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Par Francesca Pilla
Il Manifesto, 6 Octobre 2003
«Chaque citoyen a un droit à l’alimentation»
. Le ministre pour la lutte contre la faim, Carlyle Ramos de Olivera Vilarinho, illustre la stratégie du Gouvernement brésilien pour éradiquer le phénomène de la malnutrition qui frappe le Brésil. Un projet qui, avertit le représentant du président Lula, ne se traduira pas en allocation d’une aide financière directe sous la forme de subvention, comme le font les pays du Nord, mais devrait permettre de jeter les bases d’une véritable relance de la production et de la vente de produits locaux, dans le but d’assurer la sécurité alimentaire des citoyens brésiliens. Un projet qui pourrait servir de modèle aux pays du Sud. Interview.
Durant un jour au moins, le Brésil, le Kenya et le Guatemala ont eu l’opportunité de dénoncer les politiques économiques occidentales qui augmentent «la souffrance des damnés de la terre». L’occasion a été offerte par les responsables du concours littéraire «Prix Naples» qui, au terme d’une rencontre consacrée au thème «Pauvreté, inégalités et monde globale», ont invité trois «témoins directs» des contradictions du libre marché à soutenir les arguments des pays en développement. Le public venu assister au débat a pu se faire une idée - à travers les propos de Rigoberta Menchú, la voix des Indiens, Prix Nobel de la paix, d’Alex Zanotelli, missionnaire combonien, et de Carlyle Ramos de Olivera Vilarinho, un représentant du Gouvernement brésilien - des difficultés que subissent trois milliards de personnes souffrant de malnutrition et de leur lutte contre «l’individualisme et la terreur» des classes dominantes.
Très sollicité, M. Vilarinho a souligné l’importance pour son pays de la mise en place du projet «Zéro faim et soif» que le gouvernement du président brésilien Inacio Luiz «Lula» da Silva a promu pour «modifier les rapports de force et réduire les disparités qui existent entre la population riche et celle qui vit au-dessous du seuil de la subsistance». Un projet qui, selon ce ministre adjoint, ne se bornerait pas à offrir une aide financière directe sous la forme de subvention, mais permettrait de jeter les prémisses d’une véritable relance des économies locales. Ministre extraordinaire pour la sécurité alimentaire et la lutte contre la faim, M. Vilarihno a invité les «puissances industrialisées» à prendre conscience de la réalité, car si jusqu’à aujourd’hui les pays riches n’ont fait qu’exploiter pour leur compte les richesses et les matières premières des pays du Sud, le moment est venu, selon lui, d’adopter un engagement formel pour la «construction de l’identité» des populations les plus défavorisées.
Le projet «Zéro faim et soif», qui a eu une vaste écho en Italie, affiche des ambitions élevées. Le Gouvernement brésilien a affirmé qu’il résoudra en quatre ans le problème de la malnutrition qui affecte des millions de citoyens. Comment entend-il réaliser ce projet?
– Le Brésil est le quatrième exportateur dans le monde de produits destinés à l’alimentation, mais il souffre d’une contradiction très forte: quelque 44 millions de Brésiliens pâtissent quotidiennement de la faim parce qu’ils n’ont pas de quoi se nourrir. Le président Lula pense que chaque citoyen a un droit à l’alimentation. Pour cette raison, il a affirmé, le premier jour de son mandat, que l’objectif du gouvernement est de permettre à toute la population de consommer trois repas par jour, le matin, à midi et le soir. Nous entendons lutter contre la faim en menant des actions concrètes et véritablement opérationnelles. L’expérience a montré qu’une «assistance directe» ne résoudrait pas le problème. Ce type d’aide a été mis en place par les pays riches, qui se limitent à verser des sommes aux pays du Sud au lieu d’entreprendre des projets sérieux visant au développement des économies locales. Forts de ce constat, nous avons lancé des projets afin d’opérer des changements structurels qui permettraient l’«inclusion» effective de tous les citoyens dans le tissu social.
Quels sont ces projets?
