus le jeu, il a annoncé, le 13 février, que si le CNE confirmait la tenue du référendum, il en appellerait au Tribunal suprême de justice. Motif invoqué : 30% des signatures seraient fausses. Manoeuvre dilatoire selon l’opposition, destinée à reporter le référendum au-delà du 19 août 2004, date après laquelle il ne serait constitutionnellement plus possible d’effectuer une élection présidentielle, ce qui laisserait le vice-président José Vicente Rangel, allié de Chavez, gouverner jusqu’en 2007.

Semblant ignorer les embûches dont le référendum révocatoire est semé, l’opposition en a fait son cheval de bataille, et, malgré ses dénégations, son unique programme politique.

La faiblesse programmatique et organisationnelle de l’opposition ne doit pas occulter sa capacité de déstabilisation, que ce soit en termes d’appels à la grève ou de soulèvement militaire. Mais jusqu’à présent, Chavez est toujours sorti renforcé des épreuves qui lui ont été imposées. Même si le référendum devait finalement avoir lieu, le président conserve toutes ses chances pour l’emporter. Dans l’intervalle, la tension ne baissera pas.

Une économie « à deux mains »

Confronté à une crise de développement dans une économie globalisée, le président Hugo Chavez a choisi une troisième voie, un capitalisme de type keynésien, orienté sur les besoins des secteurs les plus défavorisés. Ce faisant, il s’est heurté aux partis traditionnels et à leur clientèle, qui ont senti le pouvoir politique leur échapper. Revenant sur son refus initial de payer la dette externe « illégale », Hugo Chavez , une fois élu, a mis de l’eau dans son vin en déclarant que le capital étranger serait bienvenu, mais dans des conditions favorables à l’intérêt national. Pour lui, l’Etat doit intervenir dans la réduction de la pauvreté et l’amélioration de la sécurité sociale.

Le gouvernement n’a pas procédé à de nouvelles nationalisations, des privatisations ont même été engagées. Avec toutefois une intention de retenir un certain contrôle de la part de l’Etat, selon la formule d’une « économie à deux mains », la main invisible du marché et la main visible de l’état.

Chavez a d’abord mis l’accent sur la réforme de l’Etat avec comme priorité la lutte contre la corruption, qui engloutit 15% du budget de l’Etat et est à l’origine d’une évasion fiscale supérieure au déficit budgétaire. Cette corruption, qui empêche la distribution des richesses et bloque l’ascenseur social. Le Venezuela est d’abord partagé entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas de relations au sein de l’appareil bureaucratique.

Mais, pour appliquer son programme social-démocrate à contre-courant des tendances actuelles, Chavez ne se contente pas d’une gestion rationnelle de l’économie, louée par les observateurs les plus lucides. Il a choisi, pour résister aux tentatives ininterrompues de déstabilisation dont il fait l’objet depuis son accession au pouvoir, de s’appuyer et d’en appeler sans cesse à sa majorité électorale, composée principalement des plus démunis de la société vénézuélienne.

Rhétorique désarmante

D’où sa rhétorique enflammée contre l’oligarchie et ses attitudes théâtrales, parfois provocatrices, qui lui ont valu sa renommée « populiste ». Son programme dominical, « ¿Aló Presidente ? », sur la chaîne de télévision publique VTV, est toujours un événement : on le voit dialoguer en direct avec le public, en abordant de manière informelle et décontractée les thèmes les plus divers, de la politique au base-ball, en passant par des conseils personnels aux téléspectateurs qui l’interpellent en direct. Chavez est un artiste de la communication, à la rhétorique désarmante, et, face aux manoeuvres de l’opposition, il prend le peuple - son peuple chaviste - à témoin. Ses partisans l’adorent et lui vouent une admiration presque mystique, comme dans leur slogan « tu n’es pas Chavez, tu es le peuple ». Ils s’identifient à lui, issu comme eux d’un milieu modeste, qui les comprend et parle leur langage.
De l’autre côté, ses opposants n’hésitent pas à recourir à des slogans et des graffitis racistes d’un autre âge. Même si le clivage ethnique entre partisans et opposants n’est pas aussi marqué qu’on a parfois pu le dire, il n’en est pas moins réel, chargé d’une dimension symbolique importante : la revanche - après deux siècles d’histoire tourmentée - des indiens, noirs et métisses sur les créoles blancs et leurs descendants modernes de l’oligarchie.

