recherche

Accueil > Empire et Résistance > Le fantôme des jugements internationaux contre l’Argentine

31 juillet 2004

Le fantôme des jugements internationaux contre l’Argentine

 

Par Mabel Thwaites Rey *
Le Monde Diplomatique, El Dipló, Juillet 2003

Leer en español

Pression des compagnies privatisées

Après la dévaluation et la pésification de janvier 2002, nombre de compagnies privatisées ont entamé des actions en justice contre l’État pour non respect contractuel. Ces entreprises essayent de mettre en échec le gouvernement avec leurs menaces réitérées d’abandonner le pays, de se déclarer en faillite (avérée dans plusieurs cas), de réduire des investissements, de licencier le personnel de façon massive et de recourir à des tribunaux internationaux dans le cadre des Traités Bilatéraux pour la Promotion et la Protection des Investissements Étrangers signés par l’Argentine durant les années 90. Mais les droits du pays sont plus solides.

Même si l’on prétend que ces traités sont les armes secrètes qui serviront à confirmer les "brevets de corsaire" qu’ont su obtenir beaucoup d’entreprises dans les bureaux officiels "amicaux" de la décennie passée, la question est un peu plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. Il est vrai que les accords bilatéraux ont été promus et signés par le gouvernement de Carlos Menem, majoritairement entre 1990 et 1995, pour donner une plus grande certitude aux investisseurs étrangers qu’on a commencé à encourager durant ces années. L’Argentine a formalisé des accords avec 38 États, dont la France, l’Italie, les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Espagne, le Canada et le Chili, pays d’origine de la plupart des capitaux qui ont investi dans les entreprises de services durant la "fureur privatisante".

Mais l’Argentine n’a pas été le seul pays qui s’est trouvé obligé de signer des traités dans le souci d’ attirer des investisseurs. Bien que ce type de conventions aient commencé à être souscrites entre les pays développés vers le milieu des années 60 et que dans les années 80 y ont été inclus les pays d’Afrique et de d’Asie, en Amérique latine la tendance est récente avec l’élan donné durant les années 90. Les vents de la globalisation néo-libérale ont démoli les anciennes barrières de la région, pour permettre la rapide de circulation de capitaux, faciliter la compétition entre les nations pour attirer des investissements - soucieux d’une forte rentabilité et d’un faible risque - disponibles à une époque de forte liquidité. À cet effet, les États ont du adapter leurs systèmes normatifs et laisser en arrière la doctrine Calvo (du diplomate argentin Carlos Calvo, à la fin du siècle XIX) enracinée, qui établissait que les problèmes avec des sociétés étrangères devaient être résolus au sein tribunauxnlocaux, refusant de fait la juridiction externe. De sorte que les Etats se sont rendus aux exigences des pays "exportateurs" de capital et ont accepté de se soumettre à des tribunaux internationaux, à travers de la signature de conventions spécifiques.

Le but explicite des accords bilatéraux est d’établir certains standards de protection de l’investissement étranger, pour mettre en lieu sûr les capitaux - "Hôtes bienfaisants" - face à l’arbitraire éventuel des gouvernements. La caractéristique principale est que l’investisseur peut aller devant une juridiction arbitrale internationale pour résoudre des conflits éventuels avec l’État receveur.

Son objectif est, principalement, d’éviter aux investisseurs trois types de risques :

 1) l’expropriation ou la nationalisation de ses biens (à moins que ce soit fait en raison d’utilité publique en accord avec la Constitution et les lois, et que l’on lui paye une compensation juste)
 2) la discrimination dans le traitement par rapport aux compagnies locales, c’est-à-dire, qu’on privilégie les entreprises nationales et qu’on porte préjudice aux entreprises étrangères
 3) la dénégation de la justice, c’est-à-dire, ne pas permettre l’accès aux tribunaux locaux quand il y aurait polémique.

Pour rendre effectives les conventions, on va généralement devant Centre International d’Ajustement de Différences Relatives à des Investissements (CIADI), créé dans le cadre de la Banque Mondiale (BM) http://www.worldbank.org/icsid/basi....

Le CIADI fournit aux investisseurs étrangers des moyens internationaux de conciliation et d’arbitrage. Il a été créé en 1996 par "La Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autres Etats " et a été ratifié par 131 pays. L’Argentine l’a signée en 1991 (la même année que la Bolivie, le Chili et le Pérou) et elle est entrée en vigueur en 1994.

Le recours au CIADI est prévu dans la majorité des traités bilatéraux et la quantité des affaires qu’on lui soumet est chaque fois plus importante . Actuellement - selon son rapport sur Internet - il y a 56 cas en suspens et sur les 73 qui ont été arbitrés de 1972 à 2002, les trois quarts ont été présentés au cours de la décennie de 90.

