recherche

Accueil > Empire et Résistance > Le Commerce concerne aussi les femmes

4 mars 2003

Le Commerce concerne aussi les femmes

 

Par Bama Athreya,
Sous-Directrice du Fonds International des Droits du
Travail. (F I D T).

Du café aux ordinateurs, ce sont les femmes qui fournissent la force
de travail productrice des biens qui sont en vente dans les
supermarchés et grands magasins du monde. Les femmes sont bonnes pour
le commerce, mais le commerce est-il bon pour elles ? Les règles US et
mondiales du commerce ont encore beaucoup de chemin à faire avant de
fournir aux femmes les protections minimales leur assurant des emplois
décents. La libéralisation du commerce et l’essor des industries d’
exportation reposent sur le travail salarié des femmes, spécialement
dans les industries de transformation. Le Rapport sur le Développement
Mondial estime que 70 à 90% des personnes employées dans les Zones de
Production pour l’Exportation ( Z P E ) dans le monde sont des femmes.
Selon l’Organisation de l’Agriculture et de l’Alimentation ( F A O ),
les femmes constituent approximativement 43% de la main-d’oeuvre des
industries agricoles et de l’agriculture. Toujours d’après les études
faites par cette Organisation, si l’on inclut le travail "informel",
particulièrement dans les pays en développement, les femmes
produiraient largement plus de la moitié de la nourriture du monde.
Bref, les consommateurs du monde entier dépendent du travail des
femmes.

En cinquante ans de négociations globales sur le commerce, quelques
petites choses ont changé. Au moins les problèmes des femmes figurent
maintenant au programme des négociations commerciales et
diplomatiques. Á la suite de la Conférence Mondiale des Nations Unies
à Pékin en 1995, le gouvernement Clinton a créé un " Groupe de Travail
Inter-Agences sur les Femmes " comportant un sous-groupe de très haut
niveau chargé des " Femmes dans l’Économie Mondiale ".

A la fin des années 1990, il n’était pas rare de rencontrer des
responsables des négociations commerciales assis à la même table que
des représentants d’organisations de défense des droits des femmes
afin d’écouter leurs demandes. Par exemple, le Groupe Régional de
Coopération Économique Asie Pacifique ( A P E C ), représentant les
économies de ses 21 membres, a tenu des réunions ministérielles sur
les questions des femmes en 1997, 1998, et 1999.

Toutefois, ces consultations ne se sont traduites par aucune
proposition de négociation et les organisations pour la défense des
droits des femmes se sont de plus en plus jointes aux groupes
syndicaux et de défense de l’environnement pour dénoncer l’échec total
du commerce à profiter en quoi que ce soit aux pauvres de ce monde.

En 1999, en Malaisie, une réunion des O N G de femmes de l’Asie
entière, a créé << l’opposition des femmes à la mondialisation >>.
Les ateliers sur " Commerce et Droits de la Femme " font désormais de
plus en plus partie des discussions sur le commerce et des réunions
des institutions financières Internationales. Au niveau mondial, les
organisations de femmes ont même créé, fin 1999, un " Réseau
international de réflexion sur le commerce et les genres " ( IGTN )
afin d’informer le public des effets négatifs des accords commerciaux
pour les femmes. Le cas des "ateliers-bagnes" inquiète
particulièrement les mouvements de défense des femmes dans le monde
entier, ce qui n’étonnera personne.

Des scènes de la vie dans de tels ateliers ont fourni une illustration
vivante du problème : un personnel dans sa grande majorité très jeune,
célibataire et féminin aux prises avec un encadrement dans sa très
grande majorité d’âge moyen et masculin. Il est difficile de se
figurer comment les règles du commerce global ont profité aux femmes
alors que la grande majorité des emplois qui leur sont offerts se
trouvent dans des ateliers-bagnes.

Qu’y a-t-il de mal dans ces emplois ? D’après l’Organisation
Internationale du Travail (O I T ), les femmes dans les pays en
développement sont généralement moins payées que les hommes ; au mieux
elles reçoivent de 50 à 80% des salaires généralement offerts aux
hommes pour le même travail. Les travailleuses ne jouissent pas des
mêmes avantages que les hommes dans la mesure où on ne leur offre le
plus souvent que des emplois sans avantages sociaux et qu’elles sont
les premières à être licenciées en cas de difficultés économiques. Par
ailleurs, elles ont également moins de chances d’obtenir des
possibilités de formation ou de promotion. La liste des abus dont sont
régulièrement victimes les femmes au travail dans les industries
légères de transformation un peu partout dans le monde est bien
connue.

