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27 février 2009

Le massacre du peuple awá en Colombie.

par Raúl Zibechi *

 

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Le 11 février la colonne Maréchal Sucre des FARC, qui opère dans le département de Nariño, a émis un communiqué dans lequel elle annonce l’exécution de huit indigènes awá pour avoir collaboré avec l’armée colombienne. Selon les gouverneurs awá, ceux assassinés seraient au nombre de 17, bien que d’autres sources donnent le chiffre de 25. Les indigènes, désarmés ont été passés au couteau par la guérilla.

Le ministre de Défense du gouvernement militariste de Álvaro Uribe, Juan Manuel Santos, a profité du massacre pour demander aux indigènes de fournir des informations et a assuré que seules les forces armées peuvent garantir la sécurité des awá. Il a menti de façon effrontée pour dissimuler que la présence de l’armée dans le Nariño et l’extension du Plan Colombie à ce département sont les raisons de fond de la violence dont souffre le peuple awá. Cela n’exempte pas les FARC de leur responsabilité dans le crime brutal.

Le département sud-ouest de Nariño, frontalier avec Équateur et avec des côtes étendues sur le Pacifique, s’est transformé en un corridor stratégique pour l’approvisionnement d’armes et le trafic de cocaïne. Là sont présents tous les acteurs du conflit colombien, souvent ils combattent entre eux, formant les alliances les plus étonnantes, mais toujours en faisant de la population civile la principale victime de leurs actions. L’Observatoire du Conflit Armé ( www.nuevoarcoiris.org.co ) assure qu’au Nariño se trouvent 17000 militaires, auxquels on ajoutera bientôt 10000 autres ; les FARC comptent 600 combattants et l’ELN 300 de plus, et les divers groupes paramilitaires en comptent 600 autres armés. Les deux guérillas se combattent entre elles et toutes les deux ont des alliances avec des groupes paramilitaires opposés, comme le montrent plusieurs excellents articles du journaliste colombien Constanza Vieira.

Jusqu’à la mise en oeuvre du Plan Colombie durant l’année 2000, dans le Nariño il n’y avait pas de cultures de coca. Les fumigations massives dans les départements voisins de Putumayo et de Caquetá ont forcé l’émigration des plantations. Maintenant dans le Nariño il y a 20000 hectares de coca. Pour les awá ce fut une catastrophe. Ce peuple de 25000 habitants vit dans des petits hameaux dispersés dans des zones montagneuses et de forêt, il contrôle 210000 hectares où fonctionnent 26 zones protégées régies par leurs autorités traditionnelles. En 10 ans presque 200 awá ont été assassiné mais la situation s’est aggravée depuis qu’au début de 2008, l’armée a massivement débarqué dans le département pour contester au FARC le contrôle territorial. En seulement six mois 44 awá ont trouvé la mort presque tous des mains de l’armée et des FARC.

Les divers acteurs ont posé des mines sur des zones étendues de sorte que les awá soient confinés dans leurs Communautés sans pouvoir chasser ni semer. Les awá ont dit mille fois « ce n’est pas notre guerre » et ils ont demandé aux militaires qu’ils abandonnent leurs territoires. L’armée arrive dans les villages, occupe les logements et exige des informations, et si on lui refuse, elle torture et emprisonne. Quand elle se retire, arrivent les FARC et elles les accusent de collaborer avec l’armée.

Mais la guerre est à peine un moyen pour obtenir leurs fins, comme le démontre une excellente analyse publiée le 12 février par l’Association de Conseils municipaux Indigènes du Nord du Cauca (ACIN), intitulée Pourquoi massacrent-ils les awá ? Il assure que tous les acteurs armés sont un facteur de terreur contre ce peuple, mais que la violence n’est pas une fin en elle-même mais un moyen pour « aider à vider les peuples indigènes des villages et des territoires » où cherchent à s’installer plusieurs mega-projets commerciaux et industriels qui mobilisent de grandes multinationales et les groupes armés dans toute la région.

D’abord, les grandes plantations de caoutchouc et le palmier huile comme une partie de l’agrobusiness des entreprises multinationales, qui s’appuient sur des groupes armés privés et sur les forces armées, capables « de dégager » des territoires pour les monocultures. Deuxièmement, l’existence de plantations de coca et les laboratoires de cocaïne, qui intègrent guerrilléros et paramilitaires. En troisième lieu, est l’existence de réserves d’uranium, or, argent, zinc, cuivre, platine et molybdène. L’entreprise minière Kedahda SA, filiale de l’Anglo Gold Ashanti, a demandé en juillet de 2007 des concessions dans 37 communes du Nariño dans lesquelles « accidentellement » on enregistre « la plus grande présence de force publique et de groupes armés en marge de la loi, situation qui a dérivé dans l’ignorance des droits humains de la population civile », assure l’ACIN. Pour finir, l’Axe Plurimodal Amazonas de l’IIRSA (Intégration de l’Infrastructure de la Région sud-américaine), projet des gouvernements progressistes de la région, qui unit le Pacifique avec l’Atlantique, traverse largement le territoire awá.

L’ACIN conclut que dans cette région toutes les violences se combinent pour accéder aux richesses : « Tandis que le travail sale de la terreur est effectué par divers acteurs armés légaux et illégaux avec des actions criminelles de guerre entre eux et contre les villages, dont le résultat stratégique, attendu et inévitable, c’est vider et privatiser le territoire, l’État colombien met en oeuvre des politiques qui fournissent le blindage légal institutionnel pour l’exploitation des territoires ». La conclusion paraît inévitable : « Ceci est le Plan Colombie en marche », disent les indiens regroupés dans l’ ACIN.

Les organisations indigènes ont convoqué une « minga » humanitaire en appui à leurs frères massacrés, qui inclut une concentration massive dans la zone protégée le plus touché « pour dégager nos morts » que les FARC n’ont pas encore livrés. Dans l’embrouillement colombien, seules les organisations de ceux d’en bas semblent une alternative à la guerre qui est livrée pour s’approprier des biens communs de l’humanité. Que dans cette guerre tous les acteurs dédaignent les Indiens et les autres secteurs populaires, n’est déjà pas nouveauté. Le silence de beaucoup d’intellectuels est aussi pénible que significatif.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

La Jornada . Mexico, le 27 février 2009.

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