Une instance d’arbitrage

Avant d’entamer l’arbitrage, certains des traités qu’a signé l’Argentine exigent qu’il y ait une période obligatoire de négociations amicales, d’une durée minimale de 6 mois. Cette procédure est entamée dans le cadre du Ministère des Relations Extérieures, qui appelle les parties à discuter, c’est pourquoi beaucoup de cas sont résolus dans cette étape. Jusqu’à l’accord avec la France -signé en juillet de 1991- les traités prévoyaient d’aller en justice pendant 18 mois et, s’il n’y avait pas sentence ou celle-ci n’était pas juste, on avait recours alors à l’arbitrage. C’est ainsi dans les traités avec l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, la Grande-Bretagne, la Suisse, le Canada, la Belgique, la Corée et l’Italie. À partir de la signature de la convention avec la France, on a éliminé cette disposition et l’investisseur peut choisir entre la voie judiciaire et l’arbitrale.

Quand une demande d’arbitrage est présentée, le secrétaire général du CIADI doit déterminer si elle entre dans sa compétence. S’il l’accepte, on forme un tribunal de 3 membres : un désigné par le CIADI et un pour chaque partie. En ce qui concerne l’Argentine, presque toutes les demandes ont été acceptées. Depuis 1996, date de la première présentation jusqu’à aujourd’hui, 4 dossiers présentés ont été abandonnés par les demandeurs et 16 autres sont en cours. On estime qu’ils portent sur des réclamations pour plus de 2.000 millions de dollars. Et il y a pas moins de 20 cas supplémentaires qui se trouvent dans la phase de conversations préalables.

La présentation de ces cas ne signifie pas que l’Argentine va perdre, comme prétendent quelques voix intéressées à agiter le fantôme et de convaincre la société qu’il est impossible de s’opposer aux demandes des grandes compagnies. Les entreprises tendent à choisir l’instance d’arbitrage parce qu’elle s’avère plus expéditive (les cas sont résolus, en moyenne, en deux années) et c’est moins coûteux. Toutefois, la protection de l’investisseur étranger qui est invoquée ne peut pas être interprétée comme une fin absolue, qui le met à l’abri des risques normaux que court quelqu’un qui fait un investissement.

Elle le protège seulement de décisions arbitraires éventuelles dues à sa condition d’étranger. Le fait qu’ils aient la possibilité de recourir au tribunal arbitral ne signifie pas qu’on garantisse n’importe quelle exigences des entreprises, parce que le tribunal arbitral n’équivaut pas " à une assurance politique " capable de les immuniser contre toute urgence.

En général, ce que disent les traités, c’est que les États contractants s’engagent à accorder, "un traitement juste et équitable", selon le droit international, aux investissements effectués par des étrangers. Ceci signifie que l’État s’engage à donner aux investisseurs étrangers "un traitement non moins favorable que celui décidé pour ses propres investisseurs". C’est-à-dire, il protège l’égalité devant la loi. Pour le cas t des pertes pour cause "de guerre ou d’autres conflits armés, des états d’urgence ou d’autres événements politico-économiques semblables", il dispose, aussi expressément que, en matière d’indemnisations, on leur accordera un traitement "non moins favorable" que celui accordé aux ressortissants.

En suivant ce raisonnement juridique, on doit interpréter que les mesures que prend un État en matière monétaire - comme dévaluer, par exemple - correspondent à l’exercice de sa souveraineté et qu’elles affectent l’ensemble des habitants du pays et qui, tant dans le cadre local comme à l’étranger, ont des relations économiques et/ou commerciales avec le pays. La dévaluation argentine n’a pas été faite dans l’intention de nuire ou négliger à un contrat spécifique -de fait, elle a été menée "par le marché"- raison pour laquelle elle ne peut pas être prise pour une attitude discriminatoire ni contraire à un contrat signé avec un prestataire de services publics. Son préjudice, en tout cas est identique à celui qu’ ont subi tous ceux qui sont partie prenante à l’économie argentine, indépendamment de leur nationalité. L’État n’est pas non plus responsable de l’endettement que les entreprises ont contracté à l’extérieur pour financer leurs projets. La décision de prendre des prêts ou d’utiliser des fonds propres pour satisfaire des investissements lourds, par exemple, correspond au risque chef d’entreprise normal.

De sorte que les investisseurs étrangers peuvent aspirer être protégés par les traités pour recevoir un traitement juste et équitable, en accord à celui donné à tous les autres acteurs économiques et sociaux. Plus encore, si nous considérons que la majorité des investisseurs dans des entreprises privatisées ont signé des contrats sur 20, 30 et jusqu’à 90 années, il est de toute évidence raisonnable et lié au droit de prétendre qu’ils assument la "chance conjoncturelle" de la "Communauté d’affaires" de laquelle ils espèrent obtenir des profits pendant des termes tellement longs. Le contraire reviendrait à supposer que seulement dans des domaines supranationaux peut être confirmée la théorie du risque minimal et la rentabilité maximale à court terme pour les capitaux externes, sans considérer leurs propres inaccomplissements. Et bien qu’il soit probable que telle est la prétention de plusieurs entreprises, il revient à l’État argentin de savoir articuler une défense juridique et politique qui empêche qu’on consacre une autre spoliation arbitraire du patrimoine public argentin. Les arguments juridiques et politiques pour cela foisonnent.

Les procédures en cours
Voir : http://www.worldbank.org/icsid/case...

Liste officielle du CIADI

Les quatre cas présentés devant le CIADI et en suite retirés par leurs demandeurs correspondent à des conflits avec des provinces :

 Lanco International  : Etats-Unis ; cas ARB/07/97, concessionnaire d’un terminal portuaire de Buenos Aires

 Houston Industries Energy  : Etats-Unis ; cas ARB/01/98, concessionnaire de distribution électrique en Santiago de l’Estuaire

 Mobil Argentine : Etats-Unis ; cas ARB/01/99, consacrée à l’exploitation pétrolière dans la province de Salta

 Entreprise Nationale d’Électricité : Chili ; cas ARB/04/99, concession d’énergie hydro-électrique dans la province de Neuquen.

Aguas de Aconquija S.A l’entreprise du groupe français Vivendi-Universal est l’unique demande qui jusqu’à aujourd’hui a eu un jugement arbitral (cas ARffl/03/97). Le conflit a commencé dans la concession contestée du service d’eau potable à Tucuman, résiliée après un conflit prolongé. La procédure arbitrale a été entamée en décembre 1996, et le CIADI a émis un arbitrage favorable pour l’Argentine en novembre 2000, mais la démarche n’est encore pas conclue à cause d’une demande de nullité du jugement formulée par l’entreprise. La plainte portait sur 350 millions de dollars.

Azurix, un autre concessionnaire d’eaux de l’américaine Enron, a aussi déposé au tribunal international, en octobre 2001, sa réclame contre la décision de la Province de Buenos Aires (cas ARB/01/12) de résilier le contrat pour inaccomplissement manifeste. La demande porte sur 600 millions de dollars.

Siemens a réclamée la même somme (cas ARB/02/08), qui a présenté sa plainte en juillet 2002, pour la résiliation du contrat très contesté des fabrication des cartes d’identitées (D.N.I.) et des Passeports.

En avril 2001, le distributeur de gaz américain, d’Enron, Corporation et Ponderosa Assets, a posé son cas (ARB/01/3) et, en août la même année, son compatriote et propriétaire de 30% de Trànsportadora de Gaz du Nord - avec participation, dans des gazoducs le Chili et au Brésil - CMS Gaz Transmission Company, a entamé sa procédure (çaso ARB/01/98).

Mais à partir de la dévaluation et de la Loi d’Urgence Nationale les présentations devant le CIADI ont fortement augmenté, surtout de la parts des compagnies de gaz et d’électricité.

La première à se plaindre du "changement de règles" a été le distributeur de gaz LG&E Energy, qui entame sa procédure le 31/01/02 (ARB/02/1). Qui a été suivi par Sempra Energy International (ARB/02/16), en décembre 2003, Gamuzzi International (cas ARB/02/03), en février 2003 et Gaz Naturels SDG (cas ARB/10/03) en mai 2003. L’entreprise américaine qui contrôle les distributeurs d’électricité de Buenos Aires EDEJ-AP, EDEN et EDES et le générateur San Nicolàs et Alicurà, AES Corporation, ARB/02/17 (cas présenté en décembre 2002) et le distributeur et le transporteur électrique Camuzzi International (cas ARB/03/7) a entamé la réclame en avril de cette année, les ont suivies la compagnie d’assurances Continentale Casuatty Company (Cas ARB/03/9) et l’entreprise Metalpar S.A et Bon Air S.A (cas ARB/03/5). En juin est arrivée la plainte des pétrolières américaines : Pioneer Naturel Resources (cas ARB/12/03), Pain American Energy LLC et BP Exploration Argentine (cas ARB/13/03) et El Paso Energy International (cas ARB/15/03).

Pour voir la réglementation du CIADI en Français :
http://www.worldbank.org/icsid/basi...

© LMD Ed. Cono Sur

Retour en haut de la page

El Correo

|

Patte blanche

|

Plan du site