Elles sont forcées de travailler de longues heures pour des salaires
qui souvent sont inférieurs au minimum garanti par la législation
locale. Par exemple, des semaines de 60 à 80 heures sont habituelles
en Chine et dans une grande partie du Sud-Est Asiatique, d’après les
rapports du " Comité National du Travail ", de la " Campagne Vêtements
Propres " et d’autres encore.

Le " Réseau de Soutien à l’Hygiène et à la Sécurité du Travail dans
les Maquilas " rapporte que dans le monde entier, les travailleuses
sont constamment exposées à des conditions de travail particulièrement
dangereuses, se traduisant par des maladies, des amputations ou même
par la mort. Loin de s’intéresser à ces problèmes, le gouvernement U S
semble vouloir en ralentir l’examen. Le " Groupe de Travail
Inter-Agences sur les Femmes " est complètement inactif depuis l’
arrivée du Président Bush au gouvernement, et les problèmes des femmes
ne figurent nulle part dans les priorités des négociations menées par
ce gouvernement.

Les Accords Commerciaux U S ne cherchent pas à résoudre les problèmes
des travailleuses.

 Les accords commerciaux contiennent parfois une mention générale des
droits des travailleurs, mais dans de nombreux cas ces normes n’
incluent pas la protection des femmes.

 Les Syndicats ont de la difficulté à syndiquer les femmes et les
problèmes spécifiques aux femmes sur le lieu de travail restent
parfois sans solution.

 Les Normes Générales du Travail ne traitent pas des formes subtiles
de discrimination telles que par exemple le harcèlement sexuel.

Dès la moitié des années 80, le Congrès a passé une série de lois qui
liait directement l’octroi de traitements commerciaux préférentiels à
un ensemble de droits accordés aux travailleurs. Cette condition s’est
appliquée pour la première fois dans le cadre du " Projet de la région
Caraïbe" qui contenait une seule ligne de référence aux droits des
travailleurs, mais en 1984, le Programme de Système Général de
Préférences ( S G P ), qui permet à plus de 4000 produits en
provenance de 140 pays en développement d’entrer hors taxe sur le
marché U S, comprenait une définition des droits des travailleurs qui
est devenue par la suite la norme dans toutes les lois U S dans ce
domaine. La " Clause du Travail G S P " incluait la liberté d’
association, les négociations collectives, l’interdiction du travail
forcé et du travail des enfants, ainsi que le droit à des conditions
" décentes " de travail, incluant un salaire minimum acceptable.

Afin de pouvoir bénéficier de ce " G S P ", un pays doit avoir un PNB
par habitant inférieur à 10.000 $ par an . La clause des normes du
travail avait pour objet de s’assurer que les pays qui bénéficieraient
du G S P respecteraient des conditions d’emploi décentes. Il faut
toutefois noter dans cet accord l’absence du droit à un emploi sans
discrimination aux dépens des femmes, ce que l’ O I T considère comme
faisant partie des droits généraux du travail.

Même si ce droit fondamental était inclus dans la législation U S du
commerce , il ne constituerait qu’un premier pas vers la suppression
des violations des droits le plus fondamentaux des travailleuses dans
le monde. Nombreuses sont les femmes employées formellement ou
informellement qui se voient refuser le droit à l’adhésion à un
syndicat ou à la négociation collective.

Même dans des emplois " réguliers ", le droit de se syndiquer est
encore un rêve lointain pour la plupart des travailleuses. Par exemple
au Bangladesh, l’un des premiers producteurs de vêtements pour le
marché U S, les syndicats ont été longtemps interdits dans les zones
de production pour l’exportation ( E P Z ), et au Kenya, un des
premiers partenaires commerciaux des U S A en Afrique Sub-Saharienne,
les syndicats sont en fait également interdits. Dans ces deux pays, la
majorité des emplois dans les E P Z sont tenus par des femmes. En
outre, dans les industries légères de transformation, où les femmes
constituent la majorité du personnel, le climat industriel est
tellement enrégimenté que le temps et l’espace nécessaires pour
pouvoir se syndicaliser sont virtuellement inexistants, et la
répression de toute tentative dans ce sens est souvent très brutale.

Enfin, dans de nombreux pays, les syndicats, dominés par les hommes,
ont mis du temps à s’ouvrir aux travailleuses.

Bien que les syndicalistes d’Amérique Centrale commencent à soutenir
la syndicalisation dans les E P Z , de nombreuses travailleuses s’en
remettent encore aux organisations de défense des femmes plutôt qu’aux
syndicats pour obtenir une protection en matière de conditions du
travail.