– Chaque femme qui assume la fonction de chef de famille reçoit un crédit de 50 réais (environ 30 francs), avec lesquels elle peut acheter des produits exclusivement alimentaires. L’argent qui va être alloué doit être dépensé pour acquérir des produits locaux, ce qui permettra d’aider l’agriculture familiale. Il s’agit d’une véritable révolution commerciale pour le pays, car nous allons relancer l’économie intérieure à travers la production et la vente locales. Dans le passé, les produits issus des cultures locales ne parvenaient pas à circuler suffisamment dans le marché, les gens n’ayant pas l’argent pour les acheter. Parallèlement à cette mesure, nous garantissons aux familles l’accès à tous les services que l’on considère comme des droits indispensables à la dignité de la personne, tels que la santé et l’instruction. Dans les huit derniers mois, par exemple, quelque huit cents femmes de l’Etat du Piauí, l’un des plus pauvres du Brésil, ont appris à lire et à écrire, tandis que les agriculteurs percevaient enfin les premiers gains pour leur récolte saisonnière. Nous avons aussi pris d’autres initiatives dans le but d’améliorer le niveau de vie de la population. Autre exemple: nous avons décidé d’éliminer les décharges géantes dans les villes pour les remplacer par des restaurants communautaires dans lesquels seront engagés les anciens employés des décharges, qui obtiendront ainsi une requalification de leur statut de travailleurs. L’action du gouvernement vise également à soustraire les mineurs du monde du travail. Nous concentrons à cet effet notre attention sur le problème des enfants-esclaves.
Dans les pays développés, la recette pour rétablir les comptes publics consiste à couper dans les dépenses sociales, au chapitre du welfare state. Le Brésil, lui, veut aller à contre-courant de cette tendance. Où allez-vous trouver l’argent pour faire face à vos engagements?
– Il est vrai que nous avons peu de fonds à notre disposition, mais l’administration a décidé d’engager toutes les ressources disponibles dans le welfare. Un exemple: nous avons décidé de ne plus procéder à des achats d’armes. L’argent que nous aurions dépensé pour nous doter d’un nouvel armement, nous le dépenserons pour lutter contre la faim, notre véritable combat. Ces derniers mois, par exemple, nous avons refusé d’acquérir des avions de combat. Ce faisant, nous avons économisé environ 800 millions de dollars. Un montant que nous allons injecter dans la trésorerie du projet «Zéro faim». Il faut savoir que le président Lula est originaire des zones du nord-est du Brésil. Il s’agit des régions les plus démunies du pays. Il a vécu dans sa chair les affres de la pauvreté. Il sait ce que cela signifie. Réduire la faim et la malnutrition, ce n’est pas uniquement un défi, c’est l’unique projet de notre gouvernement, celui que nous devons réaliser coûte que coûte.
Que peut faire l’Occident?
– La dette du Brésil affiche environ 360 milliards de dollars. Le pays paie environ 20 milliards d’intérêts par an. Pour faire avancer concrètement le projet «Faim zéro», nous avons besoin de l’aide de la communauté internationale. En Italie, une association soutenant notre projet vient de voir le jour. Elle vise à sensibiliser votre pays sur une série de questions qui pour nous sont tout simplement vitales. De nombreux projets sont déjà en phase d’élaboration. Certains présidents des régions italiennes se sont par exemple engagés à soutenir, au Brésil, la création de nouveaux élevages de bétail, à financer l’agriculture familiale et la construction de citernes d’eau dans le nord du pays. Mais il est avant tout très important que l’Occident admette que, jusqu’à aujourd’hui, il a fait main basse sur les ressources du Sud en exploitant les matières premières appartenant aux populations les plus défavorisées, au Brésil et dans le monde. En somme, il doit reconnaître qu’il faudra investir dans la reconstruction de l’identité de notre pays, parce que l’Occident se doit de placer au premier rang de ses intérêts l’objectif de la dignité des peuples du Sud. Un objectif qui ne peut être atteint qu’avec la réalisation personnelle de chaque homme et de chaque femme.
Traduction et adaptation: Fabio Lo Verso
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Lula aussi est un OGM
NEWTON CARLOS, RIO DE JANEIRO
Il Manifesto
– ALIMENTAIRE: Le président brésilien a signé un décret (provisoire, NDLR) qui permet l’utilisation de semences génétiquement modifiées, cédant aux pressions des géants de l’agrobusiness.
