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29 novembre 2007

Le général Santander est bien « aux origines de l’intolérance » politique Colombie.

 

Par Hernando Calvo Ospina
El Correo
. Paris, 30 novembre 2007.

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Le 20 novembre dernier, lors d’une déclaration inattendue, le président colombien Alvaro Uribe a retiré à son homologue vénézuélien Hugo Chávez l’autorisation de continuer à servir d’intermédiaire pour arriver à un accord humanitaire entre son gouvernement et la guérilla des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie, FARC, qui permettrait la libération des otages et des prisonniers de guerre.

La consternation mondiale a été immédiate, et particulièrement celle du gouvernement français qui avait vu en Chávez « la meilleure possibilité » d’arriver à cet objectif. La solution offerte par le gouvernement de Bogota est toujours la même depuis 5 ans et n’a porté aucun fruit : c’est l’option militaire.

Chávez, qui s’est estimé « trahi », a décidé ce 25 novembre, de geler les relations avec la Colombie. Lors de son intervention publique, le président vénézuélien a comparé Uribe et son gouvernement au général Francisco de Paula Santander, l’un des premiers dirigeants de la Colombie après son indépendance de la couronne espagnole : « Ils sont comme Santander, qui a fait tuer Bolivar ». Sans le nommer, Uribe lui a répondu qu’il manipulait l’histoire, car Santander « nous a donné l’exemple de son attachement à la loi ».

Avec l’autorisation des éditions Akal-Foca en Espagne et de la Fondation éditoriale El Perro y la Rana, au Venezuela, nous publions cet extrait du livre (à paraître prochainement) Histoire du terrorisme d’état en Colombie d’Hernando Calvo Ospina, journaliste et écrivain colombien résidant en France. Collaborateur au Monde diplomatique.
Voici une brève démonstration du fait que le président Chávez a entièrement raison. Et qu’Uribe défend ceux qui lui ressemblent.

« Les origines de l’intolérance.

L’histoire officielle dit que Francisco de Paula Santander a été l’ « homme des lois » en Colombie. Ce qu’elle ne raconte pas, c’est qu’il pourrait incarner le premier grand exemple de la traîtrise et de l’intransigeance politique de l’élite colombienne.

Santander voyait dans l’assassinat de Bolivar la seule possibilité de démembrer la Grande Colombie (formée du Venezuela, de l’Equateur et de la Colombie). Sa soif de pouvoir et celle de l’oligarchie créole naissante qui l’appuyait, le conduisirent à préparer plusieurs attentats contre le Libertador.

Le principal eut lieu le 25 septembre 1828 à Bogota. Les hommes de Santander assaillirent le Palais Présidentiel, tuant une partie de la garde et neutralisant les autres.

Il était minuit. Se croyant en sécurité, ils commencèrent à proférer des insultes pendant qu’ils se dirigeaient vers la chambre à coucher de Bolivar.

L’un des conspirateurs raconte : « Une belle dame vint à ma rencontre et, avec une admirable présence d’esprit, nous demanda très courtoisement ce que nous désirions ».

Cette « dame » qui dormait avec le Libertador déjà malade, l’avait réveillé et aidé à s’habiller pour qu’il puisse s’échapper ensuite par la fenêtre. Puis elle fit face aux assassins, vêtue d’une simple chemise de nuit. Ils réussirent à lui arracher l’épée, la mirent à terre, et l’un d’entre eux la frappa à la tête d’un coup de botte.

Le lendemain, dès que la nouvelle de l’attentat se mit à circuler, le peuple sortit dans la rue, acclamant Bolivar et réclamant notamment la mort de Santander. Le Libertador souhaitait que les inculpés fussent pardonnés, mais un tribunal les condamna. Certains furent fusillés, d’autres, incarcérés. Santander fut condamné à mort, mais Bolivar commua sa peine en exil. « Ma générosité le défend », déclara-t-il.