Les travailleuses ont à faire face à des contraintes et à des défis
non couverts par ces droits "généraux " du travail. Des rapports de
" Human Rights Watch " font état en 1996 et 1998 de l’utilisation
systématique des tests de grossesse dans les usines mexicaines de
confection, d’électronique et d’équipement ménager destinés à l’
exportation aux U S A. Les femmes interviewées ont déclaré qu’elles
étaient maltraitées et forcées à démissionner si elles tombaient
enceintes. Certaines ont même raconté qu’elles s’étaient vues assigner
des tâches très dures qui requéraient de soulever de lourdes charges,
après que les contremaîtres aient appris leur état ; plutôt que de
risquer de perdre un emploi de misère mais indispensable pour
survivre, elles faisaient alors des efforts épuisants.

Un rapport du Fonds International pour les Droits du Travail ( IRLF)
réalisé en 2002 signale des violences contre les femmes dans les
industries agricoles au Kenya. De nombreuses femmes faisant la
cueillette du thé et du café pour l’exportation sont restées
silencieuses sur le harcèlement sexuel et même parfois les viols subis
du fait de leurs contremaîtres, afin de conserver leur emploi.

Travaillant dans les plantations, ces femmes n’avaient aucun moyen de
s’échapper et aucune loi n’existait pour les empêcher d’être agressées
par les contremaîtres dans les champs. La recherche effectuée au Kenya
a également révélé que ces mêmes contremaîtres retenaient leur paye ou
menaçaient de le faire afin de les forcer à accepter leurs avances.

Les renseignements préliminaires recueillis par le IRLF suggère que
des abus similaires se produisent chez les principaux partenaires
commerciaux des USA en Amérique Latine et en Asie ( Thaïlande,
Mexique, République Dominicaine ), mais peu de preuves formelles sont
disponibles. Il semble toutefois que la soumission aux abus sexuels
soit un des " coûts collatéraux " que l’on doit accepter pour
conserver son emploi dans l’économie globale.

Recommandations pour une nouvelle politique étrangère des USA

 Washington doit inclure la non-discrimination dans la définition des
" Droits Internationalement Reconnus des Travailleurs "

 Les U S A devraient encourager activement les travaux de l’ O I T
pour supprimer la discrimination à l’égard des femmes.

 Les U S A doivent reconnaître leur responsabilité dans la défense
des normes internationales, s’agissant particulièrement des
travailleuses.

Le 6 août 2002, le Congrès a renouvelé le G S P jusqu’au 31 Décembre
2006. Durant la préparation de la loi reconduisant le G S P et
élargissant le pouvoir du Président en matière de Promotion du
Commerce ( T P A connu sous le nom de " Voie Rapide " ou " Fast Track
" ), un amendement présenté par le Sénat ajoutait la
"non-discrimination" aux droits obligatoires des travailleurs.

Malheureusement cet amendement fut éliminé lors de la préparation de
la synthèse entre la version de la Chambre des Représentants et celle
du Sénat, laissant ainsi le G S P et toutes les lois ultérieures sans
protection contre la discrimination. Une telle clause ne ferait
toutefois que rendre le G S P conforme aux droits fondamentaux des
travailleurs ainsi qu’ils ont été définis par l’ O I T. Elle mettrait
également l’accent sur la vulnérabilité des travailleuses dans les
pays en développement et permettrait d’y remédier en utilisant les
procédures de plainte prévues dans le G S P. Les accords commerciaux
ne se référant pas au G S P , tels que " l’Accord de Préférence
Commerciale Andine " et le T P A , nécessitent un amendement
supplémentaire pour y inclure la non-discrimination dans les droits
des travailleurs.

Il est alarmant de voir que les nouveaux accords actuellement prévus
ne comportent même pas les normes déjà insuffisantes du G S P, et il
semble qu’en dépit de la pression croissante de la part de la Société
Civile, tant aux U S A que chez leurs partenaires commerciaux, le
Gouvernement Bush soit encore moins intéressé par les besoins des
travailleuses que ne l’était celui de Clinton. Le Bureau du
Représentant U S pour le Commerce a mis l’accent sur le fait que les
priorités actuelles en matière de négociations commerciales sont : la
Zone Centre-Américaine de Libre Échange ( CAFTA ), la Zone de Libre
Échange des Amériques ( FTAA ) et la Zone de Libre Échange et de
Développement Sud-africaine ( SAFTDA ). Ces accords feront référence
non pas au G S P mais plutôt à la législation du TPA. Le texte du TPA
exige simplement des pays en cause le respect de leurs lois nationales
du travail, même si elles sont souvent insuffisantes et peu
respectées.