« Chavez leur a redonné l’espoir »

Ils étaient des dizaines de milliers, dans les rues de Caracas ce 23 janvier 2004, chômeurs, vendeurs à la sauvette ou employés, mais aussi universitaires ou retraités. Tous venus soutenir « leur » président Hugo Chavez, à l’occasion d’une des nombreuses manifestations qui rythment la vie du pays.

Jeilson [5], le regard enjoué, jovial, une casquette « chaviste » rouge vissée sur la tête : « Ce que Chavez a fait et continue à faire pour les plus humbles est immense, il a leur a redonné la foi et l’espoir, il faut l’avoir vu dans leurs yeux. » Le regard de Jeilson brille : « Sans éducation les choses ne changeront pas. Grâce aux missions « Robinson », « Rivas » ou « Sucre », (des programmes d’alphabétisation, ndlr), un million de Vénézuéliens ont été alphabétisés l’année passée, alors qu’ils n’étaient que 15 000 sous les gouvernements précédents. » « Avec la mission « barrio adentro » [6], les gens des « cerros » (collines autour de Caracas, envahies par l’urbanisation sauvage, ndlr) ont pour la première fois de leur vie accès à un médecin ou une infirmière. »
Eudomar est ouvrier, lui aussi est venu soutenir Chavez, « notre président » dit-il respectueusement. « Nous développons des programmes sociaux dans notre quartier. Moi, je ne suis pas un intellectuel, je vis cette révolution à la base, de nouvelles relations de solidarité se sont tissées entre les habitants du quartier. » Solidarité, espoir, dignité, ces mots reviennent souvent. « Les riches raillent ce processus, ils disent que c’est la révolution des édentés », explique Jeilson. « C’est vrai, beaucoup sont édentés, et pour cause, ils n’ont jamais eu accès à un dentiste. »

Mariela, la quarantaine, travaille dans le design de vêtements. Elle a perdu son emploi en 2003, en raison de ses opinions pro-Chavez. « Cette oligarchie refuse le verdict des urnes, car Chavez est en train de leur enlever leurs privilèges, eux qui vivaient du pillage des biens de la nation. Il a lentement mais sûrement démantelé ce système de rapine, mais de manière démocratique, grâce aux mécanismes légaux prévus dans la Constitution bolivarienne. » « Le peuple ne laissera pas Chavez partir. Et s’il lui arrive quelque chose, ce sera la guerre civile, les gens descendront dans la rue. »

Notes :

Notes

[1Mouvement vers le socialisme, formation issue de l’extrême gauche. Le MAS a d’abord soutenu Chavez avant de s’en distancier et de rallier l’opposition.

[2El Universal, Caracas, 19 janvier 2004. En revanche, VEA, quotidien « officialiste », n’évoquera pas l’incident. »

[3Entre novembre 1998 et mai 2000, pas moins de 6 processus électoraux, destinés à consolider les institutions et la base populaire de Chavez, ont rythmé la vie politique du pays.

[4Un élu peut être destitué après la moitié de son mandat, si au moins 20% des électeurs inscrits de sa circonscription ont signé un référendum révocatoire. Ce même élu doit ensuite être révoqué en votation populaire par un nombre de voix au moins égal à celui avec lequel il a été élu (57% pour Chavez), sans oublier un quorum de participation de 25%. Le référendum révocatoire est ainsi pourvu d’un triple filtre qui rend son aboutissement incertain.

[5Jeilson est professeur de musique à la retraite

[6Littéralement « au coeur du quartier ». Il s’agit d’un programme d’assistance médicale aux plus défavorisés. Depuis sa création en 2003, plus de 18 millions de consultations ont été effectuées.

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