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25 octobre 2006

Le Cuarteto Cedron est à L’Européen à Paris jusqu’au 28 octobre 2006.

 

Par Francis Marmande
Le Monde
. Paris, 25 octobre 2006

Sud... Un mur et après... Sud. La lueur d’une buvette... Tu ne me verras jamais plus comme tu m’as vu, appuyé à la vitrine, où je t’attendais..." Plus loin : "Va-t-en ! Tu ne comprends pas que tu me tues ? Tu ne comprends pas que je t’appelle ? Va-t-en !" Ceci aussi, mais qui n’est plus, comme les vers précédents, du poète Homero Manzi (Buenos Aires, 1905-1951) : "Où diable était Dieu quand tu es partie ? Où était le soleil qui ne t’a pas vue ?" Pour qui n’entend pas la langue d’Argentine sous ces mots ; pour qui ne reconnaît pas sous cette langue le rythme du tango, c’est fichu. Pour qui n’entend pas sans l’entendre la plainte du bandonéon, autant se remettre au badminton. C’est joli aussi.

Le Cuarteto Cedron revient avec un album de tangos d’Homero Manzi (Elogio, Le Chant du monde, Harmonia Mundi). Coïncidence, un recueil de textes, Les Poètes du tango (édition d’Henri Deluy et Saul Yurkievich) prend place dans la collection "Poésie", Gallimard. Homero Manzi, comme Juan Cedron aujourd’hui, fut à la fois auteur de tangos et artiste de gauche authentique.

Dans les années 1970, quittant l’abomination fasciste que des généraux imposèrent à l’Argentine, le Cuarteto Cedron devint l’invité vital de l’Europe. Les fiançailles des guitares et du bandonéon, la voix d’amertume et de rêve de Juan Cedron, firent le reste.

D’eux, le recueil de Deluy et Yurkievich dit ceci : notant le renouveau d’un genre aux disparitions de phénix, il ajoute : "Le Cuarteto Cedron conquiert la France. Succès populaire et mondain à Paris." Populaire et mondain, il y eut de cela. Ce qui est certain, c’est qu’au même titre que l’Art Ensemble of Chicago, Brigitte Fontaine, François Tusques, Sun Râ ou Colette Magny, la déchirée du blues, ils étaient de toutes les fêtes politiques. Jeunes gens, ne cherchez pas : eh oui, il y avait des fêtes politiques !

Signe des temps, au début du XXIe siècle, le Cuarteto Cedron fut l’invité d’un congrès de médecins en goguette. Labos pharmaceutiques pour l’arrosage, casino pour le plumage et week-end sur une plage célèbre. Pendant le récital du Cuarteto Cedron, les joyeux congressistes tambourinaient de la fourchette en criant des calembours. Déconcerté, Juan Cedron interrompit le tour de chant et prit le micro : "Je ne comprrrends rien, la dernière fois que nous sommes venus ici, pour une cause militante, nous avons été trrrès bien reçus, et ce soirrr, vous n’écoutez rien." Ce n’étaient vraisemblablement pas les mêmes.

La lune, le mal d’amour, Buenos Aires, le peuple et l’alcool... Le Cuarteto Cedron affirmait son engagement par la poésie même. Pas par des appels au peuple, des caprices de salon, non : par la poésie même, par le rythme, par l’esprit implacable du tango, cette danse des abattoirs du Sud, couteaux et bordels, qui se dansait entre hommes, et finit par le fait en danse farouchement féminine. Dans les années 1930, bien que dépouillée, "du moins en partie, de sa mimique inconvenante" (Larousse, 1933), le tango débarque à Paris. Scandale et piaillements puritains. C’est vrai que tant qu’à danser le tango, il faut y aller carrément. Interrogé sur la moralité de l’affaire, l’archevêque de Paris eut ce mot : "Je ne vois rien de mal à cette danse, mais je ne saisis pas bien pourquoi elle se danse debout."

Le tango est une des danses les plus faciles à danser mal. Dans les bals populaires du Sud-Ouest, question de Sud, de Gitans, d’Espagne, de plaisir de danser, dans les années 1960 encore, des ouvrières anciennes, de puissants piliers de rugby, les jeunes filles en fleur, les garçons coiffeurs et même de très approximatifs étudiants, tout le monde savait le danser avec art. Et les musiciens le jouer avec coeur.

Jusqu’au 28 octobre, le Cuarteto Cedron, est à L’Européen (près de la place Clichy).

Espace parfait : on ne saurait jouer le tango n’importe où.

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