Le T P A évoque l’assistance apportée par les USA à ses partenaires
commerciaux pour leur permettre de respecter les Normes
Internationales du Travail de l’ O I T les plus basiques, et il faut
signaler que le projet d’accord régional pour l’Afrique du Sud suggère
que les questions de développement soient liées aux négociations
commerciales. Les négociateurs U S devraient :

1) Soulever, lors de la discussion du nouvel accord avec les pays de l
’Amérique Latine et du Sud de l’Afrique, la question des droits des
travailleurs définis de façon assez large pour inclure les protections
dues aux travailleuses.

2) Insister sur les conditions d’accès au marché U S du type de celles
du GSP, les liant à la définition et à l’application d’une meilleure
protection des droits des travailleurs.

3) Mettre les gouvernements en condition de respecter ces droits grâce
à une assistance généreuse au développement.

Il y a également lieu d’élargir la base de réflexion des politiques en
matière de protection des droits des travailleurs. En 1998, l’O I T ,
arbitre du Droit International du Travail, a précisé un ensemble
minimum de droits des travailleurs :

 Le Droit à la liberté d’association ( Convention Internationale N°87
de l’OIT )

 Le Droit à la liberté syndicale et aux négociations collectives (
Convention N°98 )

 Le Droit à l’ égalité des chances d’emploi et à la
non-discrimination ( Conventions
N° 100 et 111 de l’OIT )

 L’interdiction du travail forcé ( Conventions N°29 et 105)

 L’interdiction du travail des enfants ( Convention N°138 et 182 )

Bien que ce minimum de normes du travail inclue l’interdiction de la
discrimination en matière d’emploi, il n’est pas suffisant pour
résoudre la multitude de problèmes affrontés par les femmes au
travail. Le législateur devrait considérer cet ensemble minimum de
conventions de l’O I T comme une base et chercher à obtenir que les
problèmes envisagés soient partie intégrante des discussions des
clauses sociales.

Si les Conventions de l’O I T sur les responsabilités familiales (156)
et sur le travail à domicile (179) y étaient ajoutées, beaucoup plus
de femmes pourraient en profiter.

De plus, un effort supplémentaire doit être fait pour que l’ OIT
définisse et apporte une solution aux deux problèmes le plus
communément rencontrés par les travailleuses dans le monde entier : l’
incapacité d’obtenir un salaire suffisant pour garantir un niveau de
vie acceptable et l’exposition à la violence et au harcèlement sur le
lieu du travail. L’OIT n’a ni défini ni inclus dans ses conventions le
harcèlement sexuel. Cela devrait constituer un objectif immédiat pour
les législateurs dans le monde entier.

Enfin le gouvernement U S devrait adhérer au dispositif international
qui offre l’unique garantie aux droits des travailleuses : la
Convention Internationale pour l’Élimination de Toute forme de
Discrimination Contre les Femmes (CEDAW en anglais ). 170 pays, soit
approximativement 90% des États Membres de l’ ONU, ont ratifié cette
convention, y compris l’Afghanistan et l’Arabie Saoudite. La CEDAW a
un impact direct sur les droits des femmes au travail dans la mesure
où elle :

1) élimine la discrimination en matière d’instruction publique, de
formation technique et d’accès à l’emploi

2) protège les droits de la femme en matière de santé et de sécurité,
de maternité, de congés familiaux et de sécurité sociale

3) interdit le harcèlement sexuel

4) garantit le droit des femmes en matière d’accès au crédit.

Signée en 1979 par le Président Carter, la CEDAW attend toujours le
vote du Congrès, le Sénat ayant même régulièrement refusé de la
soumettre au vote.
En 2002, le responsable démocrate du Comité des Relations même
Étrangères a présenté la CEDAW à la ratification du Sénat mais s’est
heurté à un puissant groupe de pression qui y était opposé. Maintenant
que les républicains ont de nouveau la majorité au Sénat, il y a peu
de chances pour que la CEDAW puisse être ratifiée dans l’immédiat. Si
les droits des travailleuses doivent être protégés universellement ( y
compris aux USA ), c’est l’administration U S toute entière qui devra
abandonner son opposition à la CEDAW et permettre ainsi au Sénat de la
ratifier.

Contact pour cet article : Bama Athreya, bama.athreya@ilrf.org

COURRIEL D’INFORMATION ATTAC (n°406)
Mardi 04/03/03

S’abonner ou se désabonner : http://attac.org/indexfr

Traduction : Stan Gir et Jean Pierre Renard.
Coorditrad, traducteurs bénévoles.

Retour en haut de la page

El Correo

|

Patte blanche

|

Plan du site