Un autre tabou vient de tomber au Partido dos trabalhadores, le Parti des travailleurs (PT) de «Lula» da Silva, celui du «refus» des organismes génétiquement modifiés. Le vice-président du Brésil, José de Alencar, a signé, la semaine dernière, en l’absence de son président en voyage à l’étranger, un décret provisoire qui «libère» la production de soja génétiquement modifié. Une gifle humiliante pour la ministre de l’Environnement, Marina Silva, la compagne de Chico Mendes dans la lutte pour la défense de l’Amazonie. M. Alencar, qui n’est pas issu du PT et qui appartient à un Parti libéral qui se nourrit d’une forte présence évangélique, avait pourtant résisté jusqu’au dernier moment, en prétextant des «empêchements légaux», dans le but à peine voilé de ne pas signer le document. Mais il a cédé sous la pression du président Lula lui-même, qui s’était déjà engagé avec le gouverneur du Rio Grande do Sul, Germano Rigotto, à autoriser la culture d’OGM par les producteurs de cet Etat, où les semences génétiquement modifiées sont par ailleurs déjà utilisées malgré l’interdiction légale. De son côté, après la signature du texte, le procureur général de la République brésilienne s’est aussitôt empressé d’avertir que la légalité du décret pourrait être mise en doute. Cette prise de position a été suivie par celle de l’association des juges fédéraux du Brésil, qui a annoncé qu’elle déposera un recours devant le Tribunal fédéral suprême, arguant de l’inconstitutionnalité de l’action gouvernementale.
«DICTATURE DE L’EXÉCUTIF»
L’association des juges fédéraux soutient par ailleurs que, avec son décret, le gouvernement «encourage le non-respect de la décision de justice demandant que des études préliminaires soient conduites pour mesurer l’impact que les OGM aurait sur l’environnement». C’est seulement après la finalisation de ces études, poursuivent les juges fédéraux, et sur la base de ses résultats, que la culture de plantes issues de semences génétiquement modifiées pourrait être libérée.
La décret en faveur des OGM a mis le monde judiciaire en ébullition. Un autre juge de Brasilia est allé jusqu’à déclarer que la décision du Gouvernement brésilien, prise par le biais d’un décret provisoire, transforme, de fait, le système politique en «une dictature de l’Exécutif». Précédemment, ce juge avait émis deux sentences prohibant l’utilisation de semences génétiquement modifiées. Le décret est «un affront contre la justice», affirme-t-on du côté du ministère public du Brésil. Ce bureau n’a pas hésité à rappeler que, lors de la campagne électorale, le PT avait défendu le moratoire sur la commercialisation des OGM.
Mis en cause, le président du Parti des travailleurs, l’ex-guérillero José Genoino, a reconnu que le PT a bel et bien assumé une «position publique» sur le dossier mais qu’il s’agit aussi d’une «question délicate», ajoutant que le parti «maintiendra une autonomie relative par rapport au gouvernement». De son côté, la ministre de l’Environnement, Marina Silva a décidé de ne pas donner sa démission, contre l’avis des écologistes brésiliens, qui lui conseillaient de quitter son poste. Car celle-ci avait fait du combat contre les OGM l’une des priorités de son mandat.
MENACE POUR LA BIODIVERSITÉ
Seul le ministre du développement agricole, Miguel Rossetto, a pris la défense de Marina Silva. «Nous ne pouvons pas subordonner les intérêts de notre politique agricole aux intérêts des entreprises. Cela pourrait avoir des répercussions à très haut risque stratégique», a-t-il déclaré. Ce coup d’épée est porté contre à la direction de Monsanto, le géant américain de l’agrobusiness, qui devrait facturer, grâce au décret gouvernemental, environ 100 millions de dollars la vente de semences génétiquement modifiées. Pour sa part, le syndicat CUT (Central Unica dos Trabalhadores) a affirmé que la libéralisation des OGM «constitue une menace grave pour la biodiversité».
Reste que, après la décision de l’Exécutif, les dissensions à l’intérieur du parti de Lula se feront certainement plus vives. Et ce même si la frange écologiste du PT a fait savoir qu’elle n’entend pas, pour l’heure, engager une épreuve de force avec le gouvernement, comme l’ont fait les représentants des rangs traditionnels des «travailleurs», qui se sont immédiatement opposés aux projets de réformes fiscale et de la prévoyance élaborées par l’Exécutif. En revanche, les écologistes menacent de conduire une lutte interne au Congrès du parti quand le décret provisoire sera présenté pour être converti en loi. «J’espère qu’il s’agit d’une situation d’urgence liée aux producteurs agricoles du Sud», a affirmé, avec une certaine appréhension, le député Fernando Gabeira, ex-guérillero et écologiste de la première heure. Enfin, l’organisation Greenpeace a pour sa part manifesté sa solidarité à la ministre Marina Silva, qui reste la grand perdante de la partie.
Traduction et adaptation: FLo