Au début de l’année 1830, le représentant français à Bogota rendit visite au Libertador. Voyant l’air surpris du diplomate, Bolivar lui expliqua que sa maladie et son extrême maigreur « avec les jambes qui nageaient dans un large pantalon de flanelle », étaient dues à la souffrance que lui produisaient « ses concitoyens qui n’ont pas pu me tuer à coups de poignard et qui essayent maintenant de m’assassiner moralement par leur ingratitude et leurs calomnies. Quand je cesserai de vivre, ces démagogues se dévoreront entre eux, comme des loups, et l’édifice que j’ai construit avec des efforts surhumains s’écroulera. »

Il avait à peine quarante-sept ans mais en paraissait soixante. Bien que de petite stature, il fut indomptable pendant plus d’un quart de siècle, luttant à cheval pour libérer cinq nations, avec l’unité latino-américaine pour idéal. Seuls les intérêts politiques et économiques de l’élite le poussèrent sur le sentier de la défaite….

Cette « dame » à laquelle fait référence l’un des comploteurs contre Bolivar, s’appelait Manuela Sáenz. Les histoires officielles, quand elles en parlent, la considèrent simplement comme la maîtresse de Bolivar. A la lecture de certains manuels « éducatifs », la sensation demeure qu’elle était une « dévoreuse » d’hommes. Une putain.

Manuelita, née à Quito, commença à affronter la société à l’âge de douze ans, quand elle descendait dans la rue avec les gens du peuple qui réclamaient l’indépendance en 1809. Elle se maria très jeune avec un riche commerçant anglais. Elle voyagea à Lima où elle passa une bonne partie de son temps en réunions politiques conspiratrices, chose inhabituelle pour une femme de cette époque. En 1821, elle participa au processus insurrectionnel, et se vit pour cela remettre la plus haute distinction en tant que patriote : « Chevalière de l’Ordre du Soleil ».

L’année suivante, elle retourna en Equateur. Elle était présente lorsque Bolivar revint triomphant de la Bataille de Pichincha. On était en juin, et Manuelita avait 25 ans. Ils firent connaissance au cours d’un gala, et Manuelita provoqua un nouveau scandale « social » : elle quitta son mari pour partir avec le Libertador.

En octobre 1823, à la demande des officiers supérieurs, elle fut incorporée à l’Etat Major de Bolivar. Autre scandale : une femme portant l’uniforme militaire, avec un grade de colonelle. Un cas unique dans les luttes indépendantistes. Pendant la Bataille de Ayacucho, en 1824, qui mit définitivement l’Espagne à la porte de l’Amérique du sud, Manuela combattit d’égal à égal aux côtés des braves lanciers. C’est là que les troupes la nommèrent « la Libertadora ».

En Colombie, elle dut affronter le noyau dur des conspirateurs contre Bolivar, qui l’appelaient avec mépris « La Manuela ». L’attentat contre le Libertador, le 25 septembre, fut le troisième auquel il survécut. La rage et la calomnie se déchaînèrent contre elle, l’attaquant, en particulier, dans sa dignité.

Quand Bolivar renonça à la présidence et, malade, se retira pour mourir, les agressions contre Manuelita redoublèrent. A Bogota, de nombreuses affiches qui l’insultaient firent leur apparition en différents points. Elle contre-attaqua. Elle distribua une brochure où elle faisait apparaître l’inefficacité des gouvernants et révélait leurs secrets. Cela fut taxé d’acte « provocateur et séditieux », et on l’envoya au cachot pendant plusieurs jours. Un tel traitement, jamais infligé auparavant à une femme, était d’autant plus choquant au vu du parcours de cette femme.

A la mort de Bolivar, Santander rentra au pays couvert d’honneurs. On lui restitua tous ses titres et il fut même nommé président. Le premier janvier 1834, il signa le décret obligeant Manuelita à l’exil. Elle partit pour la Jamaïque. De là, elle gagna l’Equateur, mais le gouvernement du pays qui l’avait vu naître lui refusa l’entrée. La « Libertadora des Andes » n’eut pas d’autre choix que de se réfugier dans une localité de la côte péruvienne, Paita, où elle survécut en vendant du tabac. Souffrant de diphtérie, Manuela Sáenz mourut en 1856 dans une grande pauvreté. (*)

* A titre posthume, le président équatorien Rafael Correa lui a décerné le 24 mai 2007 le grade de Générale de la République. »

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