Portada del sitio > Nuestra América > Terrorismo de Estado > Uruguay > Le chemin chaotique des procès de la dictature en Uruguay
Alors que 40 ans ont passé depuis l’arrivée de la dictature en Uruguay, la justice a du mal à avancer sur les procès liés aux exactions commises durant cette période allant jusqu’en 1985. Une décision de la Cour Suprême va à l’encontre du droit international.
L’Uruguay se trouve aujourd’hui dans une situation particulière. Puisque une récente décision de la Cour Suprême a nié l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité que sont les disparitions forcées, ce qui va à l’encontre du droit international et dans le même temps un juge instruisant de nombreux dossiers de victimes a été dessaisie.
Un colloque organisé par l’association « Donde Estan » , intitulé « le droit de savoir » a mis en lumière la difficulté, malgré le retour à la démocratie, d’en finir avec l’impunité.
Ces deux faits sont extrêmement graves, et comme l’a souligné, lors de ce colloque au Sénat le 21 Mai dernier, Louis Joinet, ancien magistrat et artisan de la convention international sur la disparition forcée votée aux Nations Unies , ils constituent un grave précédent « dont risquent de s’emparer les Etats prédateurs, prompts à tourner la page pour qu’elle ne puisse être lue ».
On sait que le temps dans ce domaine joue contre la révélation de la vérité et le devoir de mémoire. L’Uruguay a subi une décennie de silence après le retour de la démocratie, et si des dénonciations des exactions de la dictature ont eu lieu, la loi de caducité de 96 a empêché l’apparition de la vérité donc a généré une impunité de fait et de droit.
Les barrières érigées par la Cour Suprême uruguayenne risquent de générer un déni de justice, d’où la nécessité de combattre cette décision et cette attitude. « Il y a une dichotomie entre le droit international et le droit interne compte-tenu de la position juridique conservatrice de la Cour Suprême de justice de l’Uruguay » a souligné l’avocat Oscar Lopez Goldaracena, spécialisé dans la défense des droits de l’homme.
Face à une telle situation que peut faire le droit international ? Pour Olivier de Frouville, professeur de droit public et président du groupe de travail sur la disparition forcée aux Nations Unies, « l’article 28, interdit les amnisties, donc une loi d’amnistie est contraire à la déclaration sur les disparitions forcées, de même le fait de faire entrer en jeu une prescription des faits à travers une requalification de ceux-ci en homicide ».
La disparition forcée est un crime continu et ainsi peut être appliquée à des faits antérieurs à la signature de la Convention. Le rôle de ce groupe (composés d’experts indépendants, est justement de surveiller l’application par les Etats de la convention sur les disparitions forcées, et si nécessaire de demander des explications, toutefois il n’a pas de mandat judiciaire.
Cette décision récente de la Cour Suprême en Uruguay « montre aussi que quand on veut faire appliquer la loi, ceux qui la refusent se réveillent » a rappelé Louis Joinet. Dans le cas de l’Uruguay, comme l’a expliqué Mirtha Guianze, procureur et représentant en matière de droits de l’homme l’Uruguay au sein du Mercosur, malgré le retour de la démocratie « le silence a continué et le manque de reconnaissance de la disparition forcée comme méthode de répression pendant la dictature a freiné l’avancement de la justice », jonchant son chemin d’embuches.
Et de poser la question de la passivité ou complicité du système judiciaire: ainsi, les tribunaux d’appel face aux premiers procès, ainsi que la Cour Suprême ont considéré les disparus comme morts, méconnaissant le caractère permanent du délit de disparition, transformant ces crime en homicide.
De même, le système judiciaire uruguayen, ne reconnaît pas que « les violations de droits humains doivent bénéficier d’une attention particulière dans la façon d’enquêter, la spécificité des délits ou crimes qui doit en être pris en compte... » a témoigné la sénatrice et politologue Constanza Moreira, soulignant la portée négative de la décision de transférer la juge Mariana Mota qui instruisait nombre de dossier de victimes. Absence de tribunaux spécialisés, déplacement des juges, inefficacité du système judiciaire...
Dans les procès sur les crimes de la dictature, « l’analyse juridique ne peut être séparée de l’analyse politique, du macro-terrorisme d’Etat du plan Condor et aujourd’hui encore, il y a une attitude politique qui cherche à changer l’histoire pour la cacher » a expliqué Oscar Lopez Goldaracena, pour qui il faut continuer les procès sans respecter cette décision de la Cour Suprême mais en respectant les lois internationales .
La question est en réalité bien politique : « Il y a un conflit, a rappelé Constanza Moreira, entre la Cour Suprême et le pouvoir exécutif, puisque la première est allée à l’encontre des lois du gouvernement, et ce serait un aveu de faiblesse du gouvernement s’il ne prend pas le problème de front. Il faut une reforme de la procédure pénale, un changement du système de nomination et de carrière dans la justice, une réforme de la constitution pour y inclure le droit à la vérité... ».
Il y a besoin d’une volonté politique et d’une politique engagée contre l’impunité qui passe par des actes , et le gouvernement de Mujica ne peut se défausser: renforcer la protection des droits de l’homme, modifier le système et le fonctionnement de la justice pour garantir l’indépendance des juges et la défense des droits des victimes.
Estelle Leroy-Debiasi pour El Correo
El Correo, Paris, 3 juin